Modifier la valeur d’un paramètre utilisé lors du calcul de la pension due à un assuré social, est-ce une réforme ou un ajustement paramétrique ? Cette question est importante, car les gouvernants aiment bien être « aux manettes », et beaucoup d’entre eux ont le sentiment que prendre un décret modifiant l’âge légal de la retraite (ou l’âge pivot, dans un système un peu moins archaïque que le régime général français), c’est effectuer une réforme.
Faut-il dire que changer légèrement la valeur de service du point, à l’ARRCO-AGIRC, ou sa valeur d’achat, ou (dans le régime général) le nombre d’annuités donnant droit au « taux plein », c’est réformer ? Non ! c’est gérer, ce que les représentants des partenaires sociaux et la direction de l’ARRCO-AGIRC font assez correctement – du moins tant que les pouvoirs publics ne leur donnent pas le mauvais exemple.
Mieux vaudrait dépolitiser la gestion des retraites
Ce qui précède montre combien il est ridicule d’appeler « réforme », dans un régime par annuités, le fait d’augmenter d’un mois ou d’un trimestre la durée d’assurance requise pour avoir droit au « taux plein ». Il est pareillement ridicule, dans le cas d’un régime par points, de prétendre que le régime est « réformé » si ses responsables diminuent de 0,5 % ou de 1 % la valeur de service du point. Dès lors que ces simples actes de gestion courantes sont considérés comme des réformes, des décisions qui relèvent des pouvoirs publics, il n’y a plus de gestion au sens technique du terme : tout devient politique, les cadres dirigeants du système de retraite ne sont plus que les exécutants de décisions prises à l’Elysée, à Matignon, ou au Parlement, après discussion avec les syndicats.
Le législateur doit poser les principes directeurs, et ne pas se substituer aux gestionnaires
Il ne s’agit évidemment pas de préconiser une indépendance totale des gestionnaires du système de retraites par rapport au Gouvernement et au Parlement : les principes directeurs doivent être inscrits dans la loi. Encore faudrait-il que le Législateur français ne nous ait pas doté, comme il l’a hélas fait, d’une législation des retraites véritablement ubuesque.
Actuellement, le coeur de la législation des retraites par répartition, en France comme dans la plupart des pays, est l’attribution de droits à pension en raison du versement de cotisations dont le produit est destiné à être immédiatement distribué aux retraités. Cette législation économiquement absurde doit être remplacée : un principe directeur est indispensable, mais il doit ne pas être stupide. Les droits à pension doivent être attribués au prorata des efforts réalisés pour préparer les futures pensions.
Autrement dit, la loi doit cesser de poser comme règle que les droits à pension s’acquièrent en versant des cotisations au profit des retraités, puisque ces cotisations ne préparent en rien les pensions futures. Ce principe de base de la législation actuelle est absurde ; il doit être remplacé par une règle raisonnable, une règle qui ne soit pas une insulte au simple bon sens.
La législation doit être réaliste
Pour définir une telle règle, il faut regarder la réalité en face : nous préparons nos retraites en assurant le renouvellement des générations et en procurant aux jeunes une bonne formation, pas en payant la retraite des « anciens ». Tant que le législateur n’aura pas compris cela, tant que nos lois relatives aux droits à pension seront en contradiction avec la réalité, rien de sérieux ne sera possible en matière de réforme des retraites.
Concrètement, les cotisations génératrices de droits à pension devraient financer l’investissement dans la jeunesse : la grossesse, les prestations familiales, l’assurance maladie des enfants et des jeunes, les budgets de l’Education Nationale et des autres organismes de formation – bref, tout ce qui concourt à l’investissement dans le capital humain. La branche famille de notre Sécurité Sociale cesserait de se comporter comme une dame d’œuvre du XIXème siècle pour devenir, complémentairement aux parents, un grand investisseur en capital humain.
Ainsi doté d’une législation réaliste, la politique familiale française rajeunirait de trois quarts de siècle, retrouvant les intuitions de ses lointains pères fondateurs, à commencer par Charles de Gaulle, l’homme qui, à la Libération, osa expliquer aux Français que, s’ils ne faisaient plus d’enfants, la France ne serait plus qu’une grande lumière qui s’éteint.