Depuis près de 20 ans, les opposants à la corrida mènent une guerre de tranchées et semblent être en passe de remporter la partie. Si les férias avaient connu un regain d’intérêt dans les années 1990, l’engouement est passé de mode.
Un tradition ancrée face à une pression plus politique qu'économique
Depuis 2005, 24 villes françaises ont renoncé aux corridas, selon le décompte d’Alliance Anti-Corrida. Il reste désormais 50 villes membres de l’Union des villes taurines françaises dont les sept plus importantes sont : Arles, Bayonne, Béziers, Dax, Mont-de-Marsan, Nîmes et Vic-Fezensac. Parallèlement, la fréquentation globale des arènes françaises est en baisse. Nîmes, par exemple, a perdu 20 000 spectateurs en neuf ans. À Béziers en 2019, certaines corridas n’ont accueilli que 4000 spectateurs sur les 13 000 possibles.
Pourtant, lors des Ferias de Pentecôte de 2019, malgré une nouvelle perte de 1000 spectateurs par rapport aux 49 000 en 2018, les arènes de Nîmes affichaient « no hay billetes » pour la corrida de clôture du dimanche, pour la première fois depuis 2012 (et il avait alors fallu la présence du légendaire José Tomás, qui plus est en tournée d’adieu, pour remplir les gradins). Avec 32 500 spectateurs, les ferias des vendanges de 2018 à Nîmes faisaient mieux que l’année précédente (moins de 30 000). À Arles, 35 000 personnes ont assisté aux corridas du weekend des Ferias de Pacques, à contre-courant de la tendance de ces dernières années.
En somme, si l’économie de la corrida semble promise à une contraction, il n’est pas si évident d’estimer le seuil auquel pourrait se stabiliser la baisse de fréquentation. En France comme en Espagne, la corrida n’est devenue un phénomène de masse que dans la dernière moitié du XXe siècle. La pratique a donc traversé les siècles à un niveau d’engouement encore inférieur à celui où elle se situe actuellement :
Plus que les contraintes économiques, c’est la pression d’un électorat de plus en plus sensible à la cause animale qui pourraient directement menacer l’organisation de tels événements.
Économie de la feria : viable sans l’aficionado ?
Le bilan financier de l’activité taurine suit logiquement cette tendance à la baisse (à Nîmes le solde positif était de 109 645 € en 2015 contre 31 580 € en 2017), sans nécessairement être déficitaire. Pour les grandes municipalités taurines, la baisse de fréquentation des arènes ne signifie pas une perte nette. D’ailleurs, dans le cas d’une DSP[1] c’est une société privée qui organise la corrida comme à Nîmes (Casas), Béziers (Margé) ou Arles (Jalabert).
Le problème n’est pas tant que les corridas soient déficitaires mais qu’elles n’engendrent pas suffisamment de bénéfices pour supporter le coût total des ferias, ces périodes de fêtes populaires traditionnellement organisées autour des jeux taurins. C’est en fait le « modèle dacquois » qui périclite : ce système où les aficionados suffisaient à financer les fêtes.
Certes, à Béziers comme à Nîmes, le public des fêtes augmente d’année en année, quand celui des corridas diminue. Cela ne fait qu’aggraver le fait que les recettes des corridas ne couvrent plus les dépenses des semaines de fêtes, qui sont également en augmentation (sécurité, services de nettoyage, etc.). En outre, la feria devient une fête de plus en plus locale, et le public se renouvelle peu. Selon l’audit commandé par la ville de Nîmes sur l’ensemble de la feria 2018, les Parisiens n’étaient que 2%.
L’aficionado ne représente qu’une part mineure du public des ferias : 6% à Nîmes, 5,7% à Béziers, 4,4% à Dax, et à titre de comparaison, 5% à Séville. Cependant, il consomme un panier de 26% supérieur à celui du visiteur lambda (72 euros contre 53 euros, en 2018) et à tendance à rester plusieurs jours sur place, notamment car il assiste à plusieurs tardes.
Des modèles à réinventer
Les corridas, éminemment polémiques, ne sont pas de événements culturels comme les autres. Si la contraction de l’économie du mundillo semble difficilement évitable, il y aurait peut-être une opportunité pour les acteurs du secteur de se réinventer en appliquant les recettes qui fonctionnent aujourd’hui dans le monde des festivals musicaux et du spectacle vivant.
- Modernisation de la production du spectacle. Ici, il faudrait en particulier renouveler le système de rémunération des matadors, et assurer une répartition des charges plus saine entre les arènes et le couple matador-ganadero.
- Diversification et mix des services. Il s’agit de proposer des activités connexes au-delà du spectacle en lui-même. L’Office du tourisme de Nîmes et Simon Casas ont ainsi proposé en 2019 un package pédagogique « ma première corrida ».
- Construire avec des territoires des parcours touristiques. Composer une nouvelle image de la feria et mettre en récit les cultures locales en associant découverte de l’arène et partenariats dans le tissu économique local (restauration, tourisme patrimonial, etc.). Comme dans le monde du spectacle vivant, les promoteurs doivent penser à proposer une « expérience », plus qu’un simple droit d’entrée.
A défaut de se réinventer, le monde de la corrida risque de s'enfoncer dans un entre-soi délétère.