Mois après mois, les chiffres de l’inflation croissent, et les responsables politiques ou économiques soutiennent à chaque fois qu’ils finiront par retomber. Qu’en est-il vraiment ?
A la mi-octobre, le département du Travail US nous a informé de ceci :
En septembre, les prix à la consommation ont bondi à leur plus haut niveau annuel en 13 ans… à 5,4%.
Les prix de l’énergie ont augmenté de 1,3%, et de près de 25% depuis septembre dernier.
Les prix de l’alimentation ont augmenté de 0,9% depuis le mois dernier, et de 4,6% sur l’année.
Les oeufs et différentes viandes ont augmenté de 10,5%, cette année. Des viandes spécifiques – le boeuf – ont augmenté de 17,6%, cette année.
Si vous êtes à la recherche d’une explication, M. Brian Cosby, de Traub Capital Partners, est l’homme qu’il vous faut :
« Les prix à la consommation continuent d’augmenter, particulièrement dans un contexte où la demande stimulée par les gens reprenant leur vie après la vaccination dépasse une offre de plus en plus limitée par les pénuries de logistique et de main-d’oeuvre. »
L’escalade des prix est si extravagante que la Sécurité sociale US a relevé de 5,9% son indexation sur le coût de la vie.
C’est la plus forte augmentation annuelle en près de 40 ans. Au cours des dix dernières années, elle a représenté 1,65%, en moyenne.
L’inflation pourrait-elle vraiment atteindre 14% ?
Nous n’avons pas eu le cœur de consulter le site de John Williams, ShadowStats. Car cet homme dissipe les flous statistiques dans lesquels nous plonge le gouvernement afin de masquer l’inflation réelle.
Nous avons eu peur d’être troublés et ébranlés par des chiffres véridiques et d’avoir le moral encore plus en berne. Alors nous avons chargé quelqu’un d’autre de le faire. Et grâce à lui, M. Williams nous apprend ce qui suit :
Le taux d’inflation officiel de 5,4% est véridique. Pourtant, si ceux qui trafiquent les chiffres, au gouvernement, évaluaient l’inflation à la manière de 1990, il serait de 9%.
Pire, s’ils l’évaluaient selon les règles de 1980, alors l’inflation galoperait et dévorerait des dollars à un taux de 14% par an, approximativement.
Le prix de la victoire
En 1981, et selon les règles de 1980, l’inflation s’est élevée à 15%. Pour étouffer la menace inflationniste, Paul Volcker a relevé les taux des Federal funds (les fonds déposés à la Fed par les banques commerciales et autres institutions financières) à 20%, un niveau sidérant.
Il a gagné sa guerre, vaincu son Hitler… à un prix terrifiant : la liste des victimes fut atroce.
La récession de 1981-1982 qui a suivi a en fait représenté le choc économique le plus violent depuis la Grande Dépression.
Cette guerre dévastatrice menée par Volcker a néanmoins ouvert la voie aux années d’expansion qui ont suivi.
Mais revenons à nos jours… Si John Williams nous indique bien le taux d’inflation réel, son taux actuel de 14% se rapproche des 15% de 1981.
Et si l’inflation n’était pas transitoire ? Cliquez ici pour lire les conséquences que cela aurait…
Et si l’inflation n’était pas transitoire ?
A la différence de 1981, les taux des Federal funds sont actuellement proches de zéro, et ils vont probablement le rester sur une bonne partie de l’année 2022.
Alors, cela fait planer la question suivante :
Si l’inflation n’est finalement pas « transitoire », comme le croit M. Powell, et qu’au contraire elle continue de galoper… comment va-t-il la gérer ?
« Le principal risque serait que les pénuries se prolongent plus longtemps que prévu et que les prix augmentent plus fortement », avertit Neil Shearing, de Capital Economics.
« Nous nous préparons à des probabilités et à des éventualité », indique Jamie Dimon, le PDG de JPMorgan, « et », poursuit-il, « l’une de ces probabilités serait que l’inflation augmente davantage que les gens ne le pensent ».
Des dissensions dans les rangs
Et même les responsables de la Fed commencent à « tousser » nerveusement, et à nourrir de sérieux doutes concernant la théorie de l’inflation transitoire.
Par exemple, M. Raphael Bostic, président de la Fed d’Atlanta, a déclaré ce qui suit :
« Il devient de plus en plus clair que, dans cet épisode, l’élément qui alimente la pression sur les prix – principalement des perturbations intenses et généralisées sur la chaine d’approvisionnement – ne sera pas de courte durée. Les données provenant de multiples sources indiquent qu’elles devraient durer plus longtemps que la plupart des gens ne le pensaient au départ. Selon cette définition, ces dynamiques ne sont pas transitoires. »
Nous hasardons ceci : cette affaire exigerait une sérieuse manipulation du taux des Federal funds… à la hausse.
Sauf que, bien entendu, notre ami Powell ne peut relever considérablement ces taux.
Piégés à zéro
Même avec un retour aux taux moyens historiques – vers 5%, peut-être – l’économie coulerait à pic et deviendrait un champ de ruines.
