L’enquête PISA sur le niveau scolaire, réalisée chaque année dans l’ensemble des pays de l’OCDE sur environ 600 000 élèves de 15 ans, dont un peu plus de 6 000 jeunes Français, fait l’objet d’une assez large publicité. Elle a en quelque sorte une sœur cadette, l’étude TIMSS, Trends In Mathematics and Sciences Studies, qui, conformément à son nom, teste les performances des élèves dans les seules disciplines scientifiques et mathématiques, et cela à deux niveaux : CM1 et classe de 4ème. PISA attribue des points par groupe de disciplines, et l’un de ces groupes est justement « sciences et mathématiques », ce qui permet d’effectuer des comparaisons entre les résultats des deux enquêtes.
La France, tout juste dans la moyenne
Pour PISA, en maths et sciences, la récente enquête plaçait en tête la Chine, avec 591 points ; la France, à 495, est juste au-dessus de la moyenne, bien derrière la Chine. Pour TIMSS, les résultats – tout frais – sont mauvais pour les jeunes français, particulièrement en mathématiques. L’article des Echos qui présente cette enquête ne fournit pas de résultats numériques, mais un participant français à l’étude TIMSS déclare que cette étude, menée depuis de longues années, montre ceci : « En mathématiques, la France figure en bas de tableau des pays développés, juste devant le Chili. (…). Les élèves français de 4e ont perdu l’équivalent d’une année scolaire en 24 ans ». Autrement dit, un élève français aujourd’hui en 4ème aurait en moyenne le même niveau en maths qu’un élève de 5ème il y a un quart de siècle. Bravo la France pour son aptitude à reculer !
Qu’attend-on de l’apprentissage des maths ?
Mais, dira-t-on, est-ce vraiment ennuyeux ? Nous avons des outils informatiques qui nous dispensent de nous perfectionner en calcul mental ; certaines compétences mathématiques ne sont-elles pas, de ce fait, devenues superflues ? Certes, mais les mathématiques ne se limitent pas aux quatre opérations et au calcul de la surface d’un triangle ou du volume d’une sphère. Leur vertu principale est d’apprendre à raisonner, et à raisonner avec rigueur, dans des domaines dont certains exigent une certaine familiarité avec l’abstraction.
Par exemple, faire la différence entre une partition et un recouvrement est indispensable pour raisonner dans toutes sortes de domaines. Les mathématiques utilisent des concepts, et l’éducation s’acquiert en découvrant qu’il existe des concepts de différentes sortes : mathématiques, mais aussi philosophiques, grammaticaux, etc. Certes, on ne va pas apprendre à des élèves de 4ème la complexité du concept d’infini, ni qu’il existe des infinis de différentes tailles, et que l’infini « dénombrable » des nombres entiers est moins grand que celui (non dénombrable) des nombres réels, mais ils peuvent déjà comprendre la différence entre ce qui a une dimension (une ligne), deux dimensions (une surface), trois dimensions (l’espace) et que certaines réalités ne peuvent être étudiées qu’en se référant à plus de trois dimensions (le mystérieux espace-temps, par exemple).
Savoir calculer, oui, mais surtout savoir réfléchir
Il est normal de débuter par les aspects calculatoires des mathématiques. Mais pour opérer la multiplication de deux nombres à 5 chiffres, les calculettes feront toujours mieux que les êtres humains normalement doués. En revanche, les concepts, eux, relèvent véritablement de l’intelligence humaine. Il y a ce qui se voit, ce qui s’entend, ce qui se sent, bref ce qui relève de nos sens, et ce qui se conçoit, qui relève de notre intellect. L’enfant doit en quelque sorte passer de « un chat, deux chats, trois chats », ce qui se voit, à « un, deux trois », ce qui se conçoit. Les mathématiques ne sont pas l’alpha et l’oméga du domaine conceptuel, mais elles en constituent une partie importante. Leur apprentissage est, conjointement avec celui du langage, un puissant moyen de développer l’aptitude à utiliser des concepts, ce que l’on appelle raisonner.
L’informatique parvient à calculer plus vite et plus sûrement que le cerveau humain. En revanche, notre intelligence est irremplaçable dans le domaine conceptuel. Or les mathématiques sont, comme les hommes, à la fois calculatrices et conceptuelles. Mais dans les investigations à grande échelle comme PISA et TIMSS, il est beaucoup plus commode de tester l’habileté calculatrice que l’aptitude à manier des concepts. Il convient donc de ne pas donner à leurs résultats une signification excessive : ils témoignent surtout de ce que les têtes sont plus ou moins pleines, et il serait hasardeux de trop en déduire concernant les intelligences à proprement parler, c’est-à-dire, primordialement, l’aptitude à conceptualiser et à utiliser correctement les concepts.
Einstein, plus philosophe que matheux ?
Einstein, aujourd’hui considéré comme un génie, n’a été admis à l’école polytechnique de Zurich qu’à sa seconde tentative, et ses travaux doivent beaucoup à son ami Marcel Grossmann, meilleur matheux que lui. Bien des physiciens de son époque lui ont d’ailleurs reproché le caractère « philosophique » de ses travaux. De fait, ses deux théories de la relativité, la « restreinte » puis la « généralisée », sont des innovations conceptuelles beaucoup plus que des modèles mathématiques complets.
Inspiration et transpiration
Pour l’avancement des sciences, deux choses sont nécessaires : l’inspiration et la transpiration. La première peut être d’une simplicité étonnante, comme la célèbre formule e = mc2 qui a révolutionné la physique. La seconde n’est pas moins nécessaire, mais c’est comme l’intendance : elle doit « suivre », construire une route bien asphaltée là où l’inspiration a tracé une piste à peine visible.
PISA et TIMSS sont incontestablement utiles, mais elles relèvent plus de la transpiration que de l’inspiration. Et elles mesurent davantage la capacité d’un système scolaire à former de « bons élèves » que des esprits originaux, inventifs. Or ce sont de tels esprits qui peuvent nous faire vraiment progresser. J’ai beaucoup d’admiration pour les copistes du moyen-âge, mais ce ne sont pas eux qui ont changé le monde. Remercions, certes, ces enquêteurs besogneux qui nous renseignent sur la plus ou moins grande réussite du formatage scolaire des esprits ordinaires, mais n’oublions pas qu’à deux reprises au moins, avec Copernic puis avec Einstein, ce sont des scientifiques dissidents qui ont fait réaliser à l’intelligence humaine des progrès décisifs.