Les conférences de presse des banques centrales confirment en général les attentes du consensus, à quelques détails près qui viennent alimenter le débat sur le marché pendant quelques jours. Il en a été tout autrement lors de la réunion de la Fed de la semaine passée. Cette dernière a eu en effet des répercussions importantes sur la courbe des taux, sur le dollar et sur les taux réels.
L’analyse portera non seulement sur chacun de ces impacts, mais aussi sur les conséquences du fait que la banque centrale américaine est devenue plus « susceptible ». La Fed aurait-elle décidé de renoncer à son arsenal de mesures accommodantes et de provoquer un raccourcissement du cycle ? Le marché obligataire américain aurait-il anticipé les difficultés à venir et se serait-il préparé à affronter des déceptions côté inflation dès 2023 ? Aurait-on déjà envisagé l’hypothèse d’une contraction de l’économie qui surviendrait juste après l’horizon prévisionnel de la Fed, à savoir 2023 ? Ainsi formulées, ces questions donnent déjà une idée des réponses qu’elles appellent.
De fait, la remise en route accélérée des économies donnera rapidement des indications sur la qualité de la reprise, sur sa durée, sa solidité et ses éventuels facteurs de vulnérabilité. Ces signaux pourraient se traduire assez vite par des déceptions concernant la croissance.
Le message transmis au marché par le président de la Fed, Jay Powell, a porté essentiellement sur deux points. D’une part, le risque de dérapage de l’inflation peut être considéré comme faible, d’autre part la Fed normalisera sa politique monétaire plus tôt que prévu à la seule condition que les données concernant l’inflation dévient de la trajectoire anticipée.
La Fed a relevé les anticipations d’inflation pour 2021 et 2022, mais elle a maintenu celles portant sur 2023 autour de 2,2% pour l’indice des prix à la consommation (IPC) et de 2,1% pour celui des dépenses de consommation (PCE). D’ici la fin 2023, le chômage devrait retomber à 3,9%. Selon le graphique à points, il est désormais plus probable que la première hausse des taux directeurs intervienne dès la fin de 2022 et que les taux continuent à augmenter jusqu’à une 3e hausse prévue d’ici le 1er trimestre 2024. Le 16 juin, la Fed a donc totalement évacué le scénario « cocotte-minute ». Aucun retard ne sera toléré et le marché ferait bien d’en prendre acte. Ce coup de semonce s’adresse en particulier aux stratégies de type spéculatif avec effet de levier : l’argent gratuit n’est pas un acquis destiné à se prolonger indéfiniment.
Quelles ont été les réactions du marché à ces annonces ? La courbe des rendements des bons du Trésor s’est fortement aplatie : le différentiel entre les taux à 2 et à 30 ans s’est écrasé, reculant de 23,5 points de base (pb). En une semaine, les taux à 2 ans ont grimpé pour atteindre 0,255%, alors que les taux à 30 ans diminuaient de 12,5 pb pour revenir à 2,015%. Les taux à 10 ans sont restés pratiquement inchangés et se sont établis à 1,44%.
Notre anticipation proposée entre mi-mars et mi-mai d’un taux d’inflation anticipé à cinq ans situé aux environs de 2,5% s’est avérée correcte, puisque ce taux s’est établi à 2,07% à la clôture de vendredi dernier. Les taux à 10 ans pourraient se stabiliser et évoluer dans une fourchette de 1,25%-1,50%. Le ciblage de l'inflation moyenne étant fortement influencé par les données historiques, compte tenu de la forte volatilité attendue des chiffres d'inflation, ce ciblage pourrait devenir tout à fait secondaire dans le processus de fixation des taux. Par contre, les données concernant la création d’emplois non agricoles seront déterminantes pour les fluctuations de taux.
L'indice dollar US (DXY) a bondi de 1,84 %. La devise américaine pourrait encore se renchérir par rapport à l’euro, du fait que les discussions concernant un durcissement de la politique monétaire de la BCE risquent d’être reportées et que la normalisation des taux en Europe reste encore très lointaine.
L'indice des devises émergentes (JP Morgan Emerging Market Currency) a, quant à lui, reculé de 2,33 % . Les différentiels des taux réels moyens entre les obligations gouvernementales en devises locales des marchés émergents et les emprunts d’Etat américains restent intéressants. Les investisseurs se voient donc offrir une nouvelle possibilité d’entrer ou de renforcer leurs positions sur un marché de la dette émergente qui offre des rendements élevés.
Les taux réels américains à 5 ans ont bondi de 22 pb et sont passés de -1,77 % à -1,55 %, ce qui témoigne d’un désengagement d’une rare intensité. Les taux réels à 10 ans ont progressé d'environ 9 pb et ont clôturé à -0,80 %. Ces deux taux se trouvent toujours en territoire très négatif, mais à la suite du coup de semonce de la Fed, les points morts d’inflation qui leur correspondent se sont effondrés. Celui à 5 ans a reculé de 7 pb durant la semaine et il a perdu près de 40 pb depuis la mi-mai, s’établissant à 2,37% à la clôture. Le point mort 10 ans a terminé à 2,24%. La Fed arrime les attentes d’inflation à celles exprimées au travers des obligations indexées sur l’inflation (TIPS). Leur fourchette de fluctuation est donc fixée. Comme nous l’avions déjà annoncé la semaine dernière, le marché va dorénavant focaliser son attention sur l’évolution de l’emploi aux Etats-Unis
Pour évaluer l’impact à plus long terme des récentes déclarations de la Fed, il convient d’examiner l’évolution du 30 ans. Le brusque aplatissement de la courbe des taux américaine a amené son taux à près de 2%. L’accélération du rythme d’endettement des Etats-Unis aurait-il scellé le destin des taux longs ? Autrement dit et pour suivre le raisonnement de Reinhart-Rogoff dans son article consacré à la croissance en période de fort endettement (1), on peut se demander si l’évolution de la dette extérieure brute va peser sur le potentiel de croissance à long terme de l’économie américaine. Selon son analyse, dès que la dette extérieure brute atteint 60%, le potentiel de croissance est réduit de 2% et si la dette passe au-dessus de 90%, ce potentiel est divisé par deux. Or, fin 2020, la dette extérieure des Etats-Unis s’élevait déjà à 102% du PIB et étant donné qu’elle reste clairement orientée à la hausse, son impact sur le potentiel de croissance pourrait être d’autant plus important. Il pourrait donc également influencer le niveau des taux longs américains.
- « Growth in a Time of Debt”, Carmen M. Reinhart and Kenneth S. Rogoff, American Economic Review, mai 2010.