Les Etats-Unis s’apprêtent à augmenter les dépenses budgétaires alors que le soutien monétaire de la Fed diminue

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Par Stéphane Monier Publié le 22 septembre 2021 à 5h48
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@shutter - © Economie Matin
29000 MILLIARDS $La dette des USA est de près de 29.000 milliards de dollars.

Ces prochains mois, les discussions politiques entourant les programmes de dépenses publiques pourraient créer de la volatilité sur les marchés financiers, mais ne devraient pas faire perdre de vue la solide reprise économique des États-Unis. Alors que la reprise arrive à maturité et que la Réserve fédérale se prépare à abandonner son aide d'urgence, une vaste enveloppe fiscale de 3 500 milliards USD fournirait un horizon d'investissement exceptionnellement stable.

Alors que les effets de la pandémie s'estompent, l'économie américaine retrouve sa trajectoire de croissance à long terme. Nous tablons sur une augmentation du produit intérieur brut de 6,6% en 2021, de 4,6% en 2022 et de 2% en 2023, plus proche de son potentiel. Si le meilleur de la reprise post-Covid se trouve désormais derrière nous, la croissance se rapproche ainsi de sa moyenne à long terme. À plus petite échelle, ce schéma est visible dans l'évolution des prix à la consommation au fur et à mesure que la recrudescence de la demande et la vague de dépenses qui ont suivi le confinement ralentissent. L'inflation sous-jacente des prix à la consommation a augmenté de 0,1% en août par rapport au mois précédent. Il s'agit de sa plus faible hausse depuis février. En effet, les « effets de base » mécaniques de la réouverture des hôtels et des aéroports cèdent le pas à une inflation plus cyclique, induite par les salaires et les loyers, par exemple.

Ces indicateurs de « normalisation » alimentent les attentes selon lesquelles la Fed s'apprête à réduire progressivement ses dépenses d'urgence via une diminution de ses achats mensuels d'actifs, possiblement dès la fin de cette année ou au début de l'année prochaine. Aussi longtemps que l'emploi bénéficiera d'une reprise générale, cette réduction progressive sera suivie d'une hausse des taux, à partir de 2023, pour atteindre environ 2,5% en 2026.

Un nouvel élan

Alors que la Fed retire progressivement ses mesures de soutien, l'économie américaine s'apprête à recevoir un nouvel élan. L'arrivée de l'administration Biden en janvier a signé une nouvelle ambition en matière de politique économique américaine avec sa stratégie «?Build Back Better?». L'expérience du président Joe Biden à la fin de la grande crise financière de 2008/09, combinée à la pandémie et aux faibles taux d'intérêt, a incité l'administration actuelle à inverser des décennies de sous-investissement public. Le pays prévoit désormais la plus importante refonte des infrastructures et de la protection sociale depuis des générations.

En août, grâce au soutien de 19 républicains, le Sénat a approuvé de nouvelles dépenses en infrastructures physiques d'un montant de 550 milliards USD pour les routes, les ponts, les réseaux ferroviaires et la connectivité à haut débit.

Le processus d'approbation pour ces nouvelles dépenses ne sera pas aisé. Au total, les démocrates ont proposé des dépenses supplémentaires pour un montant de 3 500 milliards USD. Le projet de loi veut transformer l'infrastructure sociale des États-Unis en s'attaquant aux inégalités. Le pays est à la traîne des autres nations développées en ce qui concerne l'espérance de vie, l'obésité, le taux d'homicides, la mortalité infantile et l'éducation. Le projet de loi comprend des crédits d'impôt, des aides à l'enfance et à la famille, des congés et des soins médicaux payés, une école maternelle universelle gratuite et des initiatives en faveur du climat. Le leader de la majorité au Sénat Chuck Schumer a déclaré que les initiatives vertes contenues dans le projet de loi pourraient à elles seules réduire, au cours de cette décennie déjà, les émissions de carbone des États-Unis de 45%, en dessous de leur niveau de 2005.

Hausse des impôts

Les partisans maintiennent qu'une augmentation des impôts – et par conséquent des recettes – qui viendrait annuler une grande partie des réductions décidées par l'administration Trump depuis 2017, peut financer ce projet. Les changements comprennent le relèvement du taux supérieur de l'impôt sur le revenu de 37% à 39,6%, plus une surtaxe de 3% sur les revenus bruts excédant 5 millions USD. Ils feraient également passer le taux d'imposition des sociétés de 21% à 26.5% ou 28%, contre 39% avant les réductions de l'ère Trump. Ce programme prévoit également d'augmenter l'impôt sur les gains en capital et élargit la définition des revenus d'investissement. Au total, les impôts pourraient rapporter jusqu'à 2 900 milliards USD, ce qui, combiné à la croissance économique estimée qui rapporterait 600 milliards USD supplémentaires, suffirait à couvrir les propositions de dépenses.

