Le livre de Bruno Le Maire nous montre à quel point notre ministre et nos hauts fonctionnaires sont éloignés des idées libérales.
Le sous-titre « Mémoires provisoires » nous prévient implicitement que la mémoire va y être sélective et que certains souvenirs ne seront révélés que lorsqu’ils seront médiatiquement ou politiquement prescrits.
Bruno Le Maire dit prendre du recul en tenant son journal, ce qui lui permet de transformer les évènements qui stressent en faits analysables avec sérénité. On le croit volontiers, sans que cela n’explique pourquoi il publie cet exercice d’hygiène mentale. A moins qu’il ne s’agisse que d’un autoportrait façon « selfie littéraire », on reste sur notre faim ; il nous faudra attendre la parution des « Mémoires définitifs ».
Il a eu les Finances, il aurait pu prendre la Justice ou la Défense, qu’il aurait surement tout aussi bien assumé, il ne s’est d’ailleurs pas posé la question. II est l’archétype de ce que l’ENA doit formater comme haut responsable de l’Etat capable de répondre à n’importe quelle situation sur n’importe quel sujet. S’il ne connaît pas, il apprend vite et son esprit synthétise à merveille les informations fournies par ses équipes.
Avec un jugement établi à partir de la compétence des autres hauts fonctionnaires qui sortent tous d’un même moule, ce n’est pas lui qui va renverser la table, et il est quelque peu chagrin, tout en gardant un peu d’humour, de raconter ses ajustements paramétriques refusés par Emmanuel Macron qui attendait des réformes systémiques.
La souveraineté de l’Etat prime l’efficacité économique
La souveraineté est pour lui une caractéristique essentielle de l’Etat qui, dans la répartition des rôles entre le secteur public et privé, peut laisser à ce dernier la petite épicerie mais doit garder la main dans les affaires importantes. La privatisation d’Aéroports de Paris n’est dans le fond que celle des boutiques (et, même privatisée, la Française des Jeux reste une belle machine à plumer le joueur populaire au profit du Trésor Public). Bruno Le Maire est choqué de la position de l’Europe qui n’a pas voulu, sous prétexte d’atteinte à la libre concurrence, de l’association Alstom Siemens. (Par la suite, il se réjouira qu’Alstom reprenne le canadien Bombardier mais refusera que le canadien Couche-Tard reprenne Carrefour dont il nous apprendra alors l’importance stratégique nationale).
Sa bête « noire », ce sont les GAFAM, qu’il faut taxer, voire démanteler. On espère qu’il ne pense pas vraiment que la mise en place d’une taxe « ad hominem », qui serait finalement payée par les consommateurs français, puisse être le remède aux risques que les GAFAM feraient courir aux libertés. Il espère des Américains qu’ils en acceptent la mise en place, sans voir que les GAFAM font bien plus pour la puissance de l’Amérique que des porte-avions nucléaires ou des missiles balistiques intercontinentaux. Donald Trump s’est opposé aux prétentions de Bruno Le Maire, Joe Biden sera-t-il assez fou pour se tirer une telle balle dans le pied ?
Il montre comment sa réaction aux Finances pour faire face aux conséquences de la crise de la Covid a été rapide et considérable. On aimerait comprendre comment a été prise la décision et qui a déterminé le quantum. Il rapporte une discussion avec ses collaborateurs mais à aucun moment n’indique des échanges avec Emmanuel Macron à ce sujet. Il en parle au Premier ministre d’une façon tellement lapidaire qu’on pourrait croire qu’Edouard Philippe n’est pas non plus concerné (300 milliards quand même).
La finance prime l’économie réelle
Il a donc su sortir le carnet de chèques pour faire face à l’imprévisible crise économique de la Covid, mais on est restés dans les bonnes intentions lorsqu’il s’est agi de l’économie réelle. On ne sait s’il s’est battu du côté des entreprises pour que l’économie respire, pour que les actifs les moins vulnérables ne soient pas confinés, pour que les activités de plein air, par exemple les stations de ski, puissent ouvrir pour les jeunes, enfin toutes mesures pour moduler de manière concrète les directives sanitaires et limiter la chute considérable d’activité du pays.
Rien donc sur l’équilibre à trouver entre les impératifs sanitaires et économiques, aucune indication de plan pour faire face aux vagues ultérieures éventuelles de la pandémie, aucune prévision sur notre capacité financière à continuer de la sorte. S’il indique bien benoîtement qu’il faudra rembourser grâce à la croissance, il ose cependant dire qu’il faudra travailler plus.
Il met au-dessus de tout la Finance et nous fait un panégyrique historique de la souveraineté monétaire. Il a cette vision archaïque qui place la monnaie comme l’instrument du pouvoir de l’Etat sur l’économie et en conséquence souhaite que la BCE perde son autonomie pour devenir une organisation maîtrisée par les politiques. Il rêve d’utiliser de nouveau la monnaie pour pouvoir faire des dévaluations compétitives. Il se bat pour « renforcer l’Europe » en créant des emprunts au niveau européen afin de permettre aux pays les plus dépensiers de bénéficier des même taux d’intérêt que les plus économes. Il souhaite évidemment le rapprochement des fiscalités des pays européens sans voir que la France est incapable de baisser son niveau d’impôts sans creuser son déficit et qu’il faudrait donc que la fiscalité des autres pays augmente pour être aussi lourde que celle de la France.
Bruno Lemaire semble parfaitement en phase avec son ministère ce qui l’aide à le gérer avec talent. Mais d’où peut lui venir sa réputation de libéral ? Il est pour l’intervention de l’Etat dans tout ce qui est important, il croit à la régulation du marché par la maîtrise par l’Etat du système monétaire, et à sa dynamique par la dépense budgétaire.
D’une manière ingénue, il raconte que nommé Ministre de l’Economie il intervient auprès d’Emmanuel Macron pour que soient rajoutés les mots « et des Finances » à son titre. Il obtiendra satisfaction et à bon escient car, Ministre des Finances il l’est certainement, de l’économie ? Pas vraiment.