Alexandre Bompard et Jeff Bezos ne passeront pas leurs fêtes de fin d’année ensemble. Dans une saillie et un style pour le moins inhabituels le concernant, le PDG du groupe Carrefour a dénoncé ce matin “la montée en puissance prédatrice d’Amazon”. Un discours qui dénote de la part d’un acteur de cette envergure, tant le “Amazon bashing”, jusque-là, semblait être l’apanage des extrêmes. Derrière cette posture, d’aucuns pourraient être tentés d’y voir comme une forme d'amertume, pour celui qui, tant aux commandes de La Fnac-Darty qu’au sein du groupe Carrefour, aura buté à chaque fois sur la transition numérique.
“Vous êtes Amazon, vous rêvez d’avoir une année pareille, le tapis rouge leur a été déroulé” a déploré ce matin Alexandre Bompard sur son compte Twitter, après avoir utilisé les mêmes mots sur RTL (lien vers la radio ?), sur lequel il est suivi par près de 80.000 personnes. Le constat est implacable, et à maints égards juste, à défaut d’être original. En 2020, pas un jour ne sera écoulé sans qu’Amazon, leader du e-commerce et troisième acteur mondial du commerce, selon le classement des 250 premiers distributeurs mondiaux Deloitte, derrière Costco et Walmart, ne soit accusé de tous les maux. Bouc émissaire idéal et victime expiatoire parfaite, le groupe de Jeff Bezos a été la cible, de la part d’acteurs politiques et associatifs, de nombre de critiques tout au long de l’année, plus ou moins fondées, plus ou moins démagogiques, quant à sa supposée hégémonie sur le marché du e-commerce.
Une hégémonie fantasmée par un Alexandre Bompard (pour le moins) amer
Or, en 2020, l’hégémonie du site marchand n’est au mieux qu’une vue de l’esprit comme le rappelait début novembre Cédric O, le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des communications électroniques. Se basant sur le classement 2020 des sites e-commerce établi par la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD), Cédric O soulignait que, dans les faits, Amazon ne représente que 20% du e-commerce en France. Car l’emphase excessive mise, à longueur de journées sur Amazon, tend à déformer le réel et les données statistiques, au point de faire oublier qu’en la matière la France bénéficie d’acteurs à même de faire contrepoids au leader du e-commerce mondial, à l’instar notamment de Cdiscount (8,1% de part de marché), de Veepee (ex-Ventre-Privée, avec 3,4% de PDM) et, dans une moindre mesure, de la FNAC (2,5% de PDM). S’il est indéniable que l’année 2020 aura constitué comme un divine surprise pour l’ensemble du secteur du e-commerce, rien ne serait plus faux, comme le font remarquer à longueur de journées les cadres de La France Insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon en tête, ou les différentes chapelles de l’extrême droite, de considérer cela comme un jeu à somme nulle, duquel seul le géant américain sortirait vainqueur. En ce sens, il est donc étonnant de voir Alexandre Bompard, peu suspect de sympathie pour la rhétorique des extrêmes, sacrifier à son tour à ce raccourci au mieux stérile, au pire démagogique.
La paille et la poutre
“Un jour on se réveillera et on se rendra compte que le secteur du commerce dans son ensemble aura été fragilisé les 10 dernières années par la montée en puissance prédatrice d’Amazon”, et Alexandre Bompard, dans un autre tweet, de dénoncer pêle-mêle “les pratiques fiscales” et “les pratiques sociales” d’Amazon, bien aidé selon lui, par les récentes décisions du gouvernement français, relatives notamment à la fermeture des rayons non essentiels dans la grande distribution. Une situation qui crée pour le PDG du groupe Carrefour une “distorsion, une inégalité qui est folle” qui, selon lui, empêcherait les acteurs français de rivaliser à “armes égales” avec le groupe de Jeff Bezos.
Or, tel Cassandre n’ayant pas assez de larmes pour annoncer et pleurer sur la chute de Troie, les prédictions d’Alexandre Bompard pour le commerce ne sont guère plus réjouissantes. Or, si ses échecs en matière de e-commerce et de transition globale d’activités, que ce soit concernant la menée à bien de la transition numérique de La Fnac, ou, plus récent et plus patent, celui lié au rachat de Rue du Commerce en 2016, vendu moins de trois ans plus tard à Shopinvest, font partie du passif de l’actuel PDG du groupe Carrefour, cela ne saurait faire oublier le fait que le secteur du e-commerce ne s’est pas arrêté de vivre ces dernières années.
Si Amazon constitue un enjeu et un défi pour le commerce français, davantage qu’une menace existentielle, ce n’est ni en tombant dans le lyrisme, ni en succombant au vague à l’âme en rêvant à un hypothétique âge d’or du commerce français, en train de s’éloigner, qu’une réponse pourra être apportée.