Il était minuit moins cinq pour les finances publiques françaises. Le 16 décembre 2024, l’Assemblée nationale a adopté la loi spéciale, une mesure d’urgence censée éviter un shutdown, blocage budgétaire complet qui aurait paralysé l’administration dès le 1er janvier 2025. La chute du gouvernement Barnier en décembre 2024 a laissé le pays sans budget, plongeant les institutions dans une incertitude historique.
Budget : pas de « shutdown » à la française
Sans la loi sur le Budget, votée chaque année, pas d’impôts, pas de crédits budgétaires, pas de fonctionnement pour l’État. Pas de policiers dans les rues, pas d’écoles ouvertes, pas de services hospitaliers en activité. Une situation critique qui, selon le ministre démissionnaire du Budget, Laurent Saint-Martin, nécessitait une réponse rapide.
Budget 2025 : Une loi spéciale minimaliste mais nécessaire
Mais derrière ce discours pragmatique, les critiques pleuvent. Car si la loi spéciale maintient les roues de l’administration en mouvement, elle ignore les avancées budgétaires obtenues pour des secteurs clés comme l’agriculture ou l’industrie textile. Elle reporte les priorités sociales et économiques. Surtout, elle pose une bombe à retardement pour les contribuables, sur fond de polémiques fiscales. Mais ce n’est guère étonnant : la loi spéciale prévue par la loi française a une portée limitée… et tout ce qui sort de ce cadre risque d’être censuré car inconstitutionnel.
La loi spéciale est un outil juridique rare, prévu par la Constitution française via la LOLF (Loi organique relative aux lois de finances). Elle autorise l’État à continuer de lever les impôts et d’engager des dépenses sur la base du budget de l’année précédente. Pour 2025, ça signifie que les comptes publics seront calqués sur ceux de 2024. Pas de nouveaux investissements, pas de marges de manœuvre pour l’exécutif : l’administration avance en mode survie.
Le texte se veut avant tout technique. Il se compose de trois articles visant à garantir le fonctionnement des institutions :
- Maintien des crédits budgétaires de 2024.
- Reconduction des impôts dans leur état actuel.
- Possibilité pour l’État et la Sécurité sociale de continuer d’emprunter.
Cette solution, aussi froide qu’efficace, évite une catastrophe immédiate. Ce qui explique qu'elle ait été adoptée à l'unanimité (LFI s'étant abstenu) le 16 décembre 2024 par l'Assemblée nationale.
Impôts : les contribuables vont-ils payer plus cher ?
C’est là que le bât blesse. Reconduire les impôts de 2024 signifie, par définition, ne pas revaloriser le barème de l’impôt sur le revenu en fonction de l’inflation. En d’autres termes, des milliers de ménages modestes risquent de devenir imposables dès 2025, alors que leur pouvoir d’achat continue de s’effriter.
Selon les estimations de l’OFCE, 380 000 nouveaux foyers fiscaux entreront dans l’impôt. La facture sera particulièrement salée pour les classes moyennes, premières victimes de cette rigidité budgétaire.
L’opposition a tenté d’introduire des amendements pour indexer le barème sur l’inflation. Charles de Courson, Éric Coquerel et plusieurs députés de l’opposition ont plaidé pour une adaptation fiscale. Mais la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a opposé une fin de non-recevoir, s’appuyant sur un avis du Conseil d’État. Ce dernier estime que la loi spéciale, par nature exceptionnelle, ne peut servir à instaurer de nouvelles mesures fiscales.
Les contribuables, eux, n’ont pas le luxe de l’attente. Sans réforme rapide en 2025, la pression fiscale sera bel et bien au rendez-vous.
Les secteurs oubliés : victimes du compromis budgétaire
Les premiers à subir les conséquences de cette loi spéciale sont les secteurs qui avaient obtenu des engagements dans le budget initial 2025 avant la chute du gouvernement Barnier. Les agriculteurs, le secteur textile ou encore les ministères régaliens voient leurs avancées budgétaires gelées.
L’adoption de la loi spéciale, bien que nécessaire, ne règle rien sur le fond. Le texte permet à l’État de fonctionner, mais il ne remplace pas un véritable budget pour 2025. Le successeur de Michel Barnier, François Bayrou, en est conscient. Sa mission est claire : obtenir un consensus pour un budget durable dans les prochains mois.
Mais la tâche s’annonce ardue. Car au-delà des équilibres budgétaires, ce sont les fractures politiques et sociales qui devront être colmatées. En attendant, les Français paient le prix de l’incertitude : une hausse possible des impôts, une absence d’investissements pour l’avenir et une instabilité qui fragilise le pays.
La loi spéciale est un symptôme, pas un remède. Si elle évite le pire à court terme, elle laisse planer une menace fiscale et sociale pour 2025. La continuité de l’État est assurée, mais à quel prix pour les contribuables ? La question reste ouverte. En attendant, les regards se tournent vers François Bayrou et son gouvernement, attendu au tournant pour présenter un budget complet capable de calmer les tensions.