Priorité du gouvernement, la rénovation énergétique des bâtiments fait figure d’eldorado pour quantité d’entreprises peu scrupuleuses, détournant à leur profit des millions d’euros d’argent public. Ajouté à cela le scandale autour des performances de la laine de verre et c’est une véritable crise qui frappe le secteur de l’isolation.
Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, les combles et greniers des Français le sont, de plus en plus, de mousse isolante et autre laine de verre supposées permettre aux foyers de réaliser de substantielles économies d’énergie. La rénovation énergétique des bâtiments, publics comme privés, fait en effet figure de priorité gouvernementale : pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050, et ce dans un contexte de hausse continue des tarifs de l’électricité, la France s’est fixé un objectif, ambitieux, de 500 000 logements rénovés par an, allouant à cet effort un budget, considérable, de 14 milliards d’euros. D’où la profusion récente d’aides et subventions diverses, du Crédit d’Impôt Transition Energétique (CITE) au chèque énergie, en passant par la prime « coup de pouce » et, bien sûr, l’isolation à « un euro ».
Détournement de fonds publics
Problème : attirées par cette manne publique, de nombreuses entreprises s’engouffrent dans le marché de l’isolation des combles, sans s’encombrer de scrupules ni d’élémentaires précautions. C’est ce que révèle un très récent reportage réalisé par les équipes du magazine Envoyé Spécial, diffusé le 6 février sur France 2 et consacré aux fraudes à l’isolation à 1 euro. Rappelant le principe du dispositif — en échange de « certificats d’économies d’énergie » (CEE) alloués par l’Etat, les travaux chez les ménages modestes sont financés par les grandes entreprises les plus polluantes, qui règlent les factures que leur adressent les artisans —, le documentaire pointe en effet les dérives permises par le système en vigueur.
Des abus qui sont légion : démarchage agressif ou trompeur ; chantiers fictifs ; fausses factures ; sociétés fantômes, ou se réclamant, à tort, du soutien de l’Etat ; absence de visite technique préalable ; diagnostics bâclés ; absence de devis — pourtant exigé par la loi ; chantiers abandonnés avant leur fin ou, pire, comportant des malfaçons potentiellement très dangereuses pour les habitants, comme cette famille qui a échappé, de justesse, à un incendie dû aux erreurs grossières des prestataires ; ouvriers souvent mal ou pas formés, insuffisamment protégés et manifestement exploités par des dirigeants leur imposant des rythmes de travail inhumains ; etc. Les dérives de l’isolation à 1 euro ont tout d’une véritable liste à la Prévert des pires pratiques commerciales.
Les particuliers victimes de ces sociétés peu scrupuleuses sont loin d’être les seuls à subir les conséquences de ces dérives. S’ils ne déboursent en effet qu’un euro symbolique, les factures des travaux — d’une moyenne de 1 500 euros — sont, comme on l’a vu, adressées par les artisans aux entreprises concernées par la CEE, le plus souvent des énergéticiens. Énergéticiens qui, dans le but d’obtenir leurs précieux certificats, règlent la note sans se soucier du bien-fondé ni de la bonne réalisation des travaux concernés, avant de répercuter ces frais sur leurs propres tarifs. Le ministère de l’Économie estimait ainsi qu’en 2018, quelque 28 millions d’euros auraient été détournés des caisses publiques pour payer des travaux fictifs. Une estimation — très — sous-évaluée, un fonctionnaire de Bercy confiant aux équipes de France 2 que le manque à gagner pour l’Etat se chiffrerait en réalité à « plusieurs centaines de millions d’euros ».
Fausses performances énergétiques
À l’exception des entreprises malhonnêtes, tout le monde, ou presque, semble donc perdant : les clients, bien sûr, mais aussi les caisses publiques — et donc les contribuables —, sans oublier les artisans honnêtes, qui pâtissent de la mauvaise réputation de leurs confrères moins scrupuleux. Ces « bons » artisans sont également victimes des mauvaises pratiques de l’industrie de l’isolation, comme en témoigne l’arrêt de la Cour de Cassation publié en novembre. Celui-ci démontre en effet que les fabricants de laine de verre, un matériau utilisé par les artisans dans la majeure partie des travaux d’isolation, savaient — et cachaient — depuis des années que les performances de leurs produits perdaient jusqu’à plus de 70 % de leur efficacité en l’absence de pose d’un « pare-vapeur ». Des révélation qui font sortir de ses gonds l’ancien député et vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) Jean-Yves Le Déaut.
L’ex-élu ne s’avoue pas surpris par la décision de la plus haute juridiction française — et pour cause, M. Le Déaut a, dans un rapport, appelé dès 2014 à un « choc salutaire » dans le secteur de l’isolation des bâtiments. Pointant du doigt les puissants « intérêts en jeu », l’ancien député considère qu’il faut « que la Cour des comptes se saisisse du dossier des aides » et que l’OPECST exerce son droit de suite. « Enfin, et c’est le plus simple et le plus rapide, conclut-il, le gouvernement doit prendre sans tarder un arrêté ministériel pour imposer les conditions de pose des laines minérales ».
Il y a, en effet, urgence en la matière : en France, le secteur du bâtiment représente 45 % de la consommation finale d’énergie et 27 % des émissions de gaz à effet de serre, ce qui en fait l’activité la plus gourmande en énergie, devant celle des transports. Alors que la ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne, vient d’annoncer que son administration bénéficierait d’un coup de pouce budgétaire « de plus de 800 millions d’euros », il serait plus que temps d’arrêter de jeter cet argent par les fenêtres... et les combles mal isolés.