Depuis quelques années, les entreprises japonaises connaissent une véritable révolution. En mettant l’accent sur la rentabilité, leurs dirigeants semblent bien partis pour rattraper les « décennies perdues » qui ont marqué l’économie du pays.
Sauf annulation de dernière minute, le Japon sera sous le feu des projecteurs cet été à l’occasion des Jeux olympiques de Tokyo. Les articles et reportages sur la culture japonaise ne devraient pas manquer d’animer nos journaux et télévisions. Or, au Japon, la culture nationale est aussi une culture du travail. Et celle-ci connaît, depuis peu, une évolution des plus intéressantes à suivre.
Une rigueur historiquement peu récompensée
Un premier point d’inflexion s’observe dans le quotidien des salariés japonais. La culture d’entreprise du pays reste caractérisée par ses volumes de travail élevés, mais la qualité de vie est désormais elle aussi une préoccupation majeure. Le législateur n’est pas étranger au phénomène : la limitation des heures supplémentaires et l’obligation de prendre ses vacances ont aidé à effectuer ce virage.
Cette évolution est d’autant plus salutaire que la discipline qui caractérise le monde du travail japonais n’a pas toujours porté ses fruits. Le Japon est réputé pour ses « décennies perdues » (années 1990 et 2000), dont le pays n’est jamais réellement sorti. Cette faible croissance économique, devenue structurelle, a longtemps pesé sur les marchés actions japonais, qui ont poursuivi une lente tendance baissière de 1990 à 2012.
En cause : l’éclatement de la bulle immobilière et financière des années 1980 bien sûr, mais aussi une gestion des entreprises très peu focalisée sur la rentabilité. Dans un univers de faible croissance, les entreprises japonaises se sont logiquement concentrées sur leurs gains de parts de marché via des investissements parfois conséquents, notamment en rachetant des concurrents. Mais cette stratégie n’a pas toujours été bien menée : acquisitions au prix fort, faibles synergies et intégrations difficiles ont constitué autant d’espoirs déçus.
Nouvelle génération, nouvelle vision
Depuis quelques années, un changement de culture a pourtant commencé à s’opérer au Japon. Cette évolution provient notamment de la nouvelle génération de dirigeants qui prend progressivement les rênes des grands groupes. Finie la course à la taille, l’objectif est désormais de rompre avec les prédécesseurs pour mettre l’accent sur la rentabilité.
Les leviers de cette mutation sont multiples : concentration des entreprises sur leur cœur de métier, changement de modèle pour bénéficier de revenus récurrents, sans oublier bien sûr le recours à l’innovation, qui reste la meilleure manière de renforcer ses parts de marché, protéger ses prix et développer de nouveaux produits. De même, certains grands groupes s’enhardissent de nouveaux en absorbant des concurrents internationaux d’une manière cette fois-ci beaucoup plus disciplinée que par le passé (valorisations raisonnables, intégration réussie, mondialisation des marques).
Ces transformations sont rapides et ont déjà produit des revalorisations majeures pour plusieurs grands groupes. Sur le plan boursier, les marchés japonais sont désormais sortis de l’ornière et ont repris leur dynamique d’expansion, bénéficiant en parallèle du soutien de la banque centrale. Depuis le 1er janvier 2012, l’indice Topix a ainsi progressé de plus de 150%[1], une hausse nettement plus rapide que celle de l’Eurostoxx 50, en hausse d’environ 75% sur la même période1. Pour autant, les records de valorisation de la fin des années 1980 restent encore lointains.
La pyramide des âges des patrons d’entreprises japonais suggère que le nombre de sociétés s’apprêtant à connaître un renouvellement de direction va continuer de progresser régulièrement. Le processus bénéfique actuellement à l’œuvre devrait donc encore s’étaler sur de nombreuses années.
Les institutions s’emparent du sujet
Si ce mouvement a encore de beaux jours devant lui, c’est aussi du fait de la mobilisation des institutions. Les régulateurs, notamment les ministères des Finances et de l’Économie, sont impliqués dans la transformation des méthodes de travail au Japon.
Le mouvement de modernisation de la gouvernance a en effet été lancé par le gouvernement Abe, qui a promulgué en 2015 son code de gouvernance d’entreprise. Ces bonnes pratiques, non-contraignantes mais très suivies, mettent l’accent sur une gestion plus équilibrée, plus responsable et plus pérenne des entreprises.
En parallèle, la pression monte désormais pour rationaliser certains secteurs encore archaïques et fragmentés, comme le système des banques régionales, incitées à fusionner pour se moderniser. Des incitations fiscales ont été mises en place pour aider les entreprises à effectuer leur transformation. Cette politique a d’ores et déjà porté ses fruits dans le secteur du raffinage, où ne subsistent plus que trois acteurs dont la rentabilité s’est améliorée en éliminant les surcapacités. On ne pourra que s’en réjouir : la poursuite de cette politique reste l’un des fers de lance du gouvernement Suga.