La revanche de la mondialisation

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Par Etienne Henri Modifié le 7 janvier 2021 à 5h31
Crise Dette Mondialisation Responsabilite
@shutter - © Economie Matin
3,8%Selon l'OCDE, les Etats-Unis connaîtront une récession de 3,8% en 2020.

Pendant que l’Europe se recroqueville sur elle-même, de l’autre côté du monde, des accords se nouent et des perspectives se dégagent… Saurons-nous en tirer les bonnes leçons ?

La mondialisation est accusée de tous les maux.

Dans la rengaine politico-médiatique, elle « tue nos entreprises » et « fait disparaître nos emplois ». Cette année, à la faveur de la crise du Covid-19, elle se voit en prime décrétée responsable de la pandémie à cause des frontières ouvertes et d’un prétendu libre-échange entre la Chine et l’Europe.

Cette mondialisation, qui évolue dans l’imaginaire collectif de pair avec un fantasmé ultra-libéralisme des gouvernements européens, est sous le feu de critiques unanimes. Comment ne pas en vouloir à ce concept qui, en plus de nous ruiner depuis 20 ans, nous tue désormais ?

Tandis que l’Europe s’enferme en esprit comme en pratique (nos frontières, fermées depuis le mois de mars, ne montrent aucun signe d’ouverture), le reste de l’humanité continue sa progression régulière vers un monde plus ouvert.

Le 15 novembre, quinze pays d’Asie ont signé un nouvel accord de libre-échange. D’ampleur historique, il a été peu commenté dans nos médias obnubilés par le confinement et les chiffres journaliers de contaminations.

Cette cécité est hautement symbolique du décrochage de l’Europe par rapport au reste de la planète.

Voici pourquoi…

La mondialisation ne s’arrête pas pour tout le monde

Cet accord de libre-échange a été signé par les dix pays de l’Association des nations du sud-est asiatique (ASEAN), la Chine, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon. Il établit des règles pour le commerce électronique, la propriété intellectuelle ou encore l’origine géographique des produits échangés, et comprend naturellement un volet sur les taxes douanières qui ont vocation à diminuer dans les prochaines années.

Ce n’est pourtant pas par son côté fourre-tout que s’illustre le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP, ou Partenariat économique régional global). Il est, à ce point de vue, dans la lignée de la plupart des grands traités qui ont vocation à guider les politiques internationales sur le long terme.

C’est par son gigantisme que le RCEP mérite toute notre attention. Il s’agit ni plus ni moins que du plus grand accord international de l’histoire. Il est plus grand que l’accord qui lie les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, et dépasse même la taille de l’Union européenne.

Le RCEP crée de fait un marché harmonisé qui regroupe 2,2 milliards de personnes pour une production économique estimée à 26 200 Mds$ annuels. Ces chiffres donnent le vertige – et encore aurait-il pu inclure l’Inde, ce qui aurait porté son envergure à 3,55 milliards de personnes.

Si la plus grande démocratie du monde ne s’était pas retirée de l’accord l’année dernière, celui-ci aurait concerné plus de la moitié de l’humanité.

Un accord pensé pour être respecté

Contrairement aux idées reçues, le RCEP ne crée pas une zone de non-droit économique dont l’objectif caché serait d’aider la Chine à faire du dumping commercial.

L’accord trace en fait une trajectoire pour les années à venir sur différents sujets comme les échanges de propriété industrielle et les évolutions de barrières douanières.

Si la tendance est structurellement vers un allègement des taxes, certains pays ont toutefois négocié de pouvoir continuer à pénaliser les importations sur certaines denrées. Par exemple, le Japon maintiendra des taxes sur les importations de riz, de blé, de produits laitiers, de sucre, de bœuf et de porc pour protéger son agriculture locale.

Même avec les allègements douaniers qui auront bien lieu, l’impact du nouvel accord est plus la confirmation d’une tendance qu’une révolution : au sein de l’ASEAN, 70% des échanges commerciaux ont déjà lieu sans droits de douane.

Le RCEP est par conséquent moins l’application des recettes libérales qu’un cadre visant à fluidifier les échanges et la confiance entre les signataires. En multipliant les concessions et en étant conçu pour être gagnant-gagnant pour tous les participants, le RCEP fait le pari de survivre aux revirements politiques qui auront inévitablement lieu dans le futur.

La politique d’un côté, le pragmatisme économique de l’autre

Un des éléments les plus symboliques de cette signature est d’avoir retrouvé, autour de la table, la Chine et l’Australie.

Les deux pays se livrent actuellement une bataille médiatique sans merci. Leurs relations diplomatiques sont extrêmement tendues, le commerce international entre les deux partenaires historiques presqu’au point mort… et pourtant, Canberra et Pékin ont réussi à ne pas faire déborder leurs différents sur la signature du traité.

La ratification n’a pas empêché les deux pays de multiplier les escarmouches diplomatiques, la dernière en date remontant à la fin du mois de novembre soit 15 jours après la signature – mais il est important de souligner cette dichotomie entre les animosités affichées, probablement éphémères, et le pragmatisme économique de mise lorsqu’il s’agit d’engager son pays pour les prochaines décennies.

Ouverture ou fermeture, quel destin pour l’Europe ?

L’Europe, qui ne peut que constater de loin la naissance de cette zone de libre-échange dont elle est exclue, est à la croisée des chemins.

Elle peut soit se recroqueviller sur elle-même, soit accepter de signer des accords bilatéraux avec l’Asie.

L’expérience des zones économiques ayant fait le pari de l’autarcie montre que le repli sur soi est toujours synonyme de perte de compétitivité et d’appauvrissement général. Rendre son marché intérieur étanche au reste de la planète permet, certes, d’éviter la concurrence, mais a pour effet pervers de ne plus participer à la course mondiale vers le progrès.

Les citoyens de l’URSS ont mis des décennies à le réaliser – il ne tient qu’à nous de tirer les enseignements de cette expérience économique désastreuse.

Aux Etats-Unis, autre grand absent du RCEP alors que l’administration Obama avait beaucoup œuvré pour la signature d’un partenariat trans-Pacifique, la conclusion de l’accord a fait l’effet d’un électrochoc.

Wendy Cutler, vice-présidente représentant l’ASPI (Asia Society Policy Institute) à Washington, déclarait dans un communiqué que cet accord…

« […] rappelle que les partenaires commerciaux asiatiques ont pris confiance dans le fait de pouvoir commercer sans les Etats-Unis […]. Le retour sur la scène asiatique nécessitera de prendre conscience que la situation a changé [en quatre ans], de proposer des idées neuves et de prendre de nouvelles initiatives. »

La nouvelle administration Biden est attendue au tournant pour reprendre les discussions avec les principales puissances asiatiques afin que les USA puissent retrouver un rôle de leader dans les échanges internationaux.

L’Europe devrait s’en inspirer.

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Etienne Henri est titulaire d’un diplôme d’Ingénieur des Mines. Il débute sa carrière dans la recherche et développement pour l’industrie pétrolière, puis l’électronique grand public. Aujourd’hui dirigeant d’entreprise dans le secteur high-tech, il analyse de l’intérieur les opportunités d’investissement offertes par les entreprises innovantes et les grandes tendances du marché des nouvelles technologies.