Cinquante nuances de vert (extrait)

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Par Guillaume Sommerer Modifié le 1 avril 2021 à 21h02
Investissement Socialement Responsable
@shutter - © Economie Matin

Au bilan, il n’y a pas de définition universelle des placements durables ou verts. Chaque produit, chaque fonds intègre les critères ESG de façon très différente. C’est pourquoi il est essentiel de bien regarder quelles sont les règles d’investissement, même si elles restent parfois vagues, voire trompeuses. Les fonds labellisés ISR peuvent inclure des sociétés polluantes (vous trouverez parfois des producteurs de pétrole), alors que les fonds Greenfin excluent d’office celles liées de trop près aux énergies fossiles par exemple.

Qui a raison, laquelle de ces deux stratégies d’investissement doit être privilégiée ? Au premier regard, exclure un titre comme Total des fonds dits « responsables » semblera cohérent : Total est encore l’un des plus gros pollueurs de la planète. Mais Total compte aussi parmi les meilleurs élèves en matière d’emploi, d’intégration et de promotion interne. Total investit aussi des sommes records pour verdir son activité et de moins en moins dépendre du pétrole. Le groupe a décidé d’investir 10 % de sa recherche dans les solutions de captage, stockage et valorisation de CO2. Il s’engage aussi à réduire son intensité carbone de 15 % entre 2015 et 2030, une intensité déjà réduite de 5 % entre 2015 et 2018 ! Et l’activité du groupe repose de plus en plus sur les gaz naturels liquéfiés, et la production d’électricité renouvelable. L’inclure dans les portefeuilles responsables (ce qu’autorise le label ISR) est donc aussi une façon d’identifier les efforts accomplis, de les faire connaître et de les encourager ! Et pourtant, malgré des efforts parfois réels, tout producteur d’énergies fossiles restera par définition excommunié des portefeuilles d’investissement labellisés Greenfin, qui excluent toujours les secteurs intrinsèquement les plus polluants. L’exemple de Total illustre (parmi tant d’autres !) les débats qui tiraillent les acteurs de l’investissement socialement responsable, et nourrit la variété des stratégies possibles !

Laquelle les épargnants « responsables » (en quête de placements efficaces pour l’environnement et sur les questions sociales) doivent-ils privilégier ? Faut-il toujours inclure les bras ouverts toutes les sociétés les plus polluantes sous prétexte qu’elles feraient des efforts malgré tout ? N’est-ce pas introduire le ver dans le fruit ? Les stratégies inclusives (celle du label ISR) se basent-elles sur la conviction que la transition énergétique devra se faire avec les énergéticiens et qu’il convient donc de rester investi pour engager un dialogue afin de pousser ces entreprises à s’engager sur une réelle stratégie de décarbonation. L’idée est qu’exclure ne serait pas efficace. Il faudrait donc rester au capital des groupes polluants pour garder un siège à la table des discussions stratégiques. D’autant que la transition énergétique est forcément une question de temps, prend du temps, et que la décarbonation de secteurs comme l’aérien ou le transport maritime ne pourra se faire sans l’innovation des principaux acteurs.

Mais l’obtention d’un label pousse-t-elle vraiment les grands groupes à accélérer leur transition ? Les fonds responsables, lorsqu’ils intègrent une entreprise dans leur portefeuille ISR, en deviennent automatiquement actionnaires ; ils y obtiennent alors un pouvoir d’influence proportionnel au montant de leur investissement. « Les investisseurs jouent donc un grand rôle pour pousser les cteurs à se poser les bonnes questions sur la transition de leur modèle », se réjouit Alix Chosson, spécialiste des investissements ISR. « Les résolutions actionnariales ont été un puissant levier dans certaines décisions stratégiques comme l’arrêt de projets d’exploration en Arctique, la sortie des sables bitumineux canadiens, et plus récemment l’engagement de Shell, suivi de Total, BP et Repsol, à décarboner non seulement leurs opérations, mais aussi leur mix d’activités. Shell a ainsi été le premier groupe pétrolier à s’engager […] à réduire l’intensité carbone de chaque unité d’énergie vendue de 20 % d’ici 2035 et de 50 % d’ici 2050. Une ambition intégrée jusque dans la rémunération du président de Shell et soutenue par une enveloppe de 2 milliards de dollars par an investie dans les énergies alternatives (bio carburant, solaire, éolien, distribution d’électricité, recharge de véhicules électriques, captage et stockage du carbone. » Un changement progressif de business model qu’il serait impossible de conduire sans l’aval des investisseurs.

Les fonds « responsables » accompagnent donc leur investissement dans les entreprises par le vote actionnarial et l’engagement. Toute société de gestion investie dans une entreprise en est actionnaire et acquiert par conséquent des droits de vote en assemblée générale lui permettant d’influencer la stratégie menée. La politique de vote en AG doit être empreinte de conviction, et entraîner l’opposition à certaines résolutions mauvaises pour l’environnement ou la société. Cette politique d’engagement se traduit aussi par un dialogue proactif en amont des assemblées générales et tout au long de l’année pour encourager les entreprises dans lesquelles l’argent est investi à adopter de meilleures pratiques environnementales.

Ceci est un extrait du livre « Placements verts, mythes et réalités: Ce que vous gagnerez à y investir » écrit par Guillaume Sommerer paru aux Éditions du Rocher (ISBN-10 : 2268104834, ISBN-13 : 978-2268104836). Prix : 18,90 euros. Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation des Éditions du Rocher.

« Placements verts, mythes et réalités: Ce que vous gagnerez à y investir » de Guillaume Sommerer

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Guillaume Sommerer est rédacteur en chef-adjoint à BFM Business. Depuis 2009, il présente la seule émission quotidienne dédiée à tous les épargnants : « Intégrale Placements ».

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