Depuis 2006, le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) est devenu un pilier de la régulation immobilière en France, évaluant la performance énergétique des logements et influençant leur valeur sur le marché. Cependant, derrière ce système censé promouvoir la transparence se cache une fraude massive.
Fraude au DPE : une arnaque à 21 milliards ?
Des millions de biens immobiliers font l’objet de "DPE de complaisance", des évaluations volontairement enjolivées pour rehausser leur attractivité. Cette pratique, largement répandue, coûterait des dizaines de milliards d’euros à l’économie française et mine la crédibilité du marché immobilier.
Le DPE : un outil détourné de son objectif initial
Le DPE a été introduit pour sensibiliser sur la consommation énergétique des bâtiments et encourager la rénovation des logements énergivores. En classant les biens de A à G, il devait offrir un repère fiable aux acheteurs et locataires. Mais ce classement est aujourd'hui manipulé de manière systématique. Une étude de la start-up KRNO, spécialisée dans la fiabilité des diagnostics, révèle que 19 % des logements classés F ont été artificiellement surclassés à E, tandis que 6 % des biens G ont été requalifiés en F. Cela représente plus d’1,3 million de logements concernés.
Ce phénomène ne relève pas simplement d’erreurs ou de légères approximations. Il s’agit d’une manipulation délibérée des résultats, encouragée par l’absence de contrôles stricts et par les gains financiers qu’elle procure. Un logement reclassé peut voir sa valeur augmenter de 8 % à 10 %, une différence non négligeable dans un marché immobilier tendu.
La mécanique bien huilée de la fraude au DPE
Le principe de la fraude repose sur des ajustements subtils mais efficaces des critères évalués lors du diagnostic. Contrairement à d’autres certifications comme le métrage Loi Carrez, qui impose une marge d’erreur limitée à 5 %, le DPE offre une certaine souplesse. Les diagnostiqueurs ont une marge d’interprétation dans leurs calculs, et certains n’hésitent pas à en tirer profit.
La pression des propriétaires joue également un rôle clé. Un logement classé F ou G est qualifié de "passoire thermique" et risque de devenir invendable ou non louable à partir de 2025 pour les G et 2028 pour les F, en vertu des récentes lois sur la transition énergétique. Face à ces contraintes, nombreux sont ceux qui insistent pour obtenir un diagnostic plus favorable. Le système actuel, où le diagnostiqueur peut transmettre ses résultats directement au propriétaire avant leur enregistrement dans une base centralisée, facilite ces manipulations.
Un autre facteur aggravant réside dans l’absence d’audit indépendant. Une fois le diagnostic établi, aucune instance extérieure ne vérifie la validité des résultats. Cette opacité laisse la porte ouverte aux abus, en particulier pour des biens déjà coûteux où chaque point de performance énergétique peut représenter des dizaines de milliers d’euros de différence.
Un coût faramineux pour le marché immobilier et les acheteurs
Selon KRNO, dont l’étude a été relayée par Le Figaro, la fraude au DPE représente une perte totale estimée à 21,4 milliards d’euros. Impacts financiers :
Catégorie initiale | Catégorie après fraude | Nombre de logements concernés | Gain en valeur (%) | Écart moyen de prix (euros) |
---|---|---|---|---|
G | F | 450 000 | 10 % | +25 000 |
F | E | 650 000 | 8 % | +20 000 |
E | D | 200 000 | 5-7 % | +15 000 |
Au total, le préjudice global est estimé à 21,4 milliards d’euros, basé sur un prix moyen de 250 000 euros par bien immobilier en France.
Ces surclassements ne concernent pas seulement les propriétaires et investisseurs. Ils pénalisent également les particuliers qui achètent des logements en croyant faire un investissement conforme aux normes énergétiques. Ces derniers se retrouvent piégés, confrontés à des factures de chauffage exorbitantes et des rénovations coûteuses qu’ils n’avaient pas anticipées. La confiance dans le marché immobilier, déjà fragilisée par les fluctuations économiques, est encore davantage ébranlée.
Les locataires sont eux aussi victimes de cette fraude. Les logements mal isolés, malgré des DPE apparemment corrects, entraînent des charges énergétiques démesurées. Ce problème est d’autant plus critique que la crise énergétique actuelle rend les ménages plus vulnérables à la hausse des prix de l’énergie.
Diagnostique de performance énergétique : un système à réformer de toute urgence
La fraude au DPE illustre les limites d’un système qui, bien qu’ambitieux dans ses objectifs, souffre de lacunes structurelles. Il y a évidemment des failles fondamentales dans la manière dont le diagnostic est réalisé et contrôlé.
Pour rétablir la confiance, plusieurs réformes s’imposent. Tout d’abord, il devient urgent de centraliser les données des diagnostics énergétiques. Un enregistrement automatique et préalable dans une base nationale, gérée par l’ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), permettrait de limiter les manipulations. Ensuite, la mise en place de contrôles indépendants, similaires à ceux des contrôles techniques automobiles, garantirait une plus grande fiabilité des diagnostics.
Une autre solution pouvant être envisagée est la création d’un système de vérification contradictoire. Avant toute transaction, l’acheteur pourrait exiger un second diagnostic réalisé par un expert indépendant. Cette mesure offrirait une garantie supplémentaire aux consommateurs et renforcerait la transparence du marché.
Une menace pour les objectifs environnementaux
Cette fraude au DPE compromet également les efforts de la France en matière de transition énergétique. En dissimulant l’ampleur réelle du problème des passoires thermiques, elle ralentit la rénovation des logements les plus énergivores et freine la réduction des émissions de gaz à effet de serre. À ce rythme, les objectifs fixés par la loi Climat et Résilience risquent d’être sérieusement compromis.
L’étude de KRNO rappelle en outre que cette fraude n’est pas un phénomène isolé. Elle reflète une culture où l’intérêt individuel prime souvent sur l’intérêt collectif. Pourtant, face à l’urgence climatique, une telle approche est de moins en moins tenable. La fraude au DPE est un rappel brutal que la transition énergétique doit être accompagnée de mécanismes de contrôle robustes pour éviter les dérives.