Une liberté de plus est menacée : celle de l’enseignement scolaire réalisé par les parents. Qu’il me soit permis d’évoquer à ce sujet la façon dont les choses se sont passées dans ma propre famille.
Mon père et ses deux sœurs n’ont quasiment pas mis les pieds à l’école. Mon grand-père, jeune capitaine, et ma grand-mère, ont contracté en Indochine une grave infection, qui a emporté ma grand-mère. Le médecin militaire qui les a soignés a expliqué que si mon grand-père voulait conserver un père à ses enfants, il lui fallait s’établir dans une contrée très sèche, telle que la pampa argentine.
On lui trouva une nouvelle épouse, qui n’avait pas froid aux yeux, il acheta des terres pas très loin de la Patagonie, et y devint éleveur. Les trois enfants furent entièrement instruits, jusqu’au niveau du bac, par leur belle-mère. Mon père fut envoyé en France pour passer cet examen, ce qu’il fit sans difficulté, puis se mit au travail et, assez jeune, se maria, ce qui fit venir au monde 9 enfants. Le petit dernier, votre serviteur, se souvient très bien d’avoir appris à lire, à écrire et à compter avec sa maman, et d’avoir passé très peu de temps dans le primaire. Et son épouse a enseigné à leurs enfants les rudiments de la lecture et de l’écriture, sans aller aussi loin que la génération précédente, mais de façon très efficace.
Certes, je ne veux pas faire de cette saga familiale une sorte de modèle universel : dans certains cas l’enseignement familial est possible et performant, dans d’autres cas il ne ferait pas l’affaire. Mais pourquoi l’interdire ? Je rejoins mon collègue juriste, Guillaume Drago, lorsqu’il affirme dans Le Figaro du 9 octobre 2020 : « la famille est le premier lieu de l’éducation, et cette liberté est inaliénable ». J’ajouterai simplement qu’il est particulièrement incongru de vouloir attenter à cette liberté au moment même où des millions de parents ont pris la relève de l’Education nationale, dont le fonctionnement a été paralysé à un degré élevé par les mesures destinées à limiter la propagation du Covid-19. Si les parents n’avaient pas joué leur rôle d’éducateurs dans ces circonstances difficiles, le « manque à instruire » dû à la pandémie aurait été bien plus important. Et comme l’épidémie n’est pas terminée, le besoin d’implication parentale restera particulièrement élevé pour l’année scolaire qui débute, comme il l’a été pour celle qui s’est achevée en juillet dernier.
Il est donc particulièrement malvenu que le Président de la République veuille rendre obligatoire dès trois ans ce qu’il appelle « l’instruction à l’école ». Les parents ne sont pas des supplétifs que l’on fait travailler, gratis pro Republica, lorsque le service public est défaillant, et que l’on licencie sans prendre de gants dès que l’on estime pouvoir se passer d’eux.