Maintenant que le confinement est enfin levé, Emmanuel Macron cherche un second souffle pour traverser les deux années qui le séparent de la prochaine élection présidentielle de 2022. Le cap sera sans doute remis sur les réformes, mais des investissements publics seront aussi nécessaires malgré des marges de manœuvre ténues.
- Le rebond de l'économie devrait être important en 2021 (+6,5%) mais sera insuffisant pour rattrapper le niveau de PIB d'avant le confindement.
- Les PMI du mois de juin montrent que la contraction de l'activité s'est arrêtée, mais qu'elle reste inférieure au niveau d'avant crise.
- Les investissements des entreprises ne seront pas un moteur de reprise avant quelques trimestres, et les investissements publics peinent à prendre le relais
- Il manque toujours un plan de relance de l'économie car même les mesures décidées en faveur des secteurs « stratégiques » s'appuient à environ 90% sur des mesures déjà annoncées.
- La marge de manœuvre budgétaire sera faible pour ce faire, une initiative européenne continuera donc d'être la bienvenue si la France veut « rester dans les clous ».
L'économie française paie actuellement le prix d'un des confinements les plus stricts de la zone euro. Après une contraction record du PIB au premier trimestre (-21,4% en termes trimestriels annualisé), nous prévoyons que la contraction atteindra 65% (T/T annualisé) au deuxième trimestre de l'année. En effet, les enquêtes d'activité ont montré que l'économie française ne fonctionnait qu'à 65 % et 75 % de sa capacité en avril et mai respectivement. Les premières données de mobilité de Google pour le mois de juin montraient que le rattrapage est encore loin d'être achevé. Les indices PMI, qui sont revenus légèrement au-dessus du seuil indiquant une contraction de l'activité en juin tout en restant inférieurs à leurs niveaux de février, confirment à la fois que le pire est passé et que le mois de juin ne connaîtra pas un rattrapage complet. La profondeur de la récession au second trimestre explique d'ailleurs pourquoi la prévision actuelle de croissance pour 2020 est l'une des plus mauvaises parmi les économies de la zone euro (-9,5 %).
Si l'on continue de croire que la première partie de la reprise sera en forme de V, les perturbations des chaînes d'approvisionnement et du marché du travail devraient cependant freiner la croissance en 2021. Malgré un rebondissement attendu de 6,5% l'année prochaine, l'économie française ne devrait pas rattraper son niveau de PIB du 4ème trimestre 2019 avant la fin de 2022.
Le commerce extérieur risque de peser sur la reprise
D'une part, la demande intérieure va se redresser, mais à un rythme ralenti en raison de la prudence généralisée des entreprises à l'égard des investissements futurs et de la hausse du chômage. D'autre part, les exportations nettes devraient également peser sur la croissance. En effet, nous prévoyons qu'en raison de la faible croissance dans la zone euro, de la menace réelle d'un « Brexit dur » au 1er janvier 2021, des pressions accrues de la guerre commerciale sur les liens transatlantiques pendant le reste de la campagne de Donald Trump et d'une reprise asiatique modérée, les exportations françaises mettront du temps à se redresser tandis que les importations seront alimentées par la reprise de la demande intérieure.
La demande intérieure connaîtra deux freins
Plus de la moitié des salariés du secteur privé (25 millions au T4 2019) bénéficient du régime français de chômage temporaire, qui, en termes de dépenses publiques directes, est de loin la principale mesure (voir ci-dessous) prise jusqu'à présent pour sauvegarder l'économie française. Malgré cela, le nombre de chômeurs (en plus de ces près de 13 millions de travailleurs) est passé de 3,2 à 4,3 millions entre février et avril 2020, les intérimaires et les contrats de courte durée déterminée ayant rapidement perdu leur emploi. Au fil du 3ème trimestre, ils reprendront le travail, mais ils seront remplacés dans les rangs du chômage par des chômeurs temporaires qui finiront par voir leur emploi disparaître du fait de la faillite ou de la restructuration de leur entreprise.
La population au chômage n'est pas appellée à se maintenir au-dessus des 4 millions, la décrue devrait être rapide. Néanmoins, nous estimons vraisemblable qu'au quatrième trimestre 2020, la population au chômage aura augmenté de plus d'un demi-million de personnes sur l'année, conduisant le taux de chômage vers 10,5 % (contre 7,9 % au quatrième trimestre 2019). Comme les travailleurs les plus vulnérables (qui par ailleurs ont aussi la plus forte propension à consommer) seront touchés de manière disproportionnée (car ils sont surreprésentés dans les secteurs les plus touchés comme le tourisme), nous pensons que cela pèsera sur la reprise de la consommation privée tout au long de 2021.
En ce qui concerne les investissements, les investissements publics devront probablement se substituer aux investissements des entreprises pendant quelques trimestres. Le graphique ci-dessous montre que les investissements des entreprises ont augmenté plus rapidement que le PIB lors de la reprise post-2008, principalement grâce à un ensemble de politiques fiscales dites « de l'offre ». Dans le même temps, les investissements publics sont restés modérés jusqu'en 2017. Il faut donc élaborer des plans d'investissement public ambitieux pour 2021 et au-delà (graphique en pièce jointe).
La proposition de la Commission européenne relative à un mécanisme de « relance et de résilience » de 560 milliards d'euros pourrait encadrer ces investissements et inciter à agir. Si la proposition est approuvée dans les prochains mois (la prochaine réunion du Conseil Européen se tiendra mi-juillet), chaque pays devra élaborer un plan d'investissements pour les années à venir qui pourrait aller bien au-delà des intentions de financement de l'UE. Il se peut qu'Emmanuel Macron prenne les devants à cet égard cet été en annoncant les orientations de la fin de son mandat, mais cela reste très incertain car la marge budgétaire est faible (voir ci-dessous).
