Le Sénat a franchi un cap. Le 20 novembre 2024, la chambre haute a voté une mesure visant à instaurer 7 heures de travail obligatoire et non rémunéré par an pour tous les actifs, soit une journée de travail entière. Présentée comme une « contribution de solidarité », cette disposition devrait générer 2,5 milliards d’euros par an pour financer les dépenses de la Sécurité sociale, en particulier celles liées au vieillissement de la population.
Budget de la Sécu : le Sénat vous fera travailler gratuitement
Journée de solidarité bis : une mesure choc qui interroge
Adoptée à 216 voix contre 119, cette mesure intervient dans le cadre du projet de loi sur le budget de la Sécurité sociale pour 2025. Elle vient s’ajouter à la "journée de solidarité" déjà instaurée en 2004. Si cette dernière avait été acceptée dans un contexte de crise, l’ajout d’une nouvelle charge soulève aujourd’hui de nombreuses interrogations. La sénatrice centriste Élisabeth Doineau, qui a défendu cette initiative, a tenté de justifier le fait de faire travailler gratuitement les Français : « Nous ne faisons pas cette proposition de gaieté de cœur. Aujourd’hui, il nous faut trouver des moyens pour financer le mur du grand âge. »
Le "mur du grand âge", cette expression revient en boucle. Il s’agit de financer les besoins croissants en matière d’autonomie, notamment les EHPAD et le maintien à domicile. Des objectifs légitimes, mais pourquoi les financer toujours au détriment des actifs ? La France connaît un déficit budgétaire massif, mais la solution trouvée par le Sénat revient à faire peser une fois de plus la charge sur ceux qui produisent la richesse.
Pourquoi le Sénat taxe les travailleurs et pas les actionnaires ?
Les critiques fusent de toutes parts, et pour cause. Ce sont toujours les mêmes catégories qui sont sollicitées : les salariés, qui subissent déjà l’inflation, les hausses des prix de l’énergie, et une stagnation des salaires. « Les partenaires sociaux vont apprendre ce soir que peut-être on va rediscuter de la durée du temps de travail dans ce pays. Ils vont être ravis. Ça nous annonce quelques journées de discussion tout à fait intéressantes. C’est de la provocation ce que vous avez fait mes amis ce soir », s’est exclamée la sénatrice socialiste Monique Lubin dont les propos ont été relayés par Public Sénat.
Pour la sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly, et pour de nombreux opposants, la solution est ailleurs. Pourquoi ne pas taxer les dividendes des grandes entreprises ? Pourquoi ne pas instaurer une "journée de solidarité des actionnaires", qui pourrait rapporter bien davantage tout en répartissant la charge de manière plus équitable ?
« Cela risque de mettre plus de monde dans la rue en novembre et décembre », a ajouté la sénatrice communiste Céline Brulin.
Aspects financiers | Impact estimé |
---|---|
Contribution obligatoire | 7 heures non rémunérées par an par actif |
Objectif financier | 2,5 milliards d’euros pour la Sécurité sociale |
Secteurs bénéficiaires | Autonomie, EHPAD, maintien à domicile |
Alternatives ignorées | Taxation des dividendes, lutte contre la fraude fiscale |
Journée de travail gratuite : modalités floues et risques sociaux
Si la mesure a été adoptée par le Sénat, elle est loin d’être finalisée. Elle devra encore être discutée en commission mixte paritaire, où députés et sénateurs tenteront de trouver un compromis. Le gouvernement lui-même semble divisé. Le ministre des Comptes publics, Laurent Saint-Martin, a exprimé des réserves, affirmant que cette disposition devait être "retravaillée". Michel Barnier, le Premier ministre, reste "très réservé", tandis que certains membres du gouvernement, comme le ministre de l’Économie Antoine Armand, estiment que l’idée est "intéressante".
Cependant, les modalités d’application restent floues. Le texte laisse la possibilité aux employeurs de répartir ces 7 heures supplémentaires de diverses manières : un jour entier par an, dix minutes par semaine, ou encore deux minutes par jour. Cette "souplesse" est présentée comme un avantage, mais elle pourrait compliquer considérablement l’organisation du travail. « Ce qui est proposé, c’est 7 heures de plus par an, ça fait 40 minutes par mois, 10 minutes par semaine. C’est une cause noble pour nos aînés, 7 heures de solidarité, on montrerait une cohésion sociale, comme nous nous l’avons montrée pendant les Jeux Olympiques », a précisé le sénateur Daniel Chasseing (Les Indépendants).
Une attaque contre les droits sociaux de la part des Sénateurs ?
Au-delà des chiffres, cette mesure pose une question fondamentale : quelle vision de la solidarité sociale défendons-nous ? En instituant le travail gratuit, le Sénat ouvre une brèche inquiétante dans le droit du travail. Cette décision pourrait créer un précédent dangereux, légitimant l’idée que les salariés doivent être les variables d’ajustement des déficits publics.
Certains opposants évoquent même une forme de "travail forcé déguisé". Une accusation grave, mais qui reflète le sentiment d’injustice ressenti par de nombreux travailleurs. Dans un contexte où les inégalités économiques ne cessent de se creuser, cette mesure semble aller à l’encontre des principes de justice sociale.
Pourquoi, alors, s’acharner sur les actifs ? Plusieurs alternatives auraient pu être envisagées :
- Taxation des dividendes : Une contribution supplémentaire sur les bénéfices des grandes entreprises aurait permis de générer des fonds tout en répartissant la charge de manière plus équitable.
- Lutte contre la fraude fiscale : Chaque année, des dizaines de milliards d’euros échappent au fisc. Combien d’heures de travail gratuit auraient pu être épargnées si ces sommes avaient été récupérées ?
- Impôt exceptionnel sur les grandes fortunes : Une mesure temporaire, mais efficace, pour répondre à un problème ponctuel.
Le Sénat, pourtant prompt à rappeler l’importance de la "solidarité", a choisi d’ignorer ces pistes. Une décision qui renforce le sentiment d’injustice sociale et alimente la défiance envers les institutions.
Une fracture sociale en devenir
Les conséquences de cette mesure pourraient être profondes. Sur le plan économique, elle risque de peser sur le moral des salariés et, par ricochet, sur la productivité. Sur le plan social, elle alimente un sentiment de ras-le-bol général. Pourquoi les travailleurs devraient-ils toujours être ceux qui paient ?
Ce vote du Sénat est une étape, mais il pourrait bien être le déclencheur d’un débat plus large sur la place du travail dans notre société. Les travailleurs français accepteront-ils de se plier à cette nouvelle contrainte ? Ou cette mesure provoquera-t-elle une révolte sociale, à l’image des précédents mouvements contre les réformes jugées injustes ?