Trois mois à peine. C’est la durée du gouvernement de Michel Barnier, homme politique de
centre-droit, en France. M. Barnier est arrivé au pouvoir à la suite de la décision du président
français Emmanuel Macron de convoquer des élections législatives anticipées. D’une certaine
manière, il n’avait pas vraiment le choix, car son parti n’avait pas de majorité au Parlement
français.
La crise politique française s’aggrave
Ces élections ont toutefois eu lieu en juin et ont affaibli le parti de M. Macron. Après de
nombreuses négociations, l'ancien négociateur du Brexit, Michel Barnier, a finalement été
mis en selle, car son gouvernement était toléré par le Rassemblement national de Marine Le Pen, qui contrôlait donc l'équilibre des pouvoirs, ce qui était autrefois impensable.
Macron et Barnier espéraient que Le Pen tolérerait le gouvernement pendant un certain
temps. Cet espoir s'est avéré vain. Au début du mois, Mme Le Pen a soutenu une motion de censure déposée par l'opposition de gauche. Ce vote est intervenu après que le gouvernement français a annoncé qu'il invoquerait l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter le budget en dehors du Parlement. Cette décision a scellé le sort du gouvernement. Les motivations de Mme Le Pen restent mystérieuses. Espère-t-elle ainsi affaiblir Macron au point qu'il ne voie pas d'autre issue que de convoquer une élection présidentielle anticipée normalement prévue pour 2027 ? Craint-elle la procédure judiciaire concernant l'emploi illégal d'assistants du Parlement européen par son propre parti politique ? Le procureur français a récemment demandé que, si ces faits sont avérés, Mme Le Pen soit interdite de se présenter aux élections pendant cinq ans. Une telle sanction pourrait « perturber le système démocratique français », a averti François Bayrou, l'un des principaux hommes politiques centristes français.
Quoi qu'il en soit, des élections législatives anticipées ne peuvent être convoquées avant juin 2025, et M. Macron refuse de démissionner prématurément de son poste de président. En outre, si aucun accord politique n'est trouvé, la Constitution française n'est pas claire quant aux pouvoirs d'un gouvernement français qui n'a pas le soutien de la majorité au Parlement. Même dans le cadre d'une sorte de « douzième budget provisoire », où le gouvernement français peut continuer à dépenser de l'argent sous réserve de toutes sortes de restrictions, il y a une incertitude juridique.
Tout cela est particulièrement inquiétant compte tenu de l'état des finances publiques françaises. Les Français refusent tout simplement d'accepter les réductions de dépenses et les augmentations d'impôts que Barnier voulait faire passer pour remettre un peu d'ordre dans le budget français, déficitaire depuis 1974. Bien sûr, au sein du système de la zone euro, il y a la Banque centrale européenne, qui renfloue les États-providence prodigues comme la France avec une régularité d'horloge, sur le dos des épargnants européens, mais si la BCE va trop loin dans ce domaine, elle provoque à juste titre des tensions politiques avec les autres États membres de la zone euro, notamment avec l'Allemagne, tout aussi instable politiquement
puisqu'elle organisera des élections anticipées en février. En outre, une négociation importante a lieu au niveau européen sur l'accord commercial entre l'Union européenne et le bloc commercial latino-américain Mercosur. En effet, alors qu'une crise politique majeure a éclaté en France, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s'est rendue en Uruguay, où elle a approuvé l'accord du Mercosur,
après pas moins de 25 ans de négociations entre les deux blocs commerciaux.
L'approbation du Mercosur met de l'huile sur le feu
Selon toute vraisemblance , la Commission européenne séparera les aspects commerciaux de l'accord du Mercosur des aspects plus politiques, rendant ainsi inutile la ratification parlementaire nationale pour que les aspects commerciaux entrent en vigueur, au moins provisoirement. Toutefois, même dans ce cas, les États membres de l'UE devront encore donner leur accord au sein du Conseil de l'UE, en plus de l'approbation du Parlement européen. Il reste à voir si la France y trouvera une minorité de blocage. La France aurait
réussi à obtenir le soutien de la Pologne et de l'Autriche, et aux Pays-Bas, une majorité parlementaire s'y oppose, mais la position du gouvernement italien de Giorgia Meloni sera cruciale. Les ministres de son gouvernement ont déjà exprimé des points de vue contradictoires sur le Mercosur.
Les arguments selon lesquels les entreprises françaises ont également beaucoup à gagner d'une réduction des barrières commerciales et selon lesquels l'accord avec le Mercosur est le plus grand accord commercial jamais conclu par l'UE tombent de plus en plus dans l'oreille d'un sourd. Le ralentissement économique auquel l'Europe est confrontée - principalement auto-infligé - s'accompagne d'un soutien accru au protectionnisme, un phénomène qui est également en hausse aux États-Unis, avec l'élection de Trump.
