Protection des lanceurs d’alerte : qu’apporte la nouvelle transposition de la directive européenne ?

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Par Liz Thibault Publié le 30 mars 2022 à 5h38
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@shutter - © Economie Matin
15000 €La loi Sapin 2 prévoit une amende de 15.000 euros en cas de tentative d'entrave à une alerte.

Le député français Sylvain Waserman a déposé une proposition de loi le 21 juillet 2021 visant à transposer la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte et modifier la loi Sapin 2. Devant les difficultés à s’accorder entre sénateurs et députés, le gouvernement a convoqué une commission mixte. La version finale du texte en résultant assure un véritable renforcement de la protection des lanceurs d’alerte en France et présente un enjeu pour les entreprises devant instaurer un climat de confiance à travers l’adaptation de leur dispositif d’alerte interne.

Les lanceurs d’alerte, définis par la loi Sapin 2, sont depuis des années au coeur de l’actualité.(1) Edward Snowden dévoilant l’espionnage de masse américain et Stéphanie Gibaud signalant des faits d’évasion fiscale et de blanchiment par la banque UBS, ont connu un véritable calvaire résultant d’un manque de protection. Leurs révélations ont créé des scandales impactant les organismes concernés et la société. Bien souvent, cette situation conduit à une bataille juridique entre employeur et lanceur d’alerte. C’est dans le cadre de la transposition de la directive européenne visant à harmoniser et renforcer la protection des lanceurs d’alerte, que la loi Sapin 2 a été modifiée afin de combler ses lacunes en matière de protection des lanceurs d’alerte. Cet objectif est-il atteint ?

Le 16 février 2022, la proposition de loi a été définitivement adoptée par le Parlement, achevant la dernière étape avant sa promulgation.

Quelles sont les innovations majeures par rapport à Sapin 2?

Une définition élargie du lanceur d’alerte :

Le caractère désintéressé du signalement est remplacé par l’absence de contrepartie financière. L’objectif est de se concentrer davantage sur les faits signalés plutôt que sur le motif de signalement, sans pour autant permettre une rémunération. Ainsi, une personne ayant connu un conflit dans le passé avec l’auteur des faits peut être reconnue comme lanceur d’alerte. De plus, la condition de connaissance personnelle des faits est supprimée dans le cadre professionnel, permettant à un lanceur d’alerte de signaler des faits dont il a eu connaissance par l’intermédiaire d’une autre personne.

Une protection étendue aux facilitateurs :

Le nouveau texte permet aux facilitateurs, personne physique ou morale telle qu’une association, aidant l’auteur du signalement, de bénéficier d’une protection. Il s’agit d’une surtransposition puisque la directive prévoyait d’attribuer la qualité de facilitateur uniquement aux personnes physiques. Néanmoins, les parlementaires ont considéré qu’il convenait de garantir une protection aux facilitateurs personnes morales, notamment contre des procédures bâillons, dès lors qu’elles peuvent assurer un rôle de relai et soutenir les personnes physiques en faisant écran aux mesures de représailles.

Une simplification de la hiérarchisation des canaux de signalement :

La loi Sapin 2 impose au lanceur d’alerte de signaler dans un premier temps en interne (via son supérieur hiérarchique ou un référent), avant de pouvoir s’adresser à une autorité (administrative ou judiciaire) à défaut de traitement.(2) Le nouveau texte laisse le choix au lanceur d’alerte d’adresser son signalement directement en interne ou en externe. C’est une évolution majeure pour le lanceur d’alerte. En effet, le signalement au préalable obligatoire en interne est dissuasif car il y a plus de risque de représailles, surtout si l’employeur est impliqué dans les faits.

Une protection pénale étendue :

La loi Sapin 2 a créé un article dans le code pénal sur l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte en cas de divulgation d’un secret protégé par la loi.(3) Mais ils ne sont pas protégés pénalement pour l’obtention des informations divulguées, ce qui est dissuasif puisque pour fournir une preuve, la soustraction de documents est courante. Le nouveau texte répond à cette problématique en prévoyant l’irresponsabilité pénale du lanceur d’alerte qui soustrait, détourne ou recèle les documents ou tout autre support contenant les informations auxquelles il a eu accès de manière licite.

Sylvain Waserman donne un exemple concret : « nul n’a le droit de poser des micros dans le bureau de son patron pour savoir s’il y a quelque chose à trouver et lancer une alerte. En revanche, si l’on vous montre un rapport prouvant qu’une usine déverse du mercure dans une rivière, vous avez le droit de le subtiliser pour prouver les faits dont vous avez eu licitement connaissance. » (4)

Les procédures bâillons davantage sanctionnées :

Pour dissuader des procédures bâillons, le montant de l’amende civile a doublé et sera porté à 60 000 euros, ce qui peut sembler encore trop dérisoire pour une entreprise de grande ampleur.(5)

Quelles conséquences pour les personnes morales assujetties à l’obligation d’établir un dispositif de recueil des signalements ?

Les entreprises assujetties à l’obligation d’établir un dispositif de recueil des signalements doivent se préparer à ce nouveau régime.(6) Elles devront revoir leur procédure interne et la diffuser pour que les collaborateurs en soient informés. Le choix accordé au lanceur d’alerte de signaler directement en interne ou en externe peut être une source d’insécurité pour l’établissement. Par conséquent, il sera nécessaire de veiller à ce que les collaborateurs se sentent en confiance avec celui-ci grâce à un dispositif de qualité et d’encourager les signalements internes, par le biais de formations, pour qu’ils soient priorisés. Etre au courant de certains faits en amont permet de gérer les difficultés en interne pour ne pas subir une divulgation publique et ainsi éviter de sérieux impacts réputationnels et financiers nuisant à l’entreprise. Le coût de la mise en place d’un dispositif efficace et sécurisé pour les lanceurs d’alerte est dérisoire à côté des risques engendrés par la négligence de celui-ci.

Globalement, ce nouveau texte est une bonne avancée pour la protection des lanceurs d’alerte malgré quelques lacunes qui persistent. En effet, les sanctions pour procédures bâillons pourraient être plus dissuasives, et l’irresponsabilité pénale pour l’accès à des informations même de manière illicite (introduction frauduleuse dans un système de traitement automatisé de données) permettrait de surmonter davantage les obstacles aux signalements. Cependant, cette nouvelle loi impose aux entreprises de redoubler de vigilance et à mieux s’organiser quant au traitement des alertes, dont le nombre risque d’augmenter considérablement.

1 La loi Sapin 2 définit le lanceur d’alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste [..] de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. »

2 Article 8 de la loi Sapin 2

3 Article 122-9 du Code Pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire est proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte prévus à l’article 6 de la loi Sapin 2. »

4 Rapport au nom des commissions mixtes paritaires sur la proposition de loi visant à renforcer le protection des lanceurs d’alerte, enregistré le 1er février 2022.

5 Une procédure bâillon est une procédure judiciaire engagée dans le but d’intimider et de faire taire des personnes physiques ou morales, en les poursuivant notamment pour diffamation ou injure.

6 L’article 8 de la loi Sapin 2 impose aux personnes morales de plus de 50 salariés d’établir un dispositif de recueil des signalements des lanceurs d’alerte. L’article 17 de cette même loi impose également aux entreprises de plus de 500 salariés et avec un chiffre d’affaire supérieur à 100 millions d’euros de mettre en place un dispositif d’alerte interne pour les manquements spécifiques au code de conduite visant à prévenir les faits de corruption et de trafic d’influence.

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consultante Square.