Le 20 décembre 2024, Emmanuel Macron a promulgué la loi spéciale destinée à garantir la continuité budgétaire en l’absence d’un budget 2025. Ce mécanisme exceptionnel, conçu pour maintenir les fonctions essentielles de l’État, ne manque pas de faire débat. Selon l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE), cette loi pourrait stimuler une croissance économique modérée, mais au prix d’un creusement du déficit public et d’inégalités exacerbées.
Loi spéciale : plus de croissance mais aussi plus de déficit
Une loi conçue pour sauver la continuité budgétaire
En l’absence de loi de finances (PLF) 2025, situation liée à la censure du gouvernement Barnier, la loi spéciale a été adoptée pour permettre à l’État de continuer à percevoir des impôts et à emprunter sur les marchés financiers. Comme l’explique Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des Finances au Sénat : « Cette loi donne à l’État tout ce qu’il faut pour assurer ses fonctions essentielles au début de 2025, mais rien de plus. »
Concrètement, cela signifie que les dépenses publiques restent alignées sur le budget de 2024, avec des ajustements pour couvrir les besoins immédiats. Ce cadre strict assure une stabilité à court terme, mais limite les marges de manœuvre pour faire face à des imprévus économiques ou financiers. Théoriquement, début 2025 un nouveau Budget devrait être présenté et voté. Mais que se passerait-il s’il n’y en avait pas ?
Une croissance soutenue, mais à quel prix ?
Selon les projections de l’OFCE, qui a étudié les effets de la loi spéciale dans le cas où elle resterait en vigueur sur l’ensemble de l’année 2025, la loi spéciale pourrait avoir un effet modéré mais significatif sur la croissance économique. Estimée à 0,8 % du PIB avec le PLF initial, la croissance pourrait atteindre 1,4 % en 2025 grâce aux mesures incluses dans ce dispositif exceptionnel. Cette augmentation est principalement attribuée à trois facteurs :
- Maintien des exonérations fiscales : Les entreprises bénéficient de réductions d'impôts importantes, favorisant l'investissement.
- Augmentation des dépenses publiques temporaires : L’État continue à soutenir les ménages et les secteurs essentiels.
- Stabilité institutionnelle : Bien qu’imparfaite, la loi rassure les acteurs économiques en évitant une paralysie totale.
Cependant, ce gain de croissance s’accompagne d’une dégradation inquiétante des finances publiques. Le déficit public pourrait dépasser 6 % du PIB, contre une prévision de 5,3 % avec le PLF. À long terme, cet écart pourrait compromettre les objectifs de redressement budgétaire fixés par Bruxelles, augmentant ainsi la pression sur la dette publique, qui frôle déjà près de 112 % du PIB.
Indicateur | PLF 2025 | Loi spéciale |
---|---|---|
Croissance (% du PIB) | 0,8 % | 1,4 % |
Déficit public (% du PIB) | 5,3 % | 6,1 à 6,4 % |
Dette publique (% du PIB) | 110 % | 112 % |
Les points positifs : une bouffée d’air pour l’économie
La loi spéciale comporte plusieurs dispositions qui soutiennent l’économie à court terme :
- Annulation de la taxe exceptionnelle sur les grands groupes : Introduite en 2023 pour combler le déficit, cette mesure, suspendue en 2024, allège la charge fiscale des grandes entreprises de près de 8 milliards d’euros.
- Maintien des exonérations de cotisations sociales : Les employeurs continueront à bénéficier d’un allégement évalué à 4 milliards d’euros, un levier essentiel pour préserver l’emploi.
- Financements d’urgence : La loi garantit la continuité des aides aux collectivités locales et aux secteurs en crise, notamment dans le domaine de la santé et de l’éducation.
Ces mesures soutiennent la consommation et l’investissement, deux piliers essentiels pour maintenir l’activité économique en période d’incertitude.
Les limites : un dispositif inégalitaire et insoutenable
Toutefois, l'OFCE alerte sur les effets pervers de ce mécanisme, notamment sur le plan social. La redistribution reste limitée, et les ménages modestes ne bénéficient pas directement des mesures. Par exemple, les baisses d'impôts concernent principalement les entreprises et les ménages aisés, ce qui accentue les écarts sociaux.
De plus, l’absence de budget officiel nuit à la crédibilité de la France sur la scène internationale. Les agences de notation pourraient dégrader la note de la dette souveraine, ce qu’a déjà fait Moody’s. Une telle perspective pourrait entraîner une hausse des taux d’intérêt sur la dette publique, aggravant encore le coût de son financement.
Enfin, cette loi reporte les décisions structurelles nécessaires pour contenir le déficit et relancer durablement l’économie. Le nouveau Premier ministre François Bayrou a d'ailleurs reconnu l’urgence d’un budget définitif, qu’il espère adopter d’ici février 2025. Cependant, l’instabilité politique actuelle laisse planer des doutes sur la faisabilité de cette échéance.
Des perspectives incertaines pour 2025
Si la loi spéciale a permis d’éviter une crise immédiate, elle ne constitue en aucun cas une solution durable. Les défis pour le gouvernement restent nombreux :
- Redresser les finances publiques tout en maintenant un soutien à l’économie.
- Rétablir la confiance des investisseurs internationaux en adoptant un budget clair et structuré.
- Réduire les inégalités, amplifiées par les mesures actuelles.
L’OFCE insiste sur la nécessité d’un plan d’action à long terme pour garantir une croissance inclusive et équilibrée, tout en respectant les engagements européens de réduction des déficits.