Le lundi 18 novembre 2024, une annonce a frappé le paysage médiatique français : le gouvernement souhaite privatiser 60 Millions de consommateurs. Ce magazine, édité depuis 1970 par l’Institut national de la consommation (INC), représente un pilier de l’information indépendante et publique sur les droits des consommateurs. Pourtant, les difficultés financières accumulées depuis des années poussent aujourd’hui l’État à envisager une vente.
Le magazine 60 Millions de consommateurs bientôt vendu ?
60 Millions de consommateurs : un magazine historique face à l’épreuve du temps
Créé il y a plus de cinquante ans, 60 Millions de consommateurs n’est pas un média comme les autres. Édité par un établissement public, il s’est donné pour mission d’éclairer les choix des citoyens en publiant des analyses impartiales sur des produits et services du quotidien. Contrairement à des magazines privés, il a toujours refusé la publicité, s’appuyant sur des méthodes rigoureuses pour fournir une information totalement indépendante.
Atouts actuels | Risques liés à la privatisation |
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- Tests comparatifs fiables | - Dépendance à des financements privés |
- Information neutre et indépendante | - Perte d’expertise avec des licenciements probables |
- Enquêtes au service de l’intérêt général | - Hausse des coûts pour le consommