Depuis la pandémie de Covid-19, le « quoi qu’il en coûte » a été le pilier des politiques budgétaires françaises. Ce dispositif a permis de préserver l’économie face aux crises successives, mais il a également creusé un gouffre financier difficilement tenable à long terme. Le 9 janvier 2025, Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, a présenté un rapport détaillant une série de recommandations destinées à redresser les finances publiques. Ce document souligne l’urgence de mettre fin aux mesures d’aide exceptionnelles et de recentrer les dépenses publiques sur des priorités durables.
Budget : la Cour des Comptes sort la tronçonneuse sur les aides
La Cour des comptes dresse un constat sans appel : les crises justifiant ces dépenses exceptionnelles, comme la pandémie ou la flambée des prix de l’énergie, sont désormais largement derrière nous. Pourtant, de nombreuses aides continuent de grever le budget de l’État. En 2024, le déficit public atteignait encore 6,1 % du PIB, loin des objectifs européens fixés à moins de 3 %. Les dépenses publiques, quant à elles, représentaient 57 % du PIB, un niveau supérieur de trois points à celui d’avant la pandémie. Dans ce contexte, l’abandon des politiques d’urgence est jugé inévitable pour éviter une détérioration irréversible des finances publiques.
La Cour des Comptes veut couper dans les dépenses du « quoiqu’il en coûte »
La Cour propose un ensemble de mesures visant à alléger les dépenses tout en augmentant certaines recettes. Parmi les recommandations phares, la révision des aides à l’embauche des apprentis est emblématique. Actuellement, ces aides sont étendues à tous les niveaux d’études et à toutes les entreprises, mais leur coût est jugé disproportionné. La Cour suggère de les limiter aux niveaux CAP et bac professionnel, tout en excluant les entreprises de plus de 250 salariés. Une telle réforme pourrait dégager 745 millions d’euros d’économies dès 2025. De même, le bonus écologique, conçu pour encourager l’achat de véhicules peu polluants, pourrait être recentré sur des modèles plus légers et plus économes en énergie, générant ainsi 200 millions d’euros d’économies.
Le rapport cible également les niches fiscales. L’un des exemples les plus significatifs concerne le barème kilométrique, qui avait été revalorisé pour compenser la hausse des prix de l’énergie. La Cour des comptes préconise un retour au barème de 2021, permettant d’économiser 530 millions d’euros dès cette année. Une autre proposition clé consiste à abaisser le plafond des crédits d’impôt pour les frais de garde d’enfants hors domicile, qui avait été augmenté pour répondre aux besoins spécifiques des familles durant la pandémie. Ce retour au plafond initial pourrait rapporter 200 millions d’euros supplémentaires.
Le rapport propose douze mesures majeures, qui pourraient générer 2,7 milliards d’euros d’économies dès 2025 et plus de 5 milliards à terme :
Mesure proposée | Économie estimée en 2025 | Détail |
---|---|---|
Réduction des aides à l’embauche d’apprentis | 745 millions d’euros | Réservées aux niveaux 3 et 4 (CAP, bac professionnel), exclusion des entreprises de plus de 250 salariés. |
Abaissement du plafond d’éligibilité des véhicules pour le bonus écologique | 200 millions d’euros | Réduction du seuil à 1,925 tonne, ciblant les véhicules plus légers et économes. |
Retour au barème fiscal kilométrique de 2021 | 530 millions d’euros | Suppression des revalorisations récentes jugées excessives. |
Réduction du crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants | 200 millions d’euros | Retour au plafond antérieur pour les frais de garde hors domicile. |
Annulation des crédits non engagés pour la culture | 194 millions d’euros | Suppression de fonds inutilisés dans les dispositifs de soutien culturel post-Covid. |
Réduction des dépenses dans le dispositif de soutien au secteur énergétique | 360 millions d’euros | Ajustement des aides aux entreprises énergivores en fonction des nouveaux prix de l’énergie. |
Réduction des exonérations fiscales sur les salaires des cadres dirigeants | 250 millions d’euros | Révision des plafonds d'exonération, ciblant les très hauts revenus. |
