Dans le sillage du livre « Les fossoyeurs » de Victor Castanet, qui dénonce les mauvais traitements réservés aux résidents des maisons de retraite, le fil des scandales ne cesse d’être dévidé. Le 19 mai, la cellule investigation de Radio France dévoilait les rémunérations extravagantes de deux dirigeants de la filiale suisse du groupe Orpea. Des révélations qui viennent s’ajouter à une liste déjà longue, mais qui pourraient faire oublier l’état général du secteur. Dans un rapport très documenté et qui vient d’être rendu public, l’association UFC-Que choisir éclaire le tableau national d’une lumière crue : les disparités sont fortes et entrainent des différences de traitement importantes entre résidents.
Le maintien à domicile, signe de pénurie
Premier constat établi par l’association de consommateurs, le poids de la géographie : le nombre de places en Ehpad varie du simple au quadruple selon les départements considérés. Le département le mieux loti est la Lozère, avec 169 places en résidence pour 1000 habitants de plus de 75 ans, mais tombe à 41 pour Paris. Le sud-est et le sud-ouest du pays sont également peu équipés par rapport à la moyenne nationale. Conséquence directe, les personnes les plus dépendantes, qui sont à l’échelle nationale 68% à rester à domicile, ne sont que 10% dans les départements les mieux pourvus en Ehpad, comme la Mayenne par exemple. En dehors de toutes autres considérations, le maintien à domicile serait donc le plus souvent le signe d’une pénurie de lit en établissement, dont le taux d’occupation s’établit à 97% à l’échelon national. Un chiffre révélateur, selon l’étude, d’un manque flagrant de places disponibles, plus ou moins marqué selon les départements.
Des prix allant du simple au double
Outre des possibilités d’accès en Ehpad très inégalitaires selon la localisation, le reste à charge pour les résidents, qui s’établit à 2214 € en moyenne, est loin d’être unifié. À Paris, il s’établit à 3698 € pour ne s’élever qu’à 1749 € dans la Meuse, département où il est le plus faible. Globalement le centre du pays est, de ce point de vue, favorisé en restant inférieur à un cout net de 2000 € par mois. Même en tenant compte de niveaux de vie plus élevés dans les métropoles ou sur le littoral méditerranéen, l’écart entre revenus et couts de résidence est donc supérieur à 1000 € dans ces zones, contre moins de 300 € dans une large part centrale du pays. C’est dans les zones où l’écart est le plus important que les Ehpad privés sont les plus nombreux, alors que leur cout mensuel moyen est de 2898 € contre 1936 € dans les établissements publics, un montant proche de celui qui prévaut dans les Ehpad associatifs (2147 € mensuels). L’explication par le cout de l’immobilier dans les zones les plus riches n’explique pas complètement le phénomène : cette différence tarifaire se constate également dans les établissements d’un même département. Selon l’étude, « le prix moyen dans un département sera d’autant plus élevé que la part des places en EHPAD privés y sera importante. »
Plus étonnant encore, des prix plus élevés dans les établissements privés, qui représentent 23 % des places disponibles, contre 29 % pour les structures associatives et 48 % pour le public, ne s’accompagnent pas nécessairement d’un meilleur accueil, en tous cas en termes de personnels disponibles. Quand les Ehpad publics emploient en moyenne 68,1 équivalents temps plein pour 100 résidents, ce chiffre ne s’élève qu’à 55,6 dans le privé. Une tendance encore plus marquée en ce qui concerne les aides-soignants (16 pour 100 résidents dans le privé contre 27 dans le public).
Politique de concentration
Enfin, en limitant la création de nouvelles places publiques par l’intermédiaire des Agences régionales de Santé (ARS) qui gèrent les appels à projets et qui doivent contenir les dépenses de l’assurance maladie, la part dévolue aux Ehpad privés ne cesse de progresser passant de 14 % en 1997 à 23 % en 2020. Cette proportion de plus en plus importante dévolue au privé s’accompagne d’une progression des places détenues par les plus grands groupes, à l’instar d’Orpéa, qui mènent des politiques de rachat des sociétés plus petites, favorisant l’inflation des tarifs et la concentration de l’offre. Selon l’UFC- Que choisir, le fait que les établissements privés accueillent en moyenne plus de résidents très dépendants favoriserait un « fort turn over » et faciliterait même « des hausses de tarif plus importantes. » Une tendance que reflètent les marges réalisées dans le privé qui s’élevaient à 7,8 % en 2017 contre 4,9 % en 2015.