Cadmium et engrais : l’agriculture coupable ?

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Par Pascal Belin Modifié le 8 octobre 2021 à 18h30
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Cadmium et engrais : l’agriculture coupable ? - © Economie Matin
4Les agriculteurs français ont divisé par 4 leur consommation en engrais phosphatés depuis les années 70.

Le sujet du cadmium – un métal lourd dangereux pour la santé humaine – revient régulièrement dans les médias. Pour certains d’entre eux, le coupable est tout désigné : il s’agirait des engrais minéraux utilisés par les agriculteurs. Mais quels sont les fondements de cette controverse ? Passons le sujet au révélateur.

« Cancérigène », « toxique » : le cadmium n’est pas notre ami. L’Organisation mondiale pour la santé, l’Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire nationale (ANSES), Santé publique France… tout le monde est d’accord là-dessus. Le cadmium partage une triste réputation d’élément contaminant avec une vingtaine d’autres métaux lourds comme le plomb, ou le mercure. Les impacts d’une exposition prolongée au cadmium sur la santé sont connus, en fonction du type et de la durée d’exposition (inhalation ou voie orale). Il peut s’agir de cancers de l’appareil respiratoire, de la prostate, du sein ou de l’endomètre, ou encore d’atteinte de la masse osseuse. L’imprégnation au cadmium a lieu tout au long de la vie, ce sont donc chez les plus âgés que les taux sont les plus élevés. Parmi les polémiques du moment, sa présence dans les engrais minéraux agite défenseurs de l’environnement et militants hostiles à l’agriculture conventionnelle. Alors qui croire ? Faisons un point sur la question grâce à des sources au-dessus de tout soupçon.

Les vrais chiffres des engrais

Commençons par les présentations. Pour faire pousser les végétaux qui nous nourrissent, les agriculteurs utilisent des engrais réunissant trois éléments : l’azote, la potasse et le phosphore. Sans ces trois composants, le blé ne sortirait pas de terre. Le phosphore, lui, est issu du phosphate, extrait dans différents coins du globe sous forme de roche brute, contenant des impuretés – dont le cadmium – dans des proportions très variables.

Très répandus il y a une cinquantaine d’années, les engrais phosphatés font toujours partie des fertilisants utilisés par les agriculteurs français en raison de leur criticité dans le cycle de régénération des sols. Mais leur consommation a été singulièrement réduite depuis le début des années 70, passant de 2 millions de tonnes à moins de 500000 tonnes aujourd’hui, selon les chiffres avancés par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.

Les agriculteurs, eux, continuent pourtant d’être victimes de critiques parfois violentes sur leur usage des engrais alors qu’ils sont soumis aux réglementations les plus strictes au monde. En France jusqu’à présent, les engrais phosphatés disponibles sur le marché respectaient le taux maximum de cadmium de 90mg/kg de P2O5 (pentoxyde de phosphore) : l’an prochain, ce taux chutera à 60mg/kg, conformément aux nouvelles normes européennes votées en 2019 qui ont pour objectif une baisse programmée à 20mg/kg dans plusieurs années. Pour avoir un ordre d’idées, d’autres pays sont largement moins regardants sur la question : le Canada est champion du monde avec 889mg/kg, suivi de différents Etats des USA (Oregon à 338mg/kg, Californie à 180mg/kg), puis du Japon (148mg/kg) ou encore l’Australie (131mg/kg) et la Nouvelle-Zélande (122mg/kg). Autant de pays qui ne sont pas connus pour leur laxisme sur le plan environnemental.

Un autre aspect du dossier nuance l’impact des métaux lourds présents dans les engrais : leur absorption par les végétaux. De nombreuses autorités scientifiques la remettent en cause. Selon l’Université Wageningen aux Pays-Bas – qui publie très régulièrement des études sur le sujet –, le niveau de cadmium dans les engrais phosphatés n’a pas de rapport avec celui présent dans les végétaux : « Une étude en serre a été réalisée pour mesurer l’absorption du cadmium et d’autres métaux dans sept sols différents, traités avec un engrais minéral avec des niveaux croissants de cadmium et un type de fumier animal (fumier de bovin). Les résultats montrent qu’il n’y a pas de différence significative dans l’absorption du cadmium ni sur les autres métaux lorsque l’engrais phosphaté est utilisé avec des niveaux de cadmium variant entre 0,04 et 60 mg/kg de P2O5. »

