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A force d’entendre parler dans les médias d’affaires émaillées de conflits d’intérêts, on pouvait espérer que la crainte d’être découvert dissuaderait les plus téméraires. Et pourtant…
Le tribunal de commerce de Créteil vient de statuer mardi 16 septembre dans une affaire (2014F00037) opposant les anciens fondateurs et actionnaires de la société ENERGIA, à GDF Suez. Fabrice Crobeddu et ses associés Damien Lapalus et Frédéric Wassner reprochent à GDF Suez d’avoir pris le contrôle de leur société – qu’ils ont sollicité pour s’adosser à un grand groupe – pour ensuite la faire disparaître, au lieu de la développer comme prévu.
Mais ce qui aurait du rester un banal conflit commercial, que la Justice aurait pu trancher sur la seule foi des arguments des parties en présence, risque de devenir un nouveau scandale. Le juge « chargé d’instruire l’affaire qui a clos les débats et mis en délibéré », Antoine Larue de Charlus, comme l’indique le procès verbal d’audience se trouve être… le père de la « chef de projets marketing » de GDF Suez, Adèle Larue de Charlus !
La composition duTribunal lors de l'audience du tribunal de commerce de Créteil du 16 septembre
Le confit d’intérêt est criant, et crée une voie royale pour un recours en nullité du jugement pour les avocats des plaignants… d’autant que le tribunal de commerce de Créteil n’était pas territorialement compétent pour traiter l’affaire ! La plainte a en effet été déposée initialement devant le Tribunal de Commerce de Paris, qui a demandé en septembre 2013 une délocalisation de l’affaire. Motif ? « Attendu que nous avons des liens familiaux avec l’un des dirigeants de la défenderesse qui pourraient entacher l’apparence d’impartialité (…) transmettons la cause au premier président de la cour d’appel de Paris pour qu’il puisse désigner la juridiction de renvoi ».
L'ordonnance du juge du Tribunal de Commerce de Paris demandant la délocalisation
de l'affaire pour "liens familiaux avec l'un des dirigeants de la défenderesse".
Un modèle de probité ou plus simplement... une réaction normale !
L’affaire n’a donc pas été jugée à Paris comme prévu, le juge saisi ayant demandé à être dépossédé du dossier en raison d’un « conflit d’intérêt », mais à Créteil, où le président du Tribunal qui a jugé l’affaire se trouve être le père d’une cadre de GDF Suez, à un poste important, marketing communication.
Nul doute que le premier président de la Cour d’Appel de Paris, qui a désigné le tribunal de Commerce de Créteil pour lever les risques de conflit d’intérêt soulevés par le juge parisien, tombera de sa chaise en découvrant quels liens familiaux unissent le juge de Créteil à un cadre de GDF Suez, défendeur dans cette affaire. Peut-il demander l’annulation du jugement ? En théorie non… Les demandeurs ont en tout cas un mois pour faire appel de la décision. Nul doute qu’avec une telle irrégularité de procédure, le mot est faible, leur recours sera aisé. Demeure une question : le juge qui a statué dans cette affaire s’est il trouvé là « par hasard », ou bien Créteil a-t-il été sciemment choisi pour sa « bienveillance » à l’égard de GDF Suez ?