L'Union européenne se doit de regretter que le Mercosur n'ait pas été finalisé plus tôt. Il y a quelques années, elle a soudainement formulé de nouvelles exigences visant à imposer toutes sortes de normes environnementales aux partenaires commerciaux d'Amérique latine. Ceux- ci n'ont bien sûr pas jugé cela acceptable. En outre, la nouvelle directive européenne sur la déforestation, par laquelle l'Europe impose de lourdes normes bureaucratiques aux importateurs de bois, a envenimé les relations avec les partenaires commerciaux. Au départ, les principaux exportateurs d'huile de palme, la Malaisie et l'ndonésie, étaient en
colère. Ils trouvaient injuste que l'UE refuse de reconnaître leurs normes locales en matière de déforestation, alors que des ONG les ont félicitées pour avoir réduit la déforestation l'année dernière. D'autant plus que le Royaume-Uni reconnaît ces normes locales. Par la suite, le Brésil et les États-Unis se sont joints à la protestation. Cela a conduit à un report d'un an de la directive sur la déforestation, mais la législation n'a toujours pas été retirée de la table. En outre, le Mercosur prévoit un « meilleur traitement » pour les pays du Mercosur lorsqu'il s'agit d'évaluer leur conformité avec les nouvelles règles de l'UE en matière de déforestation, ce qui signifie que les pays non membres du Mercosur qui obtiennent de bons résultats en
matière d'indicateurs environnementaux risquent d'être désavantagés. Malgré la « séquestration du carbone » dans l'industrie de l'huile de palme ou les programmes de plantation d'arbres de la Malaisie - stimulés par la Malaysian Palm Oil Green Conservation Foundation (MPOGCF) - la Malaisie serait donc désavantagée par rapport à des pays comme le Brésil, qui n'ont pas réussi à lutter aussi efficacement contre la déforestation. Tout cela montre à quel point il est délicat de politiser les accords commerciaux...
En outre, il y a le nouveau tarif climatique européen, le Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), en vertu duquel l'UE commencera à pénaliser les importations de ses partenaires commerciaux par des droits de douane supplémentaires s'ils refusent de suivre la même politique climatique que l'Europe. L'Inde est très en colère à ce sujet, mais le Royaume-Uni est également préoccupé. Il est même envisagé d'introduire un équivalent britannique du CBAM, mais selon une étude de la UK Growth Commission, « cela pourrait entraîner une perte de PIB par habitant de l'ordre de 150 à 300 livres sterling ». Une politique climatique alternative, selon des groupes de réflexion tels que le Warsaw Enterprise Institute, pourrait consister à remplacer l'Accord de Paris collectiviste par un « Accord sur le climat et la liberté ». Les signataires de ce traité bénéficieraient d'avantages commerciaux s'ils mettent en œuvre des politiques de marché libre respectueuses du climat, par exemple par « des changements fiscaux [...] pour rendre l'investissement dans les Biens, Installations et Équipements (BIE) plus rentable d'une manière qui encourage les entreprises non seulement à maintenir leurs capacités actuelles, mais aussi à se moderniser et à développer de nouveaux projets. L'accord comprend également une recommandation visant à
« éliminer tous les types de subventions de manière ordonnée et progressive ». Pendant ce temps, le nouveau président américain Trump veut déjà se retirer à nouveau de l'Accord de Paris, si bien que bientôt, l'Union européenne devrait commencer à repenser fondamentalement ses propres politiques climatiques protectionnistes.
Le spectre du protectionnisme
Il est clair que ceux qui tentent constamment d'abuser des négociations commerciales pour faire passer leur propre agenda politique finissent par saper le soutien de l'opinion publique aux accords commerciaux. L'opinion publique perçoit alors à juste titre ces négociations comme un enchevêtrement d'intérêts commerciaux privés, où l'accent n'est pas mis sur la simple suppression des barrières commerciales, mais plutôt sur l'imposition de toutes sortes de normes réglementaires taillées sur mesure pour les grands exportateurs. En France, c'est certainement l'une des raisons pour lesquelles le libre-échange n'est pas associé à un plus grand choix et à des prix plus bas pour les consommateurs, ni à davantage de possibilités
pour les entreprises françaises d'offrir leurs produits et services à un plus grand nombre de personnes. En vérité, l'opinion publique a en partie raison, car les grands accords commerciaux tels que l'accord Mercosur-UE n'impliquent pas un véritable « libre-échange », mais plutôt un « commerce géré ». Bien qu'il s'agisse toujours d'une libéralisation des échanges, en termes nets.
Quoi qu'il en soit, la conclusion de l'accord Mercosur-UE crée encore plus d'agitation dans la politique française. Sophie Primas, ministre française du commerce, a averti que « ce n'est pas la fin de l'histoire. (...) Cela n'engage que la Commission, pas les Etats membres de l'UE ». Sa collègue Annie Genevard, ministre française de l'agriculture, a déclaré: Cet accord ne garantit en rien la réciprocité des normes imposées à nos propres producteurs ». Il n'est pas nécessaire d'être un génie de la politique pour comprendre que tout cela poussera Mme Le Pen à se déchaîner encore plus contre l'UE, mais que la gauche française y trouvera
aussi son compte. Macron pourrait parfaitement nommer un nouveau Premier ministre tous les six mois et organiser de nouvelles élections législatives en juin, en espérant que cela favorisera son parti. Toutefois, une nouvelle défaite pourrait exercer une forte pression sur le président français Macron pour qu'il démissionne et convoque de nouvelles élections présidentielles, selon les observateurs. À un moment donné, la pression deviendra trop forte.