Les premières mesures de sauvegarde économique sont pleinement fonctionnelles
Il n'y a pas encore de plan de relance par l'investissement, mais ce n'est pas comme si rien n'avait été fait. Le gouvernement français a déjà présenté des plans de relance pour 3 secteurs stratégiques : l'aéronautique, l'automobile et le tourisme. Mais seule une partie (que nous estimons à environ 6 milliards ou 10% des chiffres annoncés) des mesures contenues dans ces plans sont réellement nouvelles : elles s'appuient en fait fortement sur les instruments mis en place plus tôt dans la crise Covid.
Ces instruments sont de 3 types :
1) Les dépenses directes (au moins 2 % du PIB), qui comprennent un budget supplémentaire pour la santé (8 milliards d'euros), un fonds de solidarité pour les PME (7 milliards d'euros) et divers ajustements (3 milliards d'euros). La principale dépense directe est le régime de chômage temporaire, dont le coût direct est estimé à 24 milliards d'euros dans le budget 2020 ajusté. Mais depuis cette estimation, le nombre de bénéficiaires potentiels a augmenté de 50 %, et le programme a été allongé de sorte que les coûts pourraient être plus élevés d'environ 15 milliards d'euros. En outre, nous estimons qu'environ 6 milliards d'euros seront dépensés directement dans les trois secteurs stratégiques (voir ci-dessous).
2) Mesures fiscales et participations (70 milliards d'euros, soit 3,1 % du PIB) : le Trésor a avancé les paiements de crédits d'impôts (23 milliards d'euros) et reporté les impôts qu'il aurait dû recevoir (25 milliards d'euros). Il est probable qu'une partie de ce montant se retrouvera dans la catégorie des dépenses directes, mais il est trop tôt pour dire dans quelle proportion. L'État prendra également des participations dans des industries "stratégiques", pour un montant qui est actuellement budgété à 20 milliards d'euros. Des "prêts stratégiques" sont également prévus pour 3 secteurs spécifiques (voir ci-dessous), pour un montant d'environ 10 milliards d'euros à ce jour.
3) Des garanties (315 milliards d'euros, soit 13,9 % du PIB) sont également prévues pour les prêts aux entreprises émis par le secteur bancaire.
Mais les derniers plans pour les secteurs stratégiques ne vont pas beaucoup plus loin. En outre, des plans spécifiques ont été décidés pour trois secteurs stratégiques, qui reposent largement (pour environ 90 %) sur les mesures susmentionnées.
1) Le tourisme (18 milliards d'euros) : des réductions d'impôts (pour 2 milliards d'euros, soit une partie des 25 milliards d'euros mentionnés ci-dessus qui pourraient à terme se retrouver dans les dépenses directes) ainsi qu'une augmentation du plafond tickets restaurants (une dépense partiellement à charge des employeurs donc). En dehors de cela, le chiffre global (18 milliards d'euros) repose donc pour l'essentiel sur les instruments mentionnés ci-dessus : le tourisme utilisera spécifiquement 6,2 milliards d'euros de garanties pour les PME, 3 milliards d'euros d'allocations de chômage temporaires, une partie du fonds de solidarité et du plan de participation (1,3 milliard d'euros pour un fonds d'investissement qui est censé attirer un total de 5,4 milliards d'euros d'investissements du secteur privé en plus de ce capital de 1,3 milliard d'euros).
2) Aéronautique (15 milliards d'euros) : la compagnie aérienne nationale Air France bénéficiera d'un plan de 7 milliards d'euros (4 milliards d'euros de garanties de crédit et 3 milliards d'euros de prêts directs). Hormis les commandes militaires pour l'industrie aéronautique (qui devraient atteindre 0,6 milliard d'euros) et les investissements directs en R&D (1,7 milliard d'euros), le reste du plan est constitué d'indemnités de chômage temporaire et de garanties de crédits aux entreprises et font donc partie des budgets susmentionnés.
3) Industrie automobile (8 milliards d'euros) : environ 1 milliard d'euros pour l'achat de voitures plus propres par le grand public (jusqu'à 200 000 unités) et 0,75 milliard d'euros d'investissements dans le secteur avec Renault et PSA (qui ajouteront 100 millions d'euros chacun). Le reste du plan (environ 6 milliards d'euros) est essentiellement constitué de garanties de crédit et d'indemnités de chômage temporaire.
L'absence de marge de manœuvre budgétaire risque d'assombrir les deux dernières années de la Présidence Macron
Au total, l'impact sur les finances publiques sera important puisque le déficit devrait atteindre 12 % du PIB cette année (avec une hypothèse de 65 milliards d'euros de dépenses directes, soit 20 milliards d'euros de plus que dans l'estimation budgétaire d'avril). La dette publique devrait donc atteindre temporairement un minimum de 118 % du PIB avant de retomber à 115 % en 2021. Cela risque de peser sur la capacité d'action de l'exécutif au cours des deux dernières années du mandat présidentiel. Se concentrer sur les seules réformes structurelles, en particulier la reprise sans doute houleuse de la réforme des retraites, risque d'être insuffisant si les investissements et la transition écologique ne suivent pas. Emmanuel Macron pourrait avoir besoin d'un second souffle pour y parvenir, c'est pourquoi un remaniement du gouvernement n'est pas improbable cet été. Quelle que soit la nature de ce remanienement, c'est sur les propositions d'investissement qu'il portera que reposera la reprise.