Alors que l’hybridation des modes de travail se généralise, la question du sens au travail devient de plus en plus centrale. Si elle permet de maintenir l’engagement et la cohésion des équipes, elle nécessite de revoir en profondeur la culture d’entreprise, ce qui constitue un vaste chantier.
Si l’on s’en tient à sa définition traditionnelle, un emploi est un contrat de production permettant à une personne d’obtenir une rétribution. Il est donc important pour l’employeur de donner du sens au travail, ne serait-ce que pour accompagner ses collaborateurs dans la réalisation de leurs tâches, réalisation qui n’est pas toujours fondamentalement agréable ou allant de soi, l’étymologie latine du mot travail (tripalium) – rappelons-le – renvoyant à un instrument de torture...
Mais en même temps, le travail est porteur de sens, en tant que source d’épanouissement personnel et de liberté. Le rôle des entreprises est donc de mettre en place une organisation du travail permettant à celles et ceux qui l’accomplissent de se l’approprier et de se réaliser, à la fois sur un plan personnel et collectif.
Rien n’est moins simple, car un « job », une fonction sont, par essence même, « anonymes », désincarnés. Un poste en tant que tel n’a intrinsèquement pas de sens. Pour que ce dernier naisse et perdure, il est nécessaire que le collaborateur puisse transférer dans son activité quotidienne un peu de lui, de son histoire, de son vécu, un peu de ce qui le constitue intimement et compte pour lui. Bref, il n’y a de sens que lorsque le collaborateur parvient à s’approprier les tâches qu’il réalise chaque jour, à s’y projeter et s’y reconnaître.
Les entreprises, et tout particulièrement les managers, ont un rôle clé à jouer dans cette appropriation. En procurant aux collaborateurs un accompagnement personnalisé et des informations concrètes leur permettant de mieux comprendre à quoi sert leur travail et dans quel « tout » plus large il s’inscrit, les managers contribuent à renforcer leur adhésion à la culture de l’entreprise et, plus globalement, consolident la cohésion des équipes. Ils évitent ainsi le « syndrome de l’émiettement » par lequel les collaborateurs ne parviennent plus à saisir l’utilité de leur rôle ni leur place dans l’organisation.
Attention aux effets de mode
Le marketing est une discipline traversée par les effets de mode. Et la question du sens du travail peut, hélas, trop souvent être perçue comme l’une de ces tendances dont on sait qu’elle sera bientôt chassée par une nouvelle. Pourtant, cette question n’a rien d’une mode. En elle se cristallisent les préoccupations les plus profondes des collaborateurs, ceux qui ont trop longtemps été mis de côté dans la mise en place des conditions de travail, alors qu’ils sont les premiers concernés.
Attention par exemple à ne pas tomber dans certains travers tels que la communication à outrance effectuée par de nombreux dirigeants et managers intermédiaires sur les valeurs de leur entreprise. Il faut en effet veiller à ce que ces valeurs, faute de réelles convictions sur la raison d’être de l’activité de l’entreprise, ne soient pas qu’une couche marketing. Ces valeurs doivent être incarnées, comprises, adoptées et, surtout, communiquées à bon escient. En d’autres termes, si le langage et la communication sont nécessaires pour donner du sens au travail, il ne faut pas que cette redéfinition se cantonne à du langage. Entre langage et pipeau, il n’y a souvent qu’une faible différence. Les effets d’annonce non suivis d’actions concrètes sont en effet désastreux car porteurs de grandes désillusions.
Au même titre que le travail est une forme de partenariat entre un employeur et un employé, ces valeurs, pour qu’elles soient adoptées, doivent se construire avec l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. Bien souvent, le top management détermine des valeurs en petit comité (de direction), les communique à sa base et lui intime, avec plus ou moins de subtilité, de les faire siennes et de les incarner. Ce nouveau partenariat constitue sans le moindre doute la prochaine nouvelle frontière à conquérir pour obtenir un univers du travail davantage porteur d’épanouissement, aussi bien individuel que collectif.
Autonomie créative et nouvelle culture d’entreprise
Les managers et dirigeants disposent d’autres leviers leur permettant de donner du sens au travail des collaborateurs. Leur accorder une flexibilité très importante (en termes de rythme et d’organisation du travail) et leur octroyer une autonomie créative importante constituent sans nul doute un facteur de différenciation de premier choix. Selon une étude menée par le BCG et The Network[1], 80 % des talents se déclarent intéressés par la possibilité d’aménager leurs horaires de travail à leur convenance.
À l’heure où tout devient hybride, cette flexibilité et ce niveau d’autonomie sont des prérequis désormais incontournables. Ils font partie intégrante de la « nouvelle donne ». Le télétravail permet en effet aujourd’hui une flexibilité des emplois du temps beaucoup plus forte, tout en offrant une capacité à fédérer renforcée. Dorénavant, les collaborateurs ont des échanges avec des correspondants présents dans des géographies très différentes, ce qui permet une collaboration plus riche et plus intense.
Et pour pallier l’absence de rencontres physiques, il est nécessaire de créer une nouvelle culture d’entreprise. Les valeurs qu’elle a l’habitude de promouvoir demeurent, mais elles viennent s’enrichir d’événements, de rites organisés dans les locaux. Cela permet de faire revenir les équipes au bureau, ce qui correspond à une demande de leur part, même si les jeunes générations sont très à l’aise avec le travail à distance.
La question du sens a de plus en plus de sens
Dans des marchés pénuriques tels que ceux liés à la transformation digitale des entreprises, où la guerre des talents fait rage, le principal risque - en l’absence de sens - est de voir les jeunes recrues à peine formées partir au bout de deux ans, voire de constater que des collaborateurs présents depuis plus longtemps quittent eux aussi le navire.
Un des risques majeurs pour les entreprises est de laisser une certaine forme de démotivation s’installer, et de voir ainsi l’engagement s’affaiblir. Les impacts peuvent être rapides et radicaux : la performance d’un service complet peut en pâtir et cette « gangrène » peut vite se propager à d’autres départements.
La question du sens n’est donc aujourd’hui plus un sujet facultatif. Les managers et dirigeants ne peuvent plus en faire l’économie. Cette question remet en cause la raison d’être même des organisations, mais aussi leur mission et leur vision. Elle nécessite de repenser les fondamentaux de la culture d’entreprise. Un vaste projet qui peut se révéler hautement fédérateur...
[1] « Decoding Global Ways of Working », mars 2021