Un geste simple, familier, presque machinal : déplier la notice d’un médicament. Et pourtant, ce geste pourrait bien appartenir au passé si Bruxelles poursuit ses ambitions numériques.
Médicaments : il n’y aura bientôt plus de notices dans les boîtes
Le 11 avril 2025, plusieurs associations françaises de défense des consommateurs ont lancé une alerte publique. Leur cible : une réforme européenne qui pourrait faire disparaître la notice papier des boîtes de médicament au profit d’un format digital. Derrière ce changement apparemment anodin, des fractures profondes se dessinent entre modernité revendiquée et exclusion redoutée.
La Commission européenne veut tourner la page de la notice papier
À Bruxelles, la Commission européenne affiche une ambition claire : moderniser le cadre pharmaceutique européen. Dans le cadre de la réforme du « paquet pharmaceutique » présentée le 26 avril 2023, les institutions visent une rationalisation de la distribution des médicaments. Et parmi les mesures envisagées : la suppression progressive de la notice papier.
L'idée ? Passer à un système exclusivement numérique, via des QR codes imprimés sur les boîtes, renvoyant à une notice en ligne. Officiellement, les arguments ne manquent pas : mise à jour facilitée, lisibilité améliorée, multilinguisme, réduction des déchets, simplification logistique. Les fédérations pharmaceutiques européennes ne s’en cachent pas : « La notice électronique garantit que les informations fournies sont toujours à jour ». Et d’ajouter : « La disponibilité des médicaments pourrait être accrue grâce à des conditionnements multilingues permettant une redistribution plus aisée des boîtes entre les États membres ».
Des associations montent au front pour défendre l’inclusion
Face à cette perspective, trois associations françaises ont uni leur voix : UFC-Que Choisir, Familles rurales et la CLCV (Consommation, logement et cadre de vie). Dans une lettre ouverte adressée aux ministres de la Santé et des Affaires étrangères, elles demandent le maintien sans condition de la notice papier, sans aucune logique de substitution ou d’option facultative.
« Le numérique doit rester un outil additionnel, complémentaire et jamais un substitut imposé », martèlent-elles dans leur courrier commun publié sur le site de l’UFC le 11 avril 2025.
Leur crainte ? Une fracture numérique brutale, particulièrement pour les personnes âgées, les usagers en situation de précarité ou vivant dans des zones mal couvertes. Pour ces publics, la notice papier demeure « un support indispensable, à la fois simple et fiable ». Un outil qui ne nécessite ni connexion internet, ni compétence technique, ni équipement mobile.
La disparition de ce document constituerait une barrière sanitaire supplémentaire, voire une forme d’exclusion médicalesilencieuse.
En France, une expérimentation prévue à l’automne 2025
Dans l’Hexagone, le bal est déjà lancé. Une expérimentation sur une centaine de médicaments est annoncée pour l’automne 2025. L’objectif ? Tester des notices dématérialisées accessibles uniquement en ligne.
Ce test est présenté comme un banc d’essai avant une possible généralisation. Mais pour les associations, cette logique du « laboratoire social » est inacceptable sans garantie de maintien du support papier. « Il est impensable de basculer dans un modèle numérique imposé qui ne tiendrait pas compte des besoins de l’ensemble des citoyens », résume UFC-Que Choisir sur son site officiel.
Derrière l’argument écologique, une bataille d’intérêts
L’industrie pharmaceutique avance des motifs environnementaux pour justifier ce tournant : économies de papier, moins d’encre, réduction des volumes imprimés, et donc moins de déchets. Les associations reconnaissent ces enjeux, mais rappellent que la numérisation ne doit pas se faire au détriment des droits fondamentaux des usagers.
La vraie question est ailleurs : est-il acceptable que l’information médicale soit accessible uniquement en ligne, comme si l’infrastructure numérique était infaillible ? Que se passera-t-il en cas de panne de courant, d’échec de réseau mobile, ou tout simplement, pour ceux qui n’ont ni smartphone ni ordinateur ?
Une réforme européenne sous haute tension
La révision du paquet pharmaceutique, toujours en cours de négociation, pourrait aboutir d’ici la fin de 2025. Le Parlement européen a adopté sa position en avril 2024, favorable à une réforme ambitieuse.
Mais rien n’est encore acté. La mobilisation citoyenne pourrait peser. Le Comité économique et social européen appelle à ne pas oublier les plus vulnérables et à conserver des garanties d’accessibilité universelle. Pour l’heure, les notices papier restent en sursis.