Pour bien des secteurs économiques, l’année 2020 restera une annus horribilis. Parmi les activités les plus durement touchées, l’industrie aéronautique, victime d’une réduction draconienne du trafic aérien à cause de la pandémie mondiale, connaît une crise telle qu’elle n’en a encore jamais traversé. La France, dont c’est l’un des piliers économiques, n’est évidemment pas épargnée. Des poids lourds du secteur aux entreprises de taille plus modeste, toutes les sociétés ont connu une année difficile.
C’est sans aucun doute une première dans l’histoire du secteur aérien et de l’industrie aéronautique : à cause de la pandémie de Covid-19 qui a cloué des milliers d’avions au sol en 2020, le trafic aérien mondial a connu une chute de 60% du nombre de passagers. Une situation sans précédent qui a bien sûr eu d’énormes conséquences économiques pour toutes les entreprises du secteur aérien. Chez ADP, la perte nette sur l’année 2020 a dépassé le milliard d’euros, mais ce n’est rien comparé à la situation d’Air-France-KLM qui a subi un recul de son chiffre d’affaires de 59% et une perte nette de 7,1 milliards d’euros. Bien évidemment, les acteurs de l’industrie aéronautique ont été eux aussi très durement touchés par cette crise, dont les conséquences risquent de les impacter encore longtemps.
Les géants du secteur à la peine
Avec tous les avions cloués au sol, difficile de vendre de nouveaux appareils à des compagnies aériennes en grande difficulté financière. Forcément, les avionneurs ont connu une année compliquée. Chez Airbus, l’année 2020 s’est soldée par une perte nette de 1,1 milliard d’euros et une chute de 29% de son chiffre d’affaires, avec seulement 566 appareils livrés, soit un tiers de moins que l'année précédente. Mais si l’avionneur européen a limité les dégâts et s’en est bien mieux sorti que son principal concurrent, Boeing, qui n’a livré que 157 appareils et accusé des pertes colossales s’élevant à 11,9 milliards, il a tout de même dû consentir à de lourds sacrifices. Pour faire face à la crise, le groupe aéronautique a annoncé qu’il ne verserait pas de dividende et qu’il renonçait à ses objectifs annuels pour l’année 2020. Par ailleurs, Airbus a annoncé un plan de restructuration avec, à la clé, la suppression de 15000 postes dans le monde, dont un tiers en France, et qu’il renoncerait aussi au versement de dividende en 2021.
Pour Dassault Aviation aussi, les affaires ont connu quelques turbulences en 2020. « On a eu -25% sur l’année concernant l’aviation d’affaires », confie Éric Trappier, PDG de l’entreprise. Par ailleurs, l’avionneur français a vu ses ventes d’appareils s’effondrer en 2020 par rapport à 2019. En conséquence, le bénéfice net Dassault Aviation a chuté de 57%. Quant au groupe Safran, équipementier de premier rang dans les domaines de l'aéronautique, de l'espace et de la Défense, il a aussi connu une année difficile avec un résultat opérationnel courant en baisse de 55,9%, et un chiffre d'affaires en repli de 33%.