Deux derniers chiffres pour situer l’impact des engrais sur le cadmium présent dans l’environnement. Selon le Citepa – le centre technique de référence en matière de pollution atmosphérique et de changement climatique –, les principaux responsables de cette pollution sont en réalité l’industrie manufacturière (42%), les transports (19%), l’énergie (13%), l’agriculture (12%), le résidentiel (8%) et les déchets (6%). D’autres chiffres sont encore plus affinés : selon l’Etude de transfert des éléments-traces métalliques vers le sol et les plantes de l’INRA, utilisée par le Sénat dans ses recommandations, les retombées atmosphériques seraient responsables de 40% de l’enrichissement moyen annuel en cadmium des terres émergées, devant les déchets urbains (38%), les déchets agricoles (20%) et les engrais… avec 2% seulement. Sachant que la SAU (surface agricole utile) en France représente 54% du territoire, l’apport des engrais en cadmium sur les terres agricoles serait au pire de 4%.

Les facteurs d’imprégnation avérés chez l’homme

Il ne faut pas nier la réalité : nous sommes au contact du cadmium partout, mais à des doses si infinitésimales que le danger sur notre santé est généralement très faible. Les sources d’exposition sont nombreuses, via l’air, la terre et l’eau. Au premier rang sur le banc des accusés donc, les retombées atmosphériques industrielles qui, au cours du XXe siècle, ont contaminé les terres agricoles proches d’usines. Sur ce front, la situation s’est considérablement améliorée, comme le souligne Pierre-Clément Damy, hydrogéologue chez AgroParisTech : « Depuis environ 50 ans, les concentrations en cadmium dans l’environnement sont en baisse grâce à l’amélioration des technologies concernant la production, l’utilisation et l’élimination du cadmium. […] La forte baisse des teneurs en cadmium dans l’atmosphère observée depuis 1960 est essentiellement due à l’amélioration significative du contrôle de la pollution dans l’industrie des métaux. Toutefois, il existe d’importantes différences de teneurs en cadmium dans l’atmosphère selon les secteurs. Ainsi, les concentrations en zone rurale ont été estimées entre 0.1 et 5ng/m3, entre 2 à 15ng/m3 dans les zones urbaines, et entre 15 à 150 ng/m3 dans les zones industrialisées. »

Si l’exposition professionnelle et la pollution atmosphérique ont longtemps figuré parmi les principales préoccupations des autorités sanitaires, la contamination par voie alimentaire reste un sujet d’étude très actuel. En juillet dernier par exemple, Santé publique France (SPF) a publié les résultats d’une longue enquête sur tous les métaux lourds, dont le cadmium. Ses conclusions sont claires : les principales sources de contamination sont le tabac, le poisson et les fruits de mer. « Les résultats de l’étude Esteban permettent de rappeler la nécessité d’ancrer davantage la lutte contre le tabagisme y compris le tabagisme passif afin de réduire l’exposition au cadmium. En effet, chez les adultes, le tabac entrainait une augmentation de plus de 50% d’imprégnation chez les fumeurs. Par ailleurs, l’alimentation étant une des principales sources d’exposition, il apparait important de rappeler les recommandations du PNNS et de diversifier les sources d’aliments, notamment concernant les poissons. Le poisson et les produits de la mer ont beaucoup de qualités nutritionnelles mais leur consommation influence les concentrations en arsenic, cadmium, chrome et mercure. » Autres vecteurs de contamination notables, selon SPF : les céréales et les fruits bio, ou encore l’eau potable. « La surveillance de l’imprégnation de la population aux substances chimiques est un enjeu de santé publique, souligne Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France. La répétition des études de biosurveillance est nécessaire pour suivre dans le temps les évolutions des expositions de la population et ainsi contribuer à estimer l’impact des politiques publiques visant à les réduire. » Le sujet est donc pris très au sérieux.

L’agriculture française ne cesse d’évoluer, avec de nouvelles pratiques et des baisses continues dans l’utilisation d’intrants, poussée par des normes européennes toujours plus contraignantes. Les consommateurs français peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles ; sauf s’ils sont fumeurs, et s’ils consomment régulièrement des produits importés de régions du monde où la réglementation est moins stricte, sinon inexistante !

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