Santé : le lourd coût humain de la résistance aux antibiotiques

Elles sont invisibles, infatigables, et elles gagnent du terrain. Dans le silence des hôpitaux et des élevages industriels, des bactéries mutantes affûtent leurs armes contre les antibiotiques. En face, les autorités européennes commencent, trop tard peut-être, à réaliser l’ampleur de la menace.

Jade Blachier
By Jade Blachier Last modified on 10 avril 2025 11h08
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antibiotiques-autorites-sante-alertent-patient - © Economie Matin
1 millionL’antibiorésistance est déjà responsable de plus d’un million de morts dans le monde chaque année.

Le 5 mars 2025, un rapport conjoint de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a tiré une nouvelle fois la sonnette d’alarme sur la résistance face aux antibiotiques, ce phénomène par lequel des bactéries autrefois sensibles aux traitements deviennent capables de leur résister : l'antibiorésistance. À Bruxelles, la panique ne s’affiche pas, mais l’inquiétude est bien là : plus de 35 000 morts par an dans l’Union européenne sont désormais attribués à cette dérive silencieuse, et l’horizon de 2050 pourrait transformer l’acte médical le plus banal en roulette russe.

Résistance aux antibiotiques : l’Europe observe, les bactéries avancent

Selon l’ECDC, la résistance à des antibiotiques essentiels comme la ciprofloxacine, un fluoroquinolone clé pour traiter les infections à Salmonella ou Campylobacter, ne cesse d’augmenter. Le rapport de mars 2025 indique que dans plus de la moitié des pays européens ayant soumis des données, la résistance de Salmonella Enteritidis et de Campylobacter jejuni chez l’humain est en forte hausse.

Et comme si cela ne suffisait pas, l’ECDC ajoute : « High to extremely high proportions of ciprofloxacin resistance have been observed in Campylobacter from food-producing animals, and in Salmonella and E. coli from poultry specifically. ». Elle explique que nos assiettes sont devenues des vecteurs d’agents pathogènes blindés contre les armes de la médecine.

Antibiorésistance et santé publique : le scénario du pire n’est plus fictif

L’ECDC ne se contente pas de constater, il alerte : "sans réponse coordonnée, l’antibiorésistance pourrait tuer plus que le cancer d’ici 2050". Selon l’anthropologue Charlotte Brives, invitée le 4 mars 2025 sur France Inter dans La Terre au carré, « l’antibiorésistance est déjà responsable de plus d’un million de morts dans le monde chaque année, et pourrait en causer jusqu’à 39 millions d’ici 2050 ».

À ce stade, la santé publique vacille : greffes, chimiothérapies, chirurgies de routine… tout ce qui repose sur la prophylaxie antibiotique pourrait devenir impossible. Un rhume n’évolue pas toujours vers la septicémie, mais quand un panaris devient mortel, on entre dans un monde que l’on croyait disparu.

L’Europe tente une riposte tardive mais nécessaire contre la résistance aux antibiotiques

Face à l’ampleur du phénomène, les institutions européennes affûtent leur réponse stratégique, en misant sur l’approche dite "One Health", une vision holistique liant santé humaine, animale et environnementale.

Dans un document stratégique du ministère de la santé français daté du 16 novembre 2017, Giovanni Mancarella (ECDC) soulignait déjà la priorité donnée à la communication pan-européenne et à la sensibilisation via la journée EAAD (European Antibiotic Awareness Day). Depuis, les plans nationaux se sont multipliés, mais sans coordination réelle.

Quant à la France, elle affiche encore une consommation d’antibiotiques vétérinaires supérieure à la moyenne européenne. Et même si l’usage en médecine humaine a globalement diminué, certaines régions cumulent prescriptions abusives, automédication et retards de diagnostic.

Des solutions technologiques émergent… mais le temps presse

À côté des politiques publiques, la recherche avance. L’intelligence artificielle et des capteurs biosensibles sont actuellement testés en Suisse et en Suède pour anticiper les mutations bactériennes. Mais ces technologies n’en sont qu’au stade expérimental.

Charlotte Brives, elle, propose une piste inattendue sur France Inter : la phagothérapie. « Les phages, ces virus qui tuent les bactéries, pourraient représenter une alternative non industrialisable et donc échappant aux logiques de rentabilité pharmaceutique. ».

Entre cynisme et espoir, le salut viendra peut-être de l’Est : la Géorgie et la Russie n’ont jamais cessé d’utiliser les phages pour contrer certaines infections résistantes.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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