Des entreprises fortement fragilisées par la crise
Si les plus grosses entreprises ont vécu une année 2020 assez catastrophique, la situation est tout aussi délicate pour tous les acteurs de la supply chain : équipementiers, maintenance, logistique… Tous les sous-traitants des grands groupes industriels du secteur ont subi de plein fouet la crise liée au Covid-19. À tel point que la survie de certains d’entre eux pourrait être remise en question, du moins leur aptitude à honorer les contrats actuels et à venir. C’est le cas, notamment, de Sabena Technics, fournisseur français de services de maintenance et de modification pour l’aviation civile et militaire. « Aujourd’hui, l’activité aérienne civile est réduite de moitié après avoir été en recul de 85 %, en mars. Et ce niveau d’activité risque de stagner pendant plusieurs mois. Notre chiffre d’affaires, pour notre activité civile, est fortement affecté. », expliquait en octobre dernier Philippe Delisle, directeur du site de Sabena Technics de Dinard-Pleurtuit, en Bretagne. Pour l’entreprise, fortement impactée par les réductions draconiennes d’activités de l’aéronautique civil donc, il peut être tentant de tout miser sur son activité bénéficiant d'argent public, comme les prestations au profit de l'État, des armées notamment. Mais avec le risque d'agacer, au point de s'attirer des réponses officielles cinglantes. Ainsi, Sabena Technics a essuyé un cuisant revers avec la perte d’un important contrat de maintenance des Falcon de la marine Nationale. En effet, le ministère des Armées lui a préféré l’offre de son concurrent suisse Jet Aviation, qui gère déjà l’entretien des Falcon du Gouvernement et qui a fait une offre 40% moins chère. Une décision que l’armée justifie en affirmant que l’offre de Sabena est « de loin la moins bonne ». « En termes financiers, elle est significativement plus chère et ainsi pèserait beaucoup plus sur les deniers publics. En termes de performance, elle présente des objectifs de disponibilité des matériels plus réduits, alors que le ministère a fait du maintien en condition opérationnelle de ses équipements une priorité », indique le ministère des Armées. Et la situation pourrait devenir encore plus problématique si Sabena Technics perd le contrat de maintenance des Casa, dont l’échéance arrive à terme le 30 juin prochain.
Il est vrai également que les administrations régaliennes, qui ont besoin à la fois de visibilité sur le moyen et long terme, et de confidentialité pour certaines missions, sont peu enclines à s’engager avec des partenaires trop vulnérables, susceptibles de ne pas aller jusqu’au bout des contrats, d’être liquidés, restructurés voire rachetés par des capitaux étrangers.
Cette crise sans précédent n’épargne pas non plus les entreprises qui ont pourtant résisté à tout et ont traversé les décennies. Ainsi, Daher, avionneur et équipementier industrie et services fondé en 1863, se retrouve aussi dans la tourmente. Avec 60% de son activité qui dépend directement des différentes branches d’Airbus, le groupe familial a subi une forte baisse de son chiffre d’affaires estimée « entre 300 et 400 millions d’euros » pour l’année 2020. Pour faire face à cette baisse de son activité, Daher, qui emploie 10000 personnes, dont 8500 en France, a mis en place un plan social au terme duquel le groupe s’est séparé de 1700 personnes en CDD et en intérim. Et même si le plan de soutien au secteur aéronautique de l’État a permis d’épargner près de 600 emplois en CDI, il n’en demeure pas moins que 679 postes supplémentaires ont été supprimés. Malgré cette mesure exceptionnelle, le groupe n’est pas tiré d’affaire pour autant puisque, selon la CFDT, « un redressement du chiffre d'affaires et un retour à l'équilibre ne semblent pas envisageables avant 2022 ou 2023 ». Voilà qui n’est guère rassurant…
Figure légendaire de l’aéronautique, l’équipementier Latécoère sort lui aussi de l’année 2020 considérablement affaibli. Le groupe centenaire, qui s’est fortement endetté pour construire une « usine du futur » à Toulouse ainsi qu’ une usine dédiée à la fabrication du harnais principal de la radio navigation du Falcon 2000 en Inde et une autre pour les aérostructures en Bulgarie, commençait tout juste à récolter les fruits de ces investissements massifs quand la pandémie mondiale a mis un coup d’arrêt brutal à l’activité du secteur aéronautique. Alors que le groupe affichait un résultat opérationnel courant de 11,8 millions d’euros et une marge Ebitda positive en 2019, il a vu ces deux indicateurs s’effondrer avec un résultat opérationnel courant à -74,5 millions et une marge Ebitda qui à -10,3%. Les pertes, importantes, s’élèvent à près de 190 millions d’euros. Face à cette situation catastrophique, la direction du groupe a annoncé son intention de se séparer de près d’un tiers des salariés français, soit 475 sur 1500. Mais même avec une réduction de ses effectifs à l'échelle mondiale, une baisse de ses programmes d'achat et la diminution de ses coûts fixes, Latécoère ne prévoit pas une amélioration de sa situation de sitôt. L’équipementier anticipe notamment que son chiffre d'affaires sera inférieur de l'ordre de 25% par rapport à 2020. « Nous nous attendons à ce que des conditions difficiles perdurent en 2021 » a d’ores et déjà prévenu Philip Swash, le directeur général du groupe.