Le plan de relance « Next Generation UE » profite de la crise pour créer un précédent

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Par Stéphane Monier Modifié le 13 décembre 2022 à 20h37
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1850 MILLIARDS €La BCE a dépensé 1850 milliards d'euros au titre de son programme d'urgence lié à la pandémie

L'une des conséquences de la crise du Covid pourrait être un pas en direction d'une intégration plus étroite de l'Union européenne (UE), alors que le bloc investit dans la rénovation de ses infrastructures. Le choc de la pandémie a permis une percée historique dans la coopération budgétaire européenne avec un mécanisme d'émission de dette à faible taux d'intérêt, ou mutualisation de la dette. Cela permet d'améliorer la solvabilité des Etats et élimine certains risques liés à l'euro.

La crise du Covid a mal commencé pour l'UE. Lorsque la pandémie a éclaté en mars 2020, l'Italie s'est trouvée en première ligne et elle a aussi été le pays le plus durement touché. L'Italie a ainsi imposé les premiers confinements et, face à la pénurie d'équipements médicaux, a accepté du matériel de Russie, les équipements de ses voisins les plus proches étant réservés en priorité à l'utilisation nationale. Cette incapacité à apporter un soutien a alimenté les critiques sur la capacité et la volonté de l'UE à se coordonner en cas de crise.

Les critiques relatives à ce manque d'action commune se sont estompées lorsque, le 21 juillet dernier, l'UE a conclu un programme « Next Generation UE ». Le plan prévoit 750 milliards d'euros pour surmonter la crise liée au Covid-19 et les défis de la transition vers des économies décarbonées. Le paquet comprend 360 milliards d'euros de prêts, 312,5 milliards d'euros de subventions et 77,5 milliards d'euros d'autres programmes et financements. Les subventions accordées aux Etats membres sont soumises à des conditions : un minimum de 37% doit être alloué à la lutte contre le changement climatique et 20% aux infrastructures numériques.

Le changement le plus important dans les dépenses de l'UE en vertu de cet accord concerne les prêts. La Commission européenne peut désormais émettre des emprunts à taux bas au nom des 27 Etats membres, garantis par la Banque centrale européenne.

A plus long terme, cela modifie la fonction financière de la Commission en offrant à des gouvernements tels que l'Italie l'accès à des taux d'emprunt plus bas. Avant la pandémie, la mutualisation de la dette par le biais d'obligations émises au nom de la Commission était considérée comme impossible. Depuis l'accord de juillet, l'écart de rendement entre les obligations d'Etat italiennes à 10 ans et leurs homologues allemandes a diminué de 45 points de base à 1,2%, reflétant la nouvelle réalité.

Après avoir créé un précédent lors de la pandémie avec l'accord conclu en 2020, la question de savoir si le mécanisme de prêts et de subventions sera à nouveau utilisé dépend de la manière dont les dépenses sont maintenant mises en oeuvre.

Comparaison internationale

On estime que ce budget représente jusqu'à 5% du produit intérieur brut (PIB) total de l'UE. Avec l'accélération des programmes de vaccination nationaux, nous pensons que les perspectives d'expansion économique dans la région se sont améliorées et nous avons revu à la hausse nos prévisions de croissance du PIB de la zone euro, de 4,3% à 4,6% pour 2021.

La Chine, le Royaume-Uni et la Suisse consacrent tous une part similaire de leur PIB à leurs reprises respectives (voir graphique). A première vue, le plan de relance de l'UE peut sembler modeste par rapport aux trois plans américains annoncés cette année, qui totalisent 4'000 milliards de dollars de dépenses dans les infrastructures, la santé et l'aide sociale. Toutefois, une comparaison directe ne tient pas compte du fait que les besoins des Etats-Unis en matière d'investissements dans les infrastructures publiques et de filets de sécurité sociale sont beaucoup plus élevés que dans l'UE. La comparaison ne tient pas non plus compte des stabilisateurs budgétaires automatiques de l'UE qui équilibrent les impôts et les prestations disponibles au fil des cycles économiques. Enfin, dans une comparaison directe, le budget européen commun exclut également les dépenses nationales en matière de changement climatique. Néanmoins, le paquet de mesures de l'UE ne semble pas assez ambitieux pour permettre au bloc de respecter ses engagements de réduire de 55% ses émissions de carbone d'ici à 2030 et d'atteindre son objectif de zéro émission nette en 2050.

Les quatre grands budgets

En avril, les Etats membres ont commencé à soumettre leurs priorités en matière de dépenses à la Commission européenne. Ensemble, les quatre plus grands membres de l'UE (l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne) représenteront environ 45%, soit plus de 342 milliards d'euros, du budget total. Les versements devraient commencer dès le milieu de cette année.

Les dépenses prévues par l'Italie sont les plus importantes. Avec des dépenses totales de 205 milliards d'euros, sans compter 30,6 milliards d'euros de financement national, l'Italie est le seul de ces quatre Etats membres qui prévoit d'utiliser immédiatement le mécanisme de prêt. L'Italie, le pays de l'UE le plus touché par le Covid-19, a vu son PIB chuter de près de 9% en 2020, contre une baisse de 6,2% pour l'UE dans son ensemble. Le pays a enregistré plus de 123 000 décès, soit la mortalité la plus élevée de la région derrière le Royaume-Uni.

