Le 18 décembre 2024, le Conseil d’État a rendu une décision majeure concernant le droit des salariés en France, suscitant des débats houleux dans les milieux syndicaux, politiques et économiques. En confirmant que l’abandon de poste peut être assimilé à une démission, sauf exceptions strictement définies, la plus haute juridiction administrative entérine une mesure contestée.
Chômage : si vous faites ça, vous n’y aurez pas droit
Cette disposition, introduite par la loi du 21 décembre 2022 et précisée par un décret du 17 avril 2023, avait pour objectif affiché de lutter contre les abus d’un système parfois détourné. Désormais, un salarié quittant son poste sans justification valable et refusant de répondre à une mise en demeure de reprise dans un délai de 15 jours est considéré comme démissionnaire. Et ça change tout.
L’abandon de poste reconnu comme démission : qu’est-ce que ça change ?
Cette décision, qui fait suite à un recours des syndicats CGT, FSU et Solidaires, permet définitivement la mise en œuvre de cette réforme controversée. Les juges ont précisé les contours de la présomption de démission, rappelant qu’elle repose sur des conditions précises. L’employeur doit impérativement notifier au salarié les conséquences de son absence et lui accorder une possibilité de justification. Pourtant, malgré ces garde-fous, de nombreuses voix dénoncent une mesure déséquilibrée, qui fragilise les droits fondamentaux des travailleurs. En effet, un salarié démissionnaire n’a pas le droit au chômage, contrairement à un salarié qui aurait été licencié ou qui aurait convenu d’une rupture conventionnelle. De fait, désormais, l’abandon de poste ne donne plus droit au chômage.
L’un des points clés de la décision du Conseil d’État du 18 décembre 2024 réside dans l’obligation pour l’employeur d’informer clairement le salarié des risques encourus. Une mise en demeure doit être formellement adressée, par lettre recommandée ou remise en main propre contre décharge. Ce document doit détailler les conséquences d’une absence injustifiée, notamment la perte des droits aux allocations chômage. Ce cadre vise à s’assurer que le salarié agit en toute connaissance de cause, mais il soulève également des questions sur sa mise en œuvre pratique.
Chômage, abandon de poste… quelques garde-fous existent
En effet, comment garantir que cette notification parvienne au salarié, surtout dans des contextes tendus ou conflictuels ? Les syndicats, qui avaient saisi le Conseil d’État pour contester le décret, estiment que ce dispositif accroît les inégalités entre employeurs et salariés. Ils dénoncent un déséquilibre, arguant que la charge de la preuve revient souvent au salarié, déjà fragilisé par sa situation.
Le Conseil d’État, quant à lui, a balayé ces critiques en rappelant que cette mesure ne s’applique pas dans certains cas spécifiques. Sont ainsi exclus les abandons de poste liés à des motifs légitimes tels que des raisons médicales, l’exercice du droit de grève ou de retrait, ou encore le refus d’exécuter un ordre manifestement contraire à la réglementation.
Les droits au chômage sont retirés pour abandon de poste
Sur le plan économique, les défenseurs de cette réforme mettent en avant des arguments de poids. Selon une étude de l’Unédic, environ 82 000 salariés ont abandonné leur poste en 2022, représentant 5 % des bénéficiaires de l’assurance chômage. Ce phénomène aurait engendré un coût estimé entre 380 et 670 millions d’euros par an pour le régime d’assurance chômage. En supprimant l’accès à ces indemnités pour les salariés présumés démissionnaires, et donc pour les salariés ayant fait un abandon de poste, la réforme ambitionne de réaliser des économies significatives et de renforcer la viabilité du système. Mais ces gains financiers s’accompagnent d’un lourd prix social.
Pour de nombreux salariés, l’abandon de poste n’est pas un choix, mais un acte souvent dicté par des situations de détresse. Les motifs invoqués incluent des conditions de travail insoutenables, des situations de harcèlement non résolues, ou encore l’impossibilité d’obtenir une rupture conventionnelle, pourtant prévue pour encadrer les séparations amiables entre employeurs et salariés. Selon l’Unédic, 23 % des abandons de poste seraient même directement suggérés par les employeurs, souvent dans le cadre d’arrangements tacites. Dans plus de la moitié des cas, ces séparations se feraient avec l’accord implicite des deux parties. La réforme vient donc complexifier ces dynamiques, en transformant ce qui relevait d’un accord informel en une rupture unilatérale aux conséquences lourdes.
Réforme du chômage : un équilibre encore fragile
En validant cette réforme, le Conseil d’État a choisi de privilégier une interprétation stricte des règles, tout en rappelant l’importance des exceptions prévues par la loi. Mais la mise en pratique de ces principes reste une zone grise. Comment garantir que les employeurs respectent scrupuleusement leurs obligations d’information ? Comment protéger les salariés contre les éventuels abus d’un dispositif qui semble, à première vue, davantage favorable aux entreprises ?
Alors que cette mesure entre pleinement en vigueur, les prud’hommes risquent d’être sollicités comme arbitres de nombreux conflits. Cette réforme parviendra-t-elle réellement à simplifier les relations entre employeurs et salariés, ou creusera-t-elle un fossé supplémentaire entre eux ?