Nutri-Score : une avancée de Santé Publique controversée

Tandis que l’Europe avance dans l’harmonisation de son étiquetage nutritionnel, la France peine à trancher. Le Nutri-Score 2.0, pourtant validé, est loin d’être unanimement adopté.

Jade Blachier
Par Jade Blachier Publié le 14 mars 2025 à 11h30
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700En juin 2021, 700 entreprises étaient engagées en faveur du Nutri-Score.

Le 14 mars 2025 le gouvernement français a validé la nouvelle version du Nutri-Score. Cette évolution, censée affiner le classement nutritionnel des produits alimentaires, entraîne des réactions contrastées au sein de l’exécutif. D’un côté, les ministres de la Santé et de l’Économie insistent sur son rôle pour mieux informer les consommateurs. De l’autre, la ministre de l’Agriculture redoute ses conséquences sur des produits emblématiques du terroir français.

Le Nutri-Score 2.0 : une réforme nécessaire ou une décision précipitée ?

Le Nutri-Score, introduit en France en 2017, repose sur une échelle de A à E qui classe les aliments selon leur qualité nutritionnelle. Cette nouvelle version, appliquée depuis janvier 2024 dans plusieurs pays européens, durcit les critères d’évaluation en tenant compte de la teneur en sel, en sucres et en graisses. Le but est d’encourager des choix alimentaires plus sains en valorisant les produits bruts et riches en fibres, tout en pénalisant davantage les boissons sucrées et édulcorées.

Les nutritionnistes saluent ces ajustements, qui reflètent mieux l’impact de certains produits sur la santé publique. Pourtant, la mise en application en France se heurte à des résistances politiques et économiques. Certains estiment que ce durcissement du barème risque de biaiser la perception de certains aliments, en donnant des notes sévères à des produits naturels tout en valorisant des formulations allégées ultra-transformées.

Un gouvernement en ordre dispersé

Alors que le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a signé l’arrêté sans hésitation, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, refuse de valider le décret en l’état. Lors d’une séance au Sénat le 6 mars, elle a déclaré qu’elle examine les « marges de manœuvre pour en corriger les effets négatifs ».

Les ministres de la Santé, Catherine Vautrin et Yannick Neuder, adoptent quant à eux une position diamétralement opposée, mettant en avant l’urgence de lutter contre l’obésité et les maladies chroniques liées à l’alimentation. Ils rappellent qu’« un Français sur deux est en situation de surpoids » et considèrent ce Nutri-Score remanié comme un levier indispensable pour mieux informer le consommateur.

Les industriels vent debout contre un classement jugé arbitraire

Du côté des industriels, la fronde est tout aussi marquée. Plusieurs représentants de l’agroalimentaire dénoncent un système qui, selon eux, pénalise certains fleurons de la gastronomie française. Les producteurs de fromages AOP, d’huile d’olive ou encore de charcuterie s’inquiètent de la dégradation de la notation de leurs produits. Par exemple, le camembert AOP, initialement noté C, passe à D. L’huile d’olive, souvent vantée pour ses qualités nutritionnelles, recule de B à C, tandis que les jus de fruits, perçus comme une alternative saine aux sodas, chutent de B à D.

Cette réforme du Nutri-Score met en lumière un paradoxe : des sodas allégés se retrouvent parfois mieux classés que des produits naturels issus du terroir. Cette situation nourrit le scepticisme de certains professionnels de l’alimentation, qui dénoncent une approche simpliste basée uniquement sur la composition brute des produits, sans tenir compte de leur mode de consommation réel.

Une mise en place laborieuse en France, alors que l’Europe avance

Alors que la France peine à appliquer cette nouvelle version, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne, le Luxembourg et la Suisse l’ont déjà adoptée depuis janvier 2024. Cette divergence illustre un retard paradoxal pour un pays qui fut l’un des premiers promoteurs du Nutri-Score.

Au niveau européen, la Commission débat encore de l’harmonisation de l’étiquetage nutritionnel. L’idée de rendre le Nutri-Score obligatoire divise profondément les États membres. L’Italie, par exemple, rejette catégoriquement ce dispositif, qu’elle juge discriminatoire envers ses produits traditionnels comme le parmesan ou l’huile d’olive extra-vierge.

Vers une sortie de crise ou un compromis bancal ?

Face aux critiques, le gouvernement français a décidé d’instaurer une période transitoire de deux ans. Ce délai doit permettre aux industriels d’adapter progressivement leurs emballages et d’intégrer les nouvelles règles de calcul. Dans le même temps, des campagnes de communication seront lancées dès juin 2025 par Santé Publique France, afin de mieux expliquer aux consommateurs les nouvelles logiques de notation et de prévenir d’éventuelles confusions.

À ce stade, le Nutri-Score semble être devenu bien plus qu’un simple indicateur nutritionnel : il cristallise les tensions entre enjeux de santé publique et préservation du patrimoine gastronomique français.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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