Voitures électriques et concurrence stratégique : sélectivité toujours de mise

La transition vers les véhicules électriques (VE) devait être rapide, mais elle s’avère complexe. Les VE sont un maillon de la transition climatique. Cependant, le secteur reflète aussi des rivalités géopolitiques. Les vents contraires économiques, la diminution des subventions, les problèmes d’accessibilité financière et les questions relatives aux réseaux de recharge sont autant de facteurs qui ralentissent l’adoption de ces véhicules.

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Par Guillaume de Noyelle Publié le 15 décembre 2024 à 9h30
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Voitures électriques et concurrence stratégique : sélectivité toujours de mise - © Economie Matin
7%L’industrie automobile représente quelque 7% du produit intérieur brut de l’Union européenne (UE)

La Chine s’est imposée comme un producteur de premier plan, tandis que les constructeurs automobiles établis en Europe et en Amérique du Nord peinent à adapter leur production et sont confrontés à une certaine confusion politique.

L’adoption généralisée des VE devrait contribuer au respect des engagements internationaux en matière de climat. Le transport individuel génère environ 7% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et les VE sont jusqu’à trois fois plus efficients que les moteurs diesel et à essence conventionnels. Grâce aux innovations de Tesla Inc. et à l’ambition de la Chine en matière de production, les VE représentent aujourd’hui près de 12% des ventes de voitures neuves dans le monde. De nombreux pays se sont fixé pour objectif d’atteindre les 50% d’ici à 2030.

Néanmoins, le taux d’adoption des VE a ralenti dernièrement. Certains pays ont réduit leurs mesures d’incitation en faveur des VE et la remontée des taux d’intérêt s’est traduite par des mensualités plus élevées. L’impact a été immédiat. Aux États-Unis, 85% des ventes de voitures se font à crédit, contre 60% ailleurs. Au-delà de cette toile de fond macroéconomique, les acheteurs potentiels s’inquiètent également de l’autonomie et de la disponibilité de l’infrastructure de recharge. L’adoption des VE a donc progressé de manière inégale. La Chine, où 24% des voitures sont électriques, compte actuellement pour environ 60% des ventes mondiales de VE. L’Europe et les États-Unis sont à la traîne, avec des taux d’adoption respectifs de 12% et 7,5%.

Le secteur devra potentiellement s’adapter aux nouvelles politiques et aux tarifs douaniers de la seconde administration Trump. Le soutien affiché par Elon Musk, CEO de Tesla, à Donald Trump a atténué la rhétorique du prochain président sur les VE. Une baisse des prix du pétrole, liée au renforcement de la production pétrolière américaine, ne devrait pas affecter de manière significative l’industrie des VE. Toutefois, la nomination par Donald Trump de Lee Zeldin à la tête de l’Agence de protection de l’environnement laisse présager un recul des initiatives environnementales, mettant en péril les objectifs en matière d’émissions de carbone et les crédits d’impôt pour les VE. Si les États-Unis suppriment leurs incitations fiscales, l’adoption des VE dans le pays, déjà en demi-teinte, pourrait se heurter à de nouveaux obstacles. Cela dit, quand bien même la future administration Trump pourrait décider de donner la priorité au développement de l’intelligence artificielle (IA) et de la conduite autonome, il est peu probable que les États-Unis souhaitent se faire distancer dans la course au développement de véhicules électriques.

Le leadership stratégique de la Chine

Après avoir dominé l’industrie automobile mondiale pendant 70 ans, l’Allemagne a perdu son leadership en matière de VE au profit de la Chine. Le pays a consenti des investissements de taille tout au long de la chaîne de valeur des VE, se concentrant sur la maîtrise des technologies qui y sont liées – y compris les logiciels, où de nombreuses entreprises occidentales ont pris du retard – et sur l’expansion de la fabrication dans un secteur où la capacité de production de masse est cruciale. La Chine accorde une attention particulière aux éléments de batterie, qui représentent environ 40% du coût des matières premières d’une voiture électrique. Les fabricants chinois bénéficient également d’un avantage en termes de coûts de production pouvant aller jusqu’à 30% par rapport à la plupart des marques occidentales. Le rythme d’innovation, les aides étatiques et l’expansion rapide des capacités de production ont entraîné une prolifération des entreprises et des usines automobiles. Il faut dire que la fabrication de VE est plus simple que celle des moteurs à combustible fossile, ce qui réduit les barrières à l’entrée. En conséquence, les entreprises chinoises fabriquent des produits compétitifs et cherchent des débouchés à l’étranger.