Ajustement des aides aux entreprises durant la crise inflationniste | 450 millions d’euros | Élimination des aides pour les secteurs en reprise économique. |
Révision des subventions pour l’agriculture durable | 150 millions d’euros | Réduction des subventions non ciblées, tout en favorisant les petites exploitations. |
Rationalisation des dépenses administratives | 300 millions d’euros | Fusion de certaines structures administratives pour réduire les doublons. |
Réforme des niches fiscales sur les retraites | 280 millions d’euros | Réduction des avantages fiscaux pour les retraites les plus élevées. |
Ajustement du dispositif de soutien aux collectivités locales | 400 millions d’euros | Réduction des dotations globales de fonctionnement pour les collectivités ayant des réserves financières importantes. |
Budget 2025 : couper dans les aides pour faire des économies
Au-delà de ces mesures ciblées, la Cour des comptes plaide pour une révision systématique des dispositifs de soutien jugés inefficaces ou obsolètes. Les fonds destinés à la culture, par exemple, font l’objet de critiques. Des crédits non engagés dans des initiatives culturelles post-Covid pourraient être supprimés, générant une économie de 194 millions d’euros.
Par ailleurs, la rationalisation des aides aux entreprises énergivores est également évoquée. Alors que les prix de l’énergie se sont stabilisés, ces aides apparaissent désormais injustifiées dans certains secteurs, ce qui pourrait permettre une économie annuelle de 360 millions d’euros.
Taxer les riches pour plus de justice fiscale
Pierre Moscovici insiste toutefois sur l’importance d’une approche équilibrée. Il s’agit, selon lui, de trouver des marges de manœuvre budgétaires sans affaiblir le modèle social français ni nuire à la reprise économique. Pour y parvenir, la Cour propose également d’augmenter certaines recettes fiscales. Les exonérations accordées aux cadres dirigeants, par exemple, pourraient être révisées, notamment en ce qui concerne les très hauts revenus. Cette mesure rapporterait environ 250 millions d’euros dès 2025.
Ces recommandations ne sont qu’une première étape. Pierre Moscovici appelle à inscrire ces réformes dans une stratégie budgétaire de long terme, avec un calendrier précis. En 2025, l’objectif est de ramener le déficit public sous la barre des 5,5 %, tandis qu’un retour à moins de 3 % est prévu pour 2029. Pour y parvenir, la Cour prévoit de publier régulièrement des notes opérationnelles, ciblant des domaines spécifiques comme l’assurance maladie, la défense ou encore les subventions agricoles. En 2024, la France dépensait environ 68 milliards d’euros annuels dans des dispositifs de soutien exceptionnels, issus de la gestion des crises sanitaire et énergétique.
Fin du « quoiqu’il en coûte » : il y aura forcément des perdants
Les implications économiques et sociales de ces réformes sont nombreuses. D’un côté, la réduction des aides permettra de stabiliser la dette publique, qui atteint près de 3 000 milliards d’euros, tout en améliorant la crédibilité financière de la France auprès de ses partenaires européens et des investisseurs internationaux. D’un autre côté, certaines catégories de la population risquent d’être affectées, notamment les familles bénéficiant des crédits d’impôt, les entreprises dépendantes des subventions ou encore les ménages propriétaires de véhicules éligibles au bonus écologique. Pierre Moscovici reconnaît ces défis, mais il insiste sur la nécessité d’agir sans tarder pour éviter une crise budgétaire encore plus grave.
Les propositions de la Cour des comptes offrent une feuille de route claire pour réduire le déficit tout en préservant les fondements du modèle social. Cependant, leur mise en œuvre nécessitera un dialogue social approfondi et une volonté politique forte pour surmonter les résistances. Alors que le gouvernement s’apprête à examiner ces recommandations dans le cadre de la loi de finances 2025, l’enjeu est de taille : restaurer l’équilibre budgétaire sans compromettre la croissance et la cohésion sociale.