Les détracteurs du projet de loi, dont l'ancien secrétaire au Trésor Larry Summers, affirment que ces dépenses auraient des effets inflationnistes et déclencheraient une vive réaction de la Fed sur le front des taux d'intérêt. La semaine dernière, le sénateur républicain Chuck Grassley a qualifié le projet de loi de «?charlatanerie socialiste?», affirmant qu'il «?changerait radicalement nos modes de vie, étendrait le contrôle du gouvernement sur l'économie et nos existences, ouvrirait nos frontières et redistribuerait l'argent afin de satisfaire la définition socialiste de l'égalité?».

Le Congrès entame maintenant le processus politique permettant d'échafauder ce programme, mais les opinions sont divisées et le débat suit les clivages partisans. L'administration Biden, ainsi que le contrôle étroit des démocrates sur le Sénat et sur la Chambre des représentants, signifient que ses partisans disposent d'une fenêtre d'opportunité pour imposer cette législation, avec ou sans le soutien des républicains.

L'administration Biden peut recourir à une procédure de « réconciliation budgétaire » pour faire passer le projet de loi avec le soutien des démocrates, qui occupent 50 sièges sur les 99 que compte le Sénat. Cependant, il subsiste parmi les démocrates des frictions portant sur de potentiels compromis. Les « progressistes » considèrent les 3 500 milliards USD du projet de loi comme l'investissement minimum nécessaire, tandis que les «?centristes?» s'inquiètent de ses effets inflationnistes et de la dette.

Dette et défaut de paiement

Lorsque Ronald Reagan a quitté la Maison Blanche en 1989, la dette nationale brute des États-Unis s'élevait à 1 500 milliards USD. Aujourd'hui, dans le sillage de la pandémie de Covid, elle s'approche des 29 000 milliards USD, et ce n'est pas fini. Pourtant, si le niveau absolu de la dette présente un risque pour la stabilité, elle est désormais plus abordable, car le coût du service de cette dette en pourcentage du PIB a reculé parallèlement au déclin des taux d'intérêt.

Néanmoins, le Congrès doit approuver toute augmentation des dépenses entraînant un dépassement du plafond de la dette américaine, qui fixe une limite au montant que le Trésor peut emprunter.

Sans accord du Congrès, la secrétaire au Trésor Janet Yellen a prévenu que les États-Unis pourraient se retrouver en défaut de paiement technique partiel sur une partie de leur dette en octobre. « Ni le retard, ni le défaut de paiement ne sont tolérables », a écrit Mme Yellen le 19 septembre, évoquant le « consensus écrasant... des deux partis qu'un échec du relèvement de la limite de la dette produirait une catastrophe économique généralisée », le gouvernement manquant de liquidités pour payer sa dette. Le Congrès devrait débattre du relèvement du plafond cette semaine. Les républicains ont rejeté la requête d'un accord bipartisan et évoquent une procédure permettant aux démocrates de faire passer ce relèvement de façon unilatérale.

Des gains à plus long terme

Le processus visant à transformer en législation le principal projet de loi sur les dépenses de l'administration Biden, ainsi que les débats concernant la dette, vont faire du bruit. Le principal danger est que les démocrates sous-estiment la difficulté à obtenir le soutien de certains républicains, ou qu'ils s'aliènent certains membres de leur propre parti. Nous nous attendons à ce que ce processus crée de la volatilité sur les marchés à court terme.

Nous devons toutefois garder à l'esprit qu'une éventuelle législation d'ici la fin de l'année fournirait des milliers de milliards de dollars en dépenses sociales et en infrastructures afin de stimuler une économie dont les perspectives d'emploi et de croissance sont déjà robustes. Pour les investisseurs, cela peut créer un environnement favorable à long terme. À court terme, il est difficile d'envisager un risque important d'accident induit au niveau domestique et à même de faire dérailler la plus grande économie du monde.

L'avancement du calendrier de la Fed pour une première hausse des taux d'intérêt et les craintes concernant la croissance mondiale sont à l'origine de la récente vigueur du dollar américain. Si le rebond économique mondial devait être retardé, les mesures de relance américaines pourraient créer les conditions d'une nouvelle période d'«?exceptionnalisme américain?» et d'un dollar plus fort. Si les débats du Congrès sur les mesures de relance peuvent renforcer encore le dollar, la reprise mondiale attendue et la hausse du déficit américain devraient finir par peser sur la devise américaine.

Nous continuons de privilégier les actifs risqués dans notre allocation d'actifs globale, car la vigueur des États-Unis sous-tend le rebond conjoncturel mondial. D'un point de vue tactique, nous sous-pondérons les actions américaines car nous pensons que d'autres régions, comme l'Europe et le Royaume-Uni, qui sont restées à la traîne de la reprise américaine, offrent un potentiel de croissance plus important à des valorisations plus attrayantes.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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