En février, l'Italie a nommé l'ancien président de la BCE, Mario Draghi, au poste de premier ministre technocrate, avec le double mandat de superviser le programme de vaccination du pays et de distribuer les fonds « Next Generation ». Selon le gouvernement, les investissements évalués à 261,1 milliards d'euros au total (l'équivalent de 15,1% du PIB actuel de l'Italie) devraient permettre d'augmenter le PIB de 3,6% en cinq ans. Au total, les investissements et les dépenses de relance effectués pendant la crise pourraient faire grimper la dette publique jusqu'à 160% du PIB, selon les estimations.

Le plan de dépenses de M. Draghi souligne le retard actuel de l'économie italienne par rapport à ses voisins. Au cours des deux décennies qui ont précédé 2019, le PIB de l'Italie n'a augmenté que de 7,9%, contre 30,2% pour l'Allemagne et 32,4% pour la France, indique le plan. Le pays a également enregistré une productivité plus faible, a moins investi dans son infrastructure numérique et a été lent à adopter les nouvelles technologies. En outre, selon le gouvernement, l'Italie est particulièrement vulnérable face aux changements climatiques liés à l'élévation du niveau de la mer, aux vagues de chaleur, à la sécheresse et aux glissements de terrain.

De grandes ambitions

L'Espagne prévoit de dépenser 70 milliards d'euros de subventions de l'UE et se laisse la possibilité de contracter 70 milliards d'euros supplémentaires de prêts avant 2026. Le plan du gouvernement met l'accent sur les énergies renouvelables et la mobilité ferroviaire, ainsi que sur les investissements dans les soins de santé et les télécommunications. Sur ce budget, 23 milliards d'euros sont destinés à moderniser et numériser les industries et à soutenir le tourisme, tandis qu'un cinquième des dépenses est consacré à l'agriculture et à la lutte contre l'exode rural.

Le plan de relance « Next Generation » de la France, d'un montant d'environ 40 milliards d'euros, est également conçu pour s'intégrer dans des réformes plus vastes. Le gouvernement prévoit d'utiliser la moitié du total des subventions de l'UE pour des projets liés au climat, notamment l'hydrogène vert, la réduction des émissions de carbone, la rénovation du réseau énergétique, la modernisation des chemins de fer ainsi que des dépenses pour la formation numérique, la recherche et la santé. Le gouvernement français entend améliorer la croissance économique, notamment par des mesures visant à accélérer les réformes du marché du travail et des allocations de chômage, des retraites et de la politique du logement.

L'Allemagne consacrera 40% de son budget total de 28 milliards d'euros à la politique climatique et à la transition énergétique, notamment aux infrastructures pour l'hydrogène. Une grande partie de ces dépenses en faveur des infrastructures vertes concerne les voitures électriques, y compris le réseau de recharge, les bus et les chemins de fer, et 15 milliards d'euros sont consacrés au renforcement des infrastructures numériques, jugées particulièrement faibles par les chercheurs, notamment ceux de l'OCDE, ainsi qu'à « l'éducation numérique ».

Urgence politique

Il y a une certaine urgence dans les dépenses. Les priorités politiques des douze prochains mois en Allemagne et en France, qui ont défini l'agenda de l'UE ces dernières années, vont changer. En Allemagne, le successeur de la chancelière Angela Merkel sera élu en septembre. Armin Laschet a pris la tête de l'Union chrétienne démocrate (CDU) en janvier 2021, et est le candidat du parti au poste de chancelier. Le risque n'est pas de savoir qui prendra la relève, car nous attendons plutôt une certaine continuité politique, mais qui exercera le leadership européen à la fin. Sans le soutien de Mme Merkel, le président français Emmanuel Macron aura du mal à faire avancer le programme de l'UE.

En outre, dans un an, Emmanuel Macron se présentera pour un second mandat de cinq ans. Son bilan concernant la reprise post-Covid fait déjà l'objet de critiques. Le mois prochain, les élections régionales en France montreront si la candidate de l'extrême droite Marine Le Pen représente un défi plus sérieux qu'il y a cinq ans. Tout cela pourrait détourner l'attention de questions plus larges.

La percée budgétaire du plan « Next Generation » est en grande partie l'œuvre de Mme Merkel et M. Macron, et leurs ministres des finances ont dévoilé leurs plans nationaux lors d'une conférence de presse commune le 27 avril. Toute évolution dans ce partenariat politique peut entraîner des incertitudes pour les projets futurs, notamment les réformes fiscales, les relations avec la Chine et l'administration Biden, et les tensions avec la Turquie.

Tournant pour l'euro

Le plan « Next Generation » marque également un tournant pour l'euro. Les risques d'éclatement de la zone euro ont hanté la monnaie unique au cours de la dernière décennie. L'accord de juillet 2020 sur l'émission commune de dette a créé un plancher pour le taux de change euro/dollar car il a éliminé une grande partie de ce risque d'éclatement en augmentant la solvabilité de certains Etats. Si ce plan de relance est mis en oeuvre efficacement, l'impact des dépenses peut également servir de catalyseur pour de futurs gains de change, la région attirant davantage de flux de portefeuille et d'investissements étrangers. Une mise en œuvre réussie renforcerait également les arguments en faveur d'une mutualisation plus poussée de la dette au sein de l'UE et, à long terme, impliquerait probablement un niveau d'équilibre plus élevé pour le taux de change.

Nous continuons de penser que les actions européennes, en particulier dans les secteurs de l'énergie et de la finance, offrent des opportunités à mesure que la reprise économique s'installe.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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