Au cours des 10 premiers mois de 2024, les ventes des entreprises chinoises à l’étranger ont augmenté de 15% par rapport à la même période de l’année précédente. Le principal fabricant chinois BYD Co. entend conquérir 10% du marché européen des VE d’ici 2030 et prévoit d’écouler la moitié de sa production à l’étranger.

Ces ambitions ont déclenché des tensions commerciales contraignant les marques occidentales traditionnelles à réagir. Le secteur revêt également une importance stratégique pour l’Occident. L’industrie automobile représente quelque 7% du produit intérieur brut de l’Union européenne (UE), 10% des emplois manufacturiers et plus de 30% des dépenses pour la recherche et l’innovation. Compte tenu de ce rôle majeur dans l’économie européenne et des aides accordées par la Chine à ses constructeurs nationaux, l’UE applique depuis le 30 octobre 2024 des droits de douane allant jusqu’à 35% sur les voitures fabriquées en Chine, lesquels viennent s’ajouter aux taxes douanières de 10% déjà en place.

Selon Datashare, les droits de douane ont réduit les cargaisons chinoises vers l’Europe à 8,2%, alors qu’elles culminaient encore à 11% des importations en juin 2024. Cette situation pourrait inciter les fabricants chinois à transférer leur production vers l’Europe ; dix nouvelles usines chinoises y sont déjà à l’étude. Dans le même temps, le groupe Volkswagen, premier constructeur automobile européen en termes de ventes, menace de fermer trois usines, ce qui constituerait une première en 87 ans d’histoire. Stellantis NV, quatrième constructeur automobile mondial et propriétaire des marques Fiat, Chrysler, Peugeot et Maserati, pourrait lui emboîter le pas. Stellantis et Volkswagen ont tous deux perdu des parts de marché en Europe depuis 2019.

Le récent rapport sur la compétitivité de l’UE, rédigé par l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi, suggère une solution : exiger des entreprises étrangères souhaitant produire en Europe qu’elles s’associent avec des entreprises locales. Historiquement, c’était l’une des exigences de la Chine à l’égard des entreprises étrangères présentes sur son marché. Mais cette solution pourrait s’avérer difficile à mettre en œuvre en raison de l’absence de leadership politique européen.

Néanmoins, nous avons des raisons de nous montrer optimistes concernant la demande de VE en 2025. Une croissance économique résiliente et des taux d’intérêt en baisse devraient favoriser les ventes, de même que la disponibilité de véhicules plus abordables, dont un vaste choix de modèles à environ EUR 30'000. L’UE est en train d’adopter une politique plus stricte en matière d’émissions de dioxyde de carbone, ce qui devrait encourager les constructeurs automobiles à augmenter la part des ventes de VE afin d’éviter des pénalités. Des voix s’élèvent certes pour retarder cette démarche, mais les taux d’adoption devraient atteindre 20% dans les années à venir, contre 12% actuellement, selon les estimations.

Sélectivité toujours de mise

De nombreux constructeurs automobiles historiques s’apprêtent à lancer de nouveaux modèles de VE moins chers, plus efficients et dotés d’une plus grande autonomie. Les plateformes de Mercedes, BMW et Hyundai devraient toutes arriver sur le marché en 2025, suivies de celles de Stellantis et de Toyota en 2026. Cela pourrait modifier l’équilibre des ventes entre acteurs émergents et acteurs existants. Nous projetons une croissance des ventes de VE de 20% en 2025, contre un peu moins de 15% cette année. Le marché des véhicules non électriques devrait rester globalement stable l’an prochain. Une accélération des capacités de charge serait une évolution bienvenue et elle pourrait soutenir une dynamique plus positive des ventes de VE.

Dans ce contexte marqué par l’incertitude, les constructeurs automobiles ont sous-performé le marché boursier européen en 2024, depuis le mois de mai surtout, avec des bénéfices sous pression et des tensions croissantes entre l’UE et la Chine. À la mi-septembre, une série d’avertissements sur résultats a renforcé les inquiétudes, et les valorisations ont chuté. Nous restons prudents à l’égard des constructeurs automobiles européens de masse, prévoyant une intensification de la pression concurrentielle. Les multiples de valorisation et les dividendes peuvent paraître attractifs, mais les constructeurs automobiles allemands vont réévaluer leur capacité de production du fait de leur dépendance aux ventes en Chine. Dans le même temps, les constructeurs automobiles de masse souffriront des ambitions mondiales de Tesla et de l’arrivée de concurrents chinois en Europe. Nous restons très sélectifs, favorisant certains constructeurs automobiles asiatiques, ainsi que des marques de luxe établies de longue date qui bénéficient toujours d’une forte demande et de barrières élevées à l’entrée.

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Gdenoyelle

Analyste actions, secteurs de la consommation et de l’industrie

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