Et si l’Union européenne décidait enfin de couper le cordon ? Sous l’impulsion de Bruxelles et des banques centrales, le vieux continent tente, tant bien que mal, de se libérer du joug des mastodontes américains et chinois qui régentent nos porte-monnaie électroniques.
Paiements : l’Europe veut en finir avec Visa et PayPal mais ne sait pas comment
Ce 8 avril 2025, à Paris, la Banque de France a confirmé ce que tous les initiés savaient déjà : l’Europe veut reprendre la main sur les paiements. Et elle veut le faire avec sa propre monnaie numérique, un euro électronique adossé à la Banque centrale européenne. Objectif affiché : ne plus dépendre exclusivement de Visa, Mastercard, PayPal ou Alipay.
Une plateforme de paiement pour l’Europe : la fin de l’hégémonie Visa-Mastercard ?
L’annonce est aussi claire que stratégique. Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), n’a pas mâché ses mots dans une intervention relayée par Frandroid : « Nous devrions veiller à ce qu’il y ait une offre européenne ». Autrement dit : sortir de la dépendance technologique vis-à-vis des systèmes de paiement étrangers. Et le message est limpide : Visa, Mastercard, PayPal, AliPay, merci pour les services rendus, mais place à l’alternative.
Cette volonté d’autonomie ne date pas d’hier. Dès 2020, la BCE publiait un rapport fondateur sur l’euro numérique. Mais le ton a changé : il ne s’agit plus de prospecter, mais d’agir. Dans sa communication officielle, l’institution affirme que le projet vise à « renforcer le paysage européen des paiements », en garantissant des frais équitables, une protection élevée de la vie privée et un contrôle des flux financiers.
Et l’enjeu est colossal : selon une étude du European Parliamentary Research Service, une intégration économique accrue autour d’une monnaie numérique européenne pourrait générer jusqu’à 2 800 milliards d’euros de PIB supplémentaires d’ici 2032. De quoi faire trembler les multinationales du paiement, et surtout, justifier l’ampleur de l’investissement requis.
Euro numérique : un projet en gestation jusqu’en 2030
Mais attention à l’emballement. Comme souvent en Europe, la machine est lourde et les échéances glissantes. Lors de la conférence du France Payments Forum le 8 avril 2025, Erick Lacourrègue, directeur général des moyens de paiement de la Banque de France, a douché les plus impatients : « Si l’euro numérique doit voir le jour, ce sera probablement aux alentours de 2028-2030 ».
Ce calendrier repousse d’au moins deux ans les ambitions initiales de la BCE. La décision officielle ne sera pas prise avant fin 2026, après évaluation complète de la phase préparatoire lancée en novembre 2023. Cette phase inclut :
- la sélection de prestataires pour développer l’infrastructure numérique,
- l’élaboration d’un recueil de règles pour harmoniser les usages,
- des tests techniques à l’échelle de la zone euro,
- des études utilisateurs pour répondre aux attentes concrètes.
La BCE, dans ses documents officiels, martèle que le futur euro numérique devra garantir une utilisation fluide, une interopérabilité avec les systèmes existants, et une sécurité de bout en bout. Bref, il ne s’agira pas d’un gadget symbolique, mais d’un véritable outil monétaire européen.
Résistance du cash et guerre des plateformes au sein de l’Union
Ironie du sort : alors que l’euro numérique patine, les espèces, elles, résistent. Lacourrègue a tenu à le rappeler avec un brin de sarcasme, relaie Le Figaro : « Les espèces, ce n’est pas l’ancien monde, ce n’est pas les dinosaures qui sont en train de disparaître […] Le jour où on n’a plus d’électricité, le seul moyen qu’on a pour acheter à manger, c’est le cash. ».
Mais pendant que l’administration temporise, le marché, lui, n’attend pas. Le groupe Cartes Bancaires (CB) et le consortium Wero se livrent déjà une bataille féroce pour imposer leurs solutions de paiement mobile. Wero, notamment, prévoit de déployer des fonctionnalités pour les paiements chez les commerçants physiques et en ligne, directement concurrentes de CB.
Jean-Paul Mazoyer, président de Cartes Bancaires, ne cache pas son inquiétude : la montée en puissance de Wero risque de fragmenter le marché européen, plutôt que de l’unifier. Derrière cette joute se cache un enjeu de taille : qui contrôlera demain les standards techniques du paiement européen ?
Technologie, souveraineté, stratégie : un tournant numérique décisif
Ce que révèle cette transition lente, c’est avant tout un choc de cultures. D’un côté, les institutions publiques européennes, prudentes, méthodiques, soucieuses de régulation. De l’autre, des géants privés — Visa, Mastercard, PayPal, mais aussi leurs challengers européens — qui avancent à toute vitesse pour capter l’usage réel.
Mais cette lenteur stratégique pourrait coûter cher. Le site de la BCE le confirme sans détour : « La décision d’émettre ou non l’euro numérique ne sera envisagée qu’à un stade ultérieur, une fois que le processus législatif de l’Union européenne sera achevé. ». En clair : sans impulsion politique forte, l’Europe pourrait bien rester à la traîne, prisonnière d’un paradoxe. Celui d’une union monétaire sans véritable souveraineté technologique.
L’Europe des paiements cherche encore son architecture
Tandis que les États-Unis peaufinent leurs portefeuilles numériques connectés aux GAFAM et que la Chine impose Alipay comme standard global, l’Union européenne tâtonne encore. Les ambitions sont là, les projets structurants aussi. Mais sans volonté politique affirmée ni calendrier contraignant, la construction d’un espace monétaire numérique européen reste à l’état de chantier ouvert.