En 2020 selon l’INSEE, 8% des élèves en France sont qualifiés de « décrocheurs ». Un chiffre qui reste bien trop élevé pour notre pays des Lumières. Problème de motivation des élèves ? Enseignements inadaptés ? Incapacité du système à intéresser les nouvelles générations ? En outre, en éloignant les élèves du lieu d’apprentissage et en rendant l’accès à l’éducation dépendant d’un équipement informatique et d’une connexion internet, la crise de Covid n’a fait qu’amplifier le phénomène.
Or, pour embarquer tous les élèves dans un dispositif éducatif adéquat, une solution existe : l’ancrochage. Néologisme issu de la contraction des verbes ancrer et accrocher, cette méthode préventive permet de mobiliser les apprenants et de les rendre acteurs de leur propre apprentissage. Testé et approuvé par l’enseignement agricole, il est temps de démocratiser l’ancrochage à grande échelle.
Arrêtons de parler « d’échec » et de « décrochage » scolaires
La grande majorité des méthodes éducatives françaises s’inscrivent dans une vision curative, voire palliative, mais rarement préventive. De plus, les dispositifs de lutte contre le décrochage ne ciblent les jeunes qu’à partir de 16 ans alors que ce phénomène commence souvent bien avant. Il est temps de changer de paradigme et d’encourager l’ancrochage en amont, plutôt que de tenter de « raccrocher » des élèves démobilisés. Il n’est en effet pas question de motivation mais bien d’implication et d’adhésion à la démarche pédagogique et éducative proposée. N’oublions pas que contrairement aux travailleurs employés, les élèves ne sont pas rémunérés pour apprendre. Il faut ainsi pouvoir développer le travail d'ingénierie pédagogique et didactique des personnels pour permettre la recherche de la motivation chez les apprenants. Autrement dit, ce n'est pas aux apprenants de travailler leur motivation par eux-mêmes !
Ajoutons à cela que plus on parle de décrochage, plus on culpabilise les jeunes en rejetant sur eux les raisons de leur « échec ». Ce sont eux qui n’auraient pas compris comment ils doivent apprendre, et qui seraient responsables de leur manque de motivation. Le syndrome de la dictée en est l’exemple probant : nous avons trop souvent tendance en France à pointer l’écart négatif par rapport à l’attendu, sans valoriser l’écart positif ou l’attendu atteint. Ces constats mettent aussi en avant la faiblesse de notre système éducatif qui n’est plus adapté à la société d’aujourd’hui. Parler d’ancrochage et s’interroger sur ce qui permet aux jeunes d’adhérer aux propositions qui leur sont faites nous oblige à faire évoluer l’école vers plus de pertinence.
J’ancroche, tu ancroches, nous ancrochons…
Dans l’enseignement agricole, la démarche pédago-éducative de l’ancrochage propose d’accompagner chaque jeune vers sa réussite. Concrètement, elle se décline selon plusieurs axes qui permettent d’impliquer les élèves. La première dimension est pédagogique : il s’agit de faire en sorte que l’apprentissage disciplinaire ait une résonnance chez le jeune et soit contextualisé en fonction de sa filière. Vient ensuite l’approche structurelle qui adapte l’emploi du temps pour favoriser l’implication des jeunes, avec par exemple des semaines thématiques ou des enseignements pratiques interdisciplinaires. Le pilier professionnel est également essentiel puisqu’il permet, par le biais de stages notamment, d’immerger les jeunes dans le monde professionnel. S’ajoute à cela une dimension sociale qui crée du lien avec les territoires via des actions avec les mairies, écoles, ehpad… Enfin, l’axe citoyen permet de développer le vivre ensemble, essentiel à toute vie en société.
Les démarches d’ancrochage ont pour objectif la réussite personnelle, sociale et professionnelle de chacun. Il s’agit de montrer aux jeunes que ce qu’ils font en cours n’est pas dénué de tout intérêt sociétal. Dans l’enseignement agricole, les compétences s’acquièrent sur le terrain et les référentiels de formation reposent sur les capacités et non sur les disciplines. Les mathématiques ou le français ne sont pas une fin en soi, mais des outils qui rendent capables (de gérer un imprévu, de monter un projet…). On peut les retrouver à différents endroits du référentiel. Cela permet de percevoir différemment les enseignements et de leur donner plus de sens.
L’enseignement agricole ne doit pas rester le seul terrain d’expérimentation de l’ancrochage
L’enseignement professionnel en France souffre toujours d’une mauvaise image. Les établissements professionnels ou agricoles sont souvent le lieu d’accueil des élèves considérés « décrocheurs ». Cette orientation peut être perçue comme un déterminisme. Or, l’ancrochage – spécificité de l’enseignement agricole – est non seulement une évolution majeure pour le système éducatif mais est aussi transposable plus largement au sein de l’Éducation nationale. Et ça marche ! L’apprentissage de compétences transversales, la dimension inclusive dans l’accueil et l’accompagnement de chacun pour une insertion professionnelle et sociale réussie, le passage d’un statut d’élève spectateur à celui de jeune acteur voire auteur de ses apprentissages, sont des méthodes qui ont fait leurs preuves et ne demandent qu’à rayonner plus largement.
L’enseignement, qu’il soit général ou professionnel, doit correspondre à la société actuelle. Il est urgent de faire bouger les lignes pour remettre l’apprenant au cœur de son apprentissage. C’est lui qui doit guider les évolutions éducatives. L’enseignement agricole a pris cette liberté, pour le bien de ses apprenants et de ses équipes pédagogiques.
Sonnons la fin du classicisme scolaire en nous appuyant plus largement sur l’ancrochage. Osons collectivement. Aidons nos jeunes à adopter une posture réflexive et à développer leur sens critique. Ayons plus d’audace pour enfin réduire les inégalités et gommer les disparités qui gangrènent nos systèmes éducatifs. C’est l’évolution structurelle et organisationnelle de notre société qui est en jeu.