Télécoms : Scopelec va devoir changer son fusible d’épaule

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Par Vincent Marin Modifié le 24 mai 2022 à 16h50
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@shutter - © Economie Matin

Empêtrée dans un bras de fer judiciaire autour de la fin de plusieurs contrats la liant à l’opérateur Orange, la coopérative Scopelec est dans la tourmente. Ses salariés aussi, alors que le secteur du déploiement et de la maintenance des réseaux est en train de se réorganiser sans elle.

L’histoire aurait pu finir mieux. L’idylle entre la coopérative Scopelec et l’opérateur Orange (ex-France Telecom) aura pourtant duré près d’un demi-siècle. Client nº1 de Scopelec, Orange a choisi de ne pas reconduire plusieurs contrats qui ont fait l’objet de nouveaux appels d’offres, comme la loi l’y oblige. Une page tournée qui n’a pas été du goût de la direction de la plus grosse coopérative de France. L’actuel bras de fer judiciaire entre les deux parties ne s’arrêtera peut-être pas, mais le dommage pour la coopérative est évident.

Faible mobilisation médiatique

Petit rappel des faits. Créée en 1973 et basée à Sorèze (Tarn), la coopérative Scopelec est un sous-traitant historique de France Télécom puis d’Orange, déployant et entretenant par exemple les réseaux cuivre et de fibre optique sur le territoire français. Mais en novembre 2021, elle reçoit la nouvelle comme un couperet : Orange ne renouvellera pas plusieurs contrats liant les deux entreprises et arrivant à leur terme en mars 2022. Pour la direction de Scopelec, une catastrophe se profile puisque ces contrats représentent 40% de son chiffre d’affaires. Le 17 mars, l’entreprise est alors placée sous procédure de sauvegarde[1] par le tribunal de commerce de Lyon ce qui lui permet de suspendre le paiement de ses dettes (85 millions d’euros dont 40 millions de prêt garanti par l’Etat). Le pire reste alors à craindre pour les salariés de l’entreprise : à l’automne dernier, la direction de Scopelec avait dénoncé cette rupture de contrats[2] estimant avoir été mise devant le fait accompli sans « avoir eu le temps de se préparer », avançant même le chiffre de 1900 emplois directement menacés.

Quelques mois plus tard, la campagne présidentielle bat son plein, les salariés se mobilisent, manifestent à Paris, et en appellent aux candidats. Mais l’attention médiatique est ailleurs. Un jugement en première instance[3] tombe entre les deux tours de la présidentielle, Scopelec tente à nouveau d’alerter l’opinion et les médias. En vain. Le tribunal de commerce de Paris statue en faveur d’Orange : « Cette ordonnance confirme le fait qu’Orange a accordé à Scopelec un préavis suffisant au regard des règles en vigueur, déclare alors l’opérateur nº1 des télécoms français. Orange reste à l’écoute pour accompagner Scopelec dans cette phase de transition. » Quelques jours plus tard, le 21 avril, Scopelec annonce la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi[4] (PSE) concernant la suppression de 800 des 3800 postes de l’entreprise. La décision en deuxième instance est imminente mais ne devrait a priori pas changer la donne. Comment en est-on arrivé là ?

Manque d’anticipation et erreurs de gouvernance

Au tribunal, les avocats se sont donc affrontés sur un terrain procédurier : Scopelec considère n’avoir pas eu de signes avant-coureurs que les choses allaient mal se terminer avec le non-renouvellement de plusieurs contrats avec Orange, Orange considérant le contraire. Scopelec estime alors que l’Etat n’a pas été à la hauteur et qu’Orange aurait pu faire davantage pour l’accompagner. Les faits, eux, relatent une autre réalité.

D’abord en interne. La coopérative n’a vraisemblablement pas su s’adapter aux nouvelles demandes du marché des télécoms, avec en particulier le déploiement de la fibre très haut débit, et surtout sa maintenance. Et n’a su ni anticiper les nouveaux besoins ni engager ses salariés à se reconvertir. « Scopelec aurait pu se diversifier, cibler des marchés en expansion comme celui de l'installation de bornes pour véhicules électriques », estime un spécialiste du marché dans les colonnes du Figaro. Un point de vue partagé par les représentants syndicaux de la coopérative[5], quelque peu désabusés : « On n’a pas su diversifier nos métiers, regrettait Michel Marchitti, responsable CGT de l’entreprise à Saint-Orens et Perpignan. Ils [ndlr : les responsables de la direction] se sont complètement plantés. Ils ont voulu augmenter les effectifs, acheter d’autres entreprises, compter sur Orange… Il faut balayer devant sa porte à présent. » Chez le principal client de Scopelec, le manque d’adaptation de la coopérative à la réalité du marché[6] est également sur les lèvres : « Dans un secteur en forte concurrence, nous avons modifié un cahier des charges pour répondre aux demandes de nos clients. Scopelec, qui était notre premier sous-traitant, n’a pas donné de garanties et, surtout, de nombreux indicateurs qualité faisaient défaut depuis quelques années », regrette Marc Blanchet, directeur technique d'Orange.

Ces errements stratégiques se reflètent évidemment sur les performances financières de Scopelec, ce que n’ont pas réussi à faire oublier les différentes procédures judiciaires. L’entreprise présente une dette de 85 millions d’euros, impossible à éponger avec ses résultats nets des trois dernières années (entre 1 et 8 millions d’euros pour 500 millions de chiffre d’affaires) et d’une trésorerie de 50 millions d’euros.

Ensuite, les parties prenantes externes sont toujours là, Scopelec n’a pas été abandonnée à son sort[7]. L’Etat a sorti le carnet de chèques, le ministère de l’Economie ayant « accepté de prendre en charge l’activité partielle des salariés » en mettant 70 millions d’euros sur la table. Des efforts jugés « significatifs » par la direction de Scopelec, mais encore insuffisants. Malgré la situation tendue entre les deux entreprises, Scopelec a pu également s’appuyer sur sa relation historique avec Orange qui a débloqué une enveloppe de 43 millions d’euros sur 18 mois pour permettre à son ex-prestataire d’encaisser le choc, doublé du règlement en direct des sous-traitants de Scopelec, toujours en attente de paiement, soit 20 millions de dette. Par ailleurs, Orange n’a pas coupé tous les ponts[8] : « Scopelec reste l’un de nos six principaux fournisseurs et se voit encore confier environ 200 millions d’euros de contrats cette année », remarque Marc Blanchet. Mais la direction de Scopelec s'arc-boute sur ses positions[9] et ne semble pas remettre en question ses choix passés, faisant appel de la décision de justice, assignant « Orange sur le fond car la rupture des contrats commerciaux ne [lui] paraît pas avoir respecté les règles du droit commercial ».

Mais les choix stratégiques des dernières années sont jugés hasardeux, et les dysfonctionnements internes de la coopérative n’ont pas non plus favorisé la stabilité des équipes opérationnelles. Depuis le début de l’année, plus de 700 salariés de Scopelec ont préféré quitter l’entreprise pour passer à la concurrence, embauchés par les entreprises ayant remporté les appels d’offre face à la coopérative historique. D’autres étant toujours à la recherche d’un nouvel emploi, certains dans d’autres domaines que celui de Scopelec tant l’ambiance est délétère en interne. À la lumière des prochains développements judiciaires, une profonde restructuration s’imposera probablement. La survie de Scopelec en dépend.


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Consultant IT Strategy, Business Analyst, Conseil en développement informatique et logiciels