Dans un « point de vue » paru le 19 avril 2021, dans Les Echos, Michel Bon affirme : « Notre fonction publique a besoin de véritables patrons ! » Connu comme « patron », justement, de France Télécom, ce haut fonctionnaire a toujours eu un pied dans l'administration et un autre dans l'entreprise : c'est après avoir fait l'ESSEC, une de nos grandes écoles de commerce, qu'il est passé par l'ENA, et il a été aussi bien à la tête de Carrefour qu'au ministère des finances. C'est lui qui a conduit le passage de France Télécom à Orange. Peu d'hommes ont, à pareil degré, cette double expérience. Ce qui incite à prendre son message au sérieux.
Les velléités de réduction du nombre de fonctionnaires
François Hollande s'était engagé à stabiliser les effectifs des trois fonctions publiques - étatique, locale et hospitalière - et les dépenses correspondantes. Malgré cela, entre 2012 et 2015, le nombre de postes qui furent créés pour l'ensemble des trois grasses (je fais un mauvais jeu de mots, pas une faute d'orthographe) s'élève à 140 000.
En septembre 2015 le jeune ministre de l'Economie, un certain Emmanuel Macron, fit une déclaration de bon sens : le statut de fonctionnaire n'est plus adapté à certaines fonctions. Ce constat ne fut pas suivi d'effets. Deux ans plus tard, le projet du candidat à la présidence de la République cessa de porter sur une suppression de l'embauche sous statut pour certains postes ; il devint - théoriquement, bien sûr - la réduction des effectifs de deux fonctions publiques, celle de l'Etat et celle des collectivités locales (la « fonction publique territoriale »). L'objectif était une diminution des effectifs sous statut de 50 000 pour l'Etat et 70 000 pour les collectivités. Le coronavirus a dispensé la Présidence et le Gouvernement d'avoir à fournir des explications relatives à l'abandon de cet objectif, abandon qui semble avoir été décidé dès avril 2019.
Quel devrait être l'objectif ?
Réduire le nombre de postes dans les fonctions publiques ne peut pas constituer en soi un objectif. Le but que doivent se fixer nos dirigeants est de fournir de bons services publics pour un coût raisonnable : un bon rapport qualité/prix. Prenons la fonction publique hospitalière : nous n'avons pas trop d'infirmières et d'aides-soignantes ; en revanche, comme l'explique fort bien le professeur (de médecine) Michaël Peyromaure dans son livre Hôpital, ce qu'on ne vous a jamais dit, il y a dans les hôpitaux une profusion de gratte-papiers non seulement inutiles, mais gênants. Payés pour que le fonctionnement de l'hôpital soit un exemple caricatural de la pire bureaucratie ! Il ne s'agit donc pas de faire des économies sur les soins, mais sur le dispositif administratif qui, au lieu d'être au service de la médecine, coûte « un pognon de dingue » sans apporter ce dont les patients et les soignants ont besoin.
Un exemple de ce qu'il ne faut pas faire
Isabelle Saporta, dans son ouvrage Rendez-nous la France, donne un exemple de caporalisme de la technostructure qui mine trop souvent les efforts de « la base » pour, vaille que vaille, trouver des solutions. Citons-la. « Au plus fort de la crise, le CHU de Tours propose au CHU de Reims, alors débordé par les malades, de prendre huit patients en réanimation. (…) Un bus est affrété pour effectuer le transfert. Sauf que, une heure après son départ, et alors qu'il est déjà bien engagé sur l'autoroute, la technostructure le somme de rebrousser chemin. (…) C'est un ordre qui venait directement du PC de crise à Paris, qui devait absolument TOUT valider. Le transfert a donc été suspendu car « il nécessitait d'être mieux coordonné ».
Cette sottise caricaturale, liée à la volonté de réduire les acteurs de terrain au rôle de simples exécutants de directives venues « d'en haut », montre que nous en sommes toujours au stade dépeint en 2010 par Zoé Shepard dans son livre-témoignage relatif au fonctionnement d'une administration régionale : « Plongée dans un univers où incompétence rime avec flagornerie, ses journées sont rythmées par des réunions où aucune décision n'est jamais prise, des rapports qu'elle doit rédiger en dix jours (quand deux heures suffisent), des pots de bienvenue, de départ, d'anniversaire . »
Une révolution est nécessaire - mais pas n'importe laquelle !
Devant un tel constat, l'objectif ne peut être que radical : la France doit se doter de hauts fonctionnaires préparés à travailler et faire travailler sérieusement, adoptant un comportement managérial efficace, axés sur la réalité, sourds aux appels du snobisme et du conformisme.
« Ce n'est pas une révolte, Sire, c'est une Révolution » : cette réponse du duc de la Rochefoucauld à Louis XVI le lendemain du 14 juillet 1789 devrait nous guider. Nous avons besoin, comme l'Ancien Régime, de changements d'envergure, réalisés sans attendre que la société se fracture et se déchire.
En 2007, Jean-Michel Fourgous publiait L'élite incompétente, ouvrage sous-titré Comment les hauts fonctionnaires mènent la France à la faillite . La compétence de l'élite n'est certes pas la seule condition du redressement de la France, mais elle est vraisemblablement la plus importante. Et quand le Roi n'est pas capable de lancer la révolution nécessaire, d'autres s'engouffrent dans l'espace laissé ainsi inoccupé, ce qui peut conduire aux pires malheurs.