Les conseils d’administration de Veolia et de Suez ont finalement donné leur accord au projet de fusion prôné par Antoine Frérot, avec un prix action relevé toutefois à 20,50 euros par action. L’épisode final d’une longue série. Depuis l’été 2020, la guerre que se livraient les deux fleurons de l’économie française, avec ses rebondissements sans fin, mettait les nerfs des salariés à rude épreuve.
« Socialement, cette OPA va être très incertaine… . Pour Sébastien Descours, fondateur d’Ethires, master de Philosophie Action, « Quelque que soit l’issue, aussi bien chez Veolia que chez Suez, les haines que cette longue crise à fait mûrir vont être difficiles à solder sans douleur. » La première des craintes des employés reste bien entendu l’emploi et sa pérennité. Selon Ludovic Dupin de Novethic, « M. Frérot garantit qu’il n’y aura aucun licenciement, c’est pourtant impossible d’imaginer qu’il n’y aura pas de doublon, notamment dans les fonctions support. Les syndicats parlent de 3000 à 4000 pertes d’emploi… »
Depuis le début de l’opération, les syndicats Suez faisaient front commun avec la direction, convaincus que la fusion se ferait à leurs dépens. Franck Reinhold Von Essen, délégué central CGT Suez l’affirmait encore quelques jours avant l’accord : « Les salariés se rendent compte qu’on veut détruire leur groupe et leur emploi. Font-ils partie d’un schéma qui leur permettra de rebondir soit dans le fonds Meridiam comme annoncé par M. Frérot soit dans d’autres entreprises ? C’est une incertitude qui pèse sur moral des troupes, en France et en Europe. Beaucoup trop de questions et peu de réponses… C’est dur à vivre pour les salariés. Et, en tant que syndicaliste, je ne sais pas comment Veolia nous considère : est-ce que nous sommes un facteur irritant, une composante ou une partie prenante ? Je ne sais toujours pas… »
La guerre de tranchées, en période de confinement, usait les nerfs. Quand les cendres auront refroidi, dans quel état seront les salariés du groupe ? Pour Jérémy Chauveau, délégué CFDT Suez : « L’état d’esprit des salariés est focalisé sur l’aspect sanitaire, mais, à côté, il y a la petite musique entêtante de l’OPA, donc l’état d’esprit est troublé, pas serein. Il va y avoir du changement quoi qu’il arrive et tout le monde en a conscience maintenant, c’est inquiétant pour les tous les salariés. Personne n’est capable de dire quelles seront les conséquences pour nous. Ce sera probablement le chaos. Est-ce que les deux leaders mondiaux peuvent se permettre de se retrouver dans une situation pareille ? »
Au-delà des dégâts en interne, l’image de ces deux vitrines du savoir-faire français risque d’en rester longtemps ternie. Selon Ludovic Dupin, directeur de la rédaction chez Novethic, « Pour ces deux groupes, la dimension RSE est centrale. Ils font attention à leurs parties prenantes, à leurs sous-traitants, c’est le cœur de leur métier. D’un point de vue économique et industriel, l’OPA a du sens. Deux groupes qui coexistent, la synergie industrielle est logique. Mais si le rachat se fait au détriment des conditions sociales, de la qualité de vie des salariés, de la qualité du travail fourni, ce sera tellement destructeur de valeurs que ce sera une catastrophe. »
L’une des dimensions primordiales de la fusion est bien là : Veolia parviendra-t-il à conserver l’expertise de Suez, ses techniques et son savoir-faire ? Pour cela, les hommes d’Antoine Frérot devront se concilier ceux de Suez. Parvenir à travailler ensemble, au risque de perte de valeur. Ludovic Dupin poursuit : « L’histoire nous montre que lorsque deux grands groupes fusionnent, la plupart du temps, il n’y a qu’une seule marque qui survit. Chez les « perdants », c’est très difficile pour les salariés parce qu’ils se sentent déconsidérés. Cela crée des ressentiments. Parfois, c’est bien géré comme chez Total, mais chez Engie par exemple, ces frustrations ont mis beaucoup de temps à s’effacer. Il faudra prendre très à cœur cette tension sociale. Les gens de Suez sont très attachés à leur marque. La direction de Veolia devra être sensible à l’identité de Suez et qu’elle réussisse à la conserver, sans la faire disparaître brutalement. » Lundi matin, à l’annonce de l’accord entre les deux groupes, l’intersyndicale de Suez, particulièrement mécontente dénonçait la « trahison » de leur direction. Pour la nouvelle entité Veolia Suez, rétablir la confiance avec les salariés prendra du temps.