Les taux longs restent cohérents avec leurs fondamentaux et devraient continuer à augmenter

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Par Florian Ielpo Publié le 9 novembre 2021 à 5h34
Fed Etats Unis Taux Directeurs
@shutter - © Economie Matin
0,25%Les taux directeurs de la FED sont à 0,25%.

Cette année, les taux d'intérêts à long terme ont su jouer un rôle clef pour comprendre et anticiper les fluctuations de marché : leurs hausses et leur baisse a ainsi dessiné les contours d'une rotation qui reste encore à ce jour incertaine au sein des classes d'actifs. Depuis début aout, les taux sont à nouveau orientés à la hausse, et nous nous attendons à ce que cette tendance continue. Cette remontée des taux pose naturellement la question suivante : jusqu'où cette hausse des taux peut-elle aller ? Nous pensons que pour répondre à cette question il est nécessaire d'embrasser toute l'étendue des fondamentaux de ces variations de taux.

Dans un article publié en 2011 dans le Journal of Finance intitulé sobrement « Discount Rates », John Cochrane alors professeur d'économie financière à Chicago présentait l'idée que les fluctuations des taux d'intérêts expliquaient à elles seules 100% des fluctuations du ratio prix sur dividende : ce que les dividendes n'expliquent pas du comportement des actions, ce sont les variations de taux d'intérêt qui l'expliquent. Il ne s'agit ici pas de faire le raccourci simpliste que la politique monétaire gouverne les actions, mais de comprendre qu'empiriquement, les hausses et les baisses des taux longs ont une influence significative sur celui-ci. Le lecteur peinera à trouver sur la période 2020-2021 des exemples infirmant la conclusion de Cochrane : comprendre les taux, c'est comprendre une large part des actions.

Lorsque l'on s'interroge au sujet des fluctuations de taux, une confusion vient naturellement – d'autant plus aux enfants du « quantitative easing » - entre les moteurs des taux courts et des taux longs. C'est cette confusion qui amène certains à penser que les taux longs sont déconnectés de leurs fondamentaux. Les taux courts dans la plupart des économies suffisamment mature sont gouvernés par la banque centrale : ils reflètent donc ses objectifs qui sont généralement le contrôle de l'inflation et de l'activité économique de façon directe ou indirecte. C'est ce qu'a théorisé John B. Taylor en 1993 et qu'on connait aujourd'hui sous le nom de règle de Taylor : les taux courts sont empiriquement une fonction de l'inflation anticipée et de différentes mesures anticipées de l'activité économique et du marché du travail. Un taux directeur aux US et en Europe à respectivement 0.25% et 0% sont le reflet des anticipations des banques centrales : une inflation et une croissance élevées mais temporaires, assorties de risques davantage à la baisse qu'à la hausse. La version de cette même règle de Taylor basée sur l'inclusion de la situation sur le marché de l'emploi américain conclut qu'avec les niveaux d'inflation actuels, le taux directeur devrait atteindre 2.45% : on est loin de 0.25%, sans pour autant tutoyer les 10%. Oui, les taux directeurs sont trop bas de 1%, la Fed a donc un effet stimulant sur son économie. L'amélioration des perspectives économiques devrait conduire la Fed à remonter son taux directeur ces prochains trimestre : le marché anticipe déjà une hausse de taux fin 2022 – rien de déconnecté ici, un simple jeu d'anticipations.

Avec l'avènement du « quantitative easing », la BCE, la BoE ou encore la BoJ ont étendu leur influence à la partie longue de la courbe des taux. La tentation de formaliser une « règle de Taylor » des taux longs est forte. Lorsqu'on mène une régression similaire à celle de Taylor, le pouvoir explicatif du modèle s'effondre et les paramètres du modèle deviennent notoirement instables. Si le raccourci intellectuel est attrayant, il n'en n'est pas moins réfuté par les données de marché : les taux longs ne répondent pas qu'au cycle économique. Comme détaillé par John Cochrane dans « Discount factor », il existe quatre grands facteurs des taux : la situation macroéconomique certes, mais aussi des facteurs comportementaux, des effets de structure qui dépendent des types d'investisseurs ainsi qu'un facteur de liquidité. Depuis deux ans, si l'élément macro-économique peut expliquer une partie des niveaux atteints, il n'est pas seul. L'énorme niveau d'épargne aujourd'hui stocké sous forme de liquidités sur des comptes de dépôt de part et d'autre de l'Atlantique forment une force baissière sur les taux longs, par l'entremise des taux réels. Rien qu'aux Etats-Unis, ces comptes de dépôts ont atteint 5 300 milliard en avril 2021 pour reculer depuis lors de 800 milliard. En 2018, ces mêmes dépôts s'étaient contractés de 500 milliards, expliquant une remontée des taux réels de 50 points de base. La baisse de 800 de cette année n'a vu les taux réels remonté que de 25 points de base : rien de surprenant, la Fed pèse sur le marché ralentissant la progression des taux réels. Au meeting de novembre, Jérôme Powell devrait engager la Fed sur la voie de la normalisation alors que les comptes de dépôt devraient continuer à se vider : il reste probablement 25 points de base de taux réels à rattraper alors d'ici la fin du trimestre. Pour ce qui est d'une perspective de plus long terme, une normalisation de la politique monétaire, de l'épargne et un retour de l'investissement à son niveau pré-pandémie impliquerait un retour de taux réels vers 0.5%. Ceci, combiné à une prime inflation de 2.5% (la cible de la Fed) ramènerait les taux vers 3% au total en fin de cycle – 0.5% au-dessus de la prévision de la Fed de son taux court pour le long terme. Rien n'a dire : les fondamentaux sont là et les valorisations devraient progressivement s'y adapter.

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Head of Macro, Lombard Odier IM