Selon M. Lance Roberts, de Real Investment Advice :
« Le problème, cependant, entre aujourd’hui et les années 1970, ce sont les niveaux d’endettement et de levier colossaux présents au sein de l’économie américaine. Par conséquent, tout relèvement significatif des taux entrainerait immédiatement des poussées de récession au sein de l’économie. »
Imaginez-vous un taux de 20% ? Là, le ciel nous tomberait sur la tête.
Nous devons également considérer les taux à long terme.
Les Etats-Unis ploient sous une dette qui représente des multiples de celle de 1981. Le coût du service de la dette actuelle qui s’élève à 29 000 Mds$ serait paralysant.
Il n’est soutenable que parce que les taux actuels sont imperceptibles.
Le choix de Hobson
On ne peut pas laisser l’inflation s’emballer et bousculer le dollar.
Que fera M. Powell, si l’inflation persiste ?
Il pourrait se retrouver aux prises avec un cruel dilemme.
Etouffer l’inflation, ce qui reviendrait à étouffer l’économie… Ou laisser l’inflation suivre son cours, ce qui matraquerait le dollar, et ensuite l’économie.
Mais nous devons envisager cette possibilité : des dynamiques économiques profondément enfouies pourraient libérer le pauvre homme de son dilemme.
Un monde différent
Selon Lance Roberts, déjà cité plus haut :
« Historiquement, les taux d’intérêt ont augmenté au cours de trois périodes antérieures. Au cours du pic économique/inflationniste du début des années 1860 et, à nouveau, durant « l’Age d’or », de 1900 à 1929. La période la plus récente s’est déroulée au cours du long cycle manufacturier, pendant les années 1950 et 1960. Ce cycle suivait la fin de la Deuxième guerre mondiale, période où les Etats-Unis étaient l’épicentre manufacturier du monde…
Aujourd’hui, les Etats-Unis ne sont plus l’épicentre manufacturier du monde. La main-d’œuvre et le capital se déplacent vers les fournisseurs low-cost pour exporter de manière effective l’inflation à partir des Etats-Unis, et la déflation est importée. Les gains technologiques et de productivité finissent par réprimer les taux de croissance des salaires et de la main-d’œuvre, au fil du temps… »
Ce n’est pas la situation actuelle :
« Au cours de la période actuelle, la croissance économique réelle reste terne. De plus, le chômage réel demeure élevé, des millions d’individus n’étant plus comptabilisés, tout simplement, ou travaillant à temps partiel pour boucler les fins de mois…
Il y a une différence cruciale : le taux de croissance démographique qui, à l’opposé de l’ère de la Dépression, baisse régulièrement et considérablement depuis les années 1950. Ce déclin de la croissance démographique et des taux de fertilité va potentiellement aboutir à de nouvelles complications économiques, à mesure que la génération des baby-boomers partira à la retraite et pèsera sur l’infrastructure financière. »
Pas de pression à la hausse sur les taux
Alors devons-nous en conclure, M. Roberts, que les taux vont demeurer figés ?
« Au bout du compte, les taux d’intérêt sont le reflet de la croissance économique, de l’inflation et de la vélocité monétaire [NDLR : vitesse de circulation de l’argent]. Par conséquent, considérant que le monde baigne dans la déflation provoquée par un faible rendement économique et des niveaux de vélocité monétaire extrêmement bas, il n’existe aucune pression en faveur d’un relèvement considérable des taux…
Les taux augmentent conjointement à des niveaux de croissance économiques plus substantiels. Et il en est ainsi car une croissance plus substantielle génère des salaires et de l’inflation plus élevés, ce qui fait augmenter les taux en conséquence… »
Pour conclure :
« Aujourd’hui, malgré des milliers de milliards de dollars d’interventions, des taux d’intérêt à zéro, et de multiples renflouements, l’économie n’a pas encore réellement accéléré, en particulier dans « Main Street » [NDLR : l’économie réelle, mise en relation avec Wall Street, l’économie financière].
Les catalyseurs nécessaires à la création de la croissance économique exigée pour faire augmenter les taux d’intérêt substantiellement plus haut, comme on l’a vu avant 1980, ne sont pas disponibles aujourd’hui. Et ce sera ainsi pendant des décennies à venir. »
Un bien et un mal
Alors voici la nouvelle positive, en partant du principe que cette analyse tient la route : l’inflation va retourner dans sa cage, une fois que les chaînes d’approvisionnement interrompues seront reconnectées. Les taux d’intérêt ne vont pas flamber. Ils ne vont pas envoyer l’économie sur des trajectoires opposées.
A contrario, il pourrait également se produire ceci : l’avenir pourrait être un pénible marathon, avec une croissance difficile, des revenus stagnants et un marasme économique.
C’est-à-dire que nous pourrions être confrontés à un avenir sans effondrement brutal, mais qui serait gris et crépusculaire, où le mal-être serait coutumier.
A l’image d’un mois de novembre sombre et pluvieux qui se prolongerait mois après mois, année après année.
Lequel est le pire ?
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