Le 5 mai 1992 Philippe Seguin alors député et chef de file du « Non » au traité européen de Maastricht déclare à l’Assemblée Nationale « L’Europe qu’on nous propose n’est ni libre, ni juste, ni efficace, elle enterre la conception de la souveraineté nationale ». A l’époque en France, le « Oui » au traité de Maastricht recueillait à peine plus de 51% des voix. Déjà les craintes liées à la perte de souveraineté économique alimentaient les débats en France.
Le déclin de l’Europe face à l’émergence de la Chine
En décembre 2020, Thierry Breton commissaire Européen au marché intérieur a déclaré « l’Europe a repris son destin en main ». Depuis 30 ans, la perte de souveraineté européenne s’est accentuée avec pour tournant l’année 2001 et l’adhésion de la Chine à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). A partir de ce moment, le poids de l’industrie dans le PIB a baissé pour l’Union Européenne passant de 16,8% en 2000 à 14,1% en 2018 avec une baisse encore plus significative pour la France passant de 14,5% du PIB en 2000 à 10,1% du PIB en 2018. Depuis 1980 l’Europe pèse de moins en moins lourd dans le PIB mondial. En effet la part de l’Europe dans le PIB mondial est passée de 21% en 1980 à seulement 12% en 2020 pendant que la part de la Chine dans le PIB mondial a elle fortement augmenté passant de 2% du PIB mondial en 1980 à 18% du PIB mondial en 2020.
Des marchés publics Européens totalement ouverts au reste du monde sans réciprocité
Chaque année, les administrations et les collectivités locales des 27 pays membres de l’Union Européenne (UE) passent commande à hauteur de 2400 milliards d’euros dont 50 milliards d’euros de contrats gagnés par des entreprises étrangères (2% des marchés publics européens). Le montant global des marchés publics hors UE est estimé à 8000 milliards d’euros par an et seulement 10 milliards d’euros de contrats sont remportés par les entreprises de l’UE (0,13% des marchés publics mondiaux). Une part significative du plan de relance européen de 750 milliards d’euros sera consacrée à la commande publique. Dans cette perspective, il est donc indispensable d’établir des garde fous et d’utiliser des outils tels que les normes environnementales ayant pour objectif de favoriser l’industrie européenne.
Le Digital Market Act et Digital Services Acts comme fondements de la souveraineté numérique Européenne
Le 15 décembre 2020, la commission Européenne a présenté 2 nouvelles législations : Le Digital Market Act (DMA) portant sur les règles de la concurrence dans le commerce en ligne et le Digital Services Act (DSA) qui précisera les responsabilités dans la diffusion de contenus en ligne avec en ligne de mire les « Gatekeepers » ou acteurs qui contrôlent des marchés entiers. La grande nouveauté de ces législations est l’utilisation de règles « ex ante » qui obligeront les grandes plateformes à respecter une liste de règles et d’interdictions. L’objectif est d’éviter le précédent de Google Shopping qui après 10 ans de procédure a payé à la commission Européenne une amende à postériori une fois que tous ses concurrents ont fait faillite.
Des échéances électorales décisives dans les prochains mois en Allemagne et en France
Thierry Breton a déclaré en décembre 2020 que « L’Europe n’a pas l’intention de devenir le champ clos des tensions entre la Chine et les Etats Unis. Elle existe et elle se donne les moyens d’exister de plus en plus par elle-même…L’Europe en a fini avec la naïveté ». Or, face à la stabilité du régime autoritaire Chinois et l’élection de Joe Biden aux Etats Unis, l’axe Franco-Allemand pilier de la construction européenne pourrait ne pas jouer le rôle de locomotive attendu compte tenu des prochaines échéances électorales. En effet, les élections législatives allemandes sont prévues en septembre 2021 et les élections présidentielles et législatives françaises sont prévues au printemps 2022 et les fins de mandat sont peu propices aux décisions stratégiques. Les rendez-vous démocratiques en France et en Allemagne devront permettre d’aborder d’une part les questions de souverainetés au niveau national avec la question délicate des modalités de remboursement de la dette qui en France est passée de près de 100% du PIB en 2019 à 120% du PIB en 2021. Et d’autre part de démontrer que l’Europe en a réellement « fini avec la naïveté » de ces 30 dernières années face à ses « alliés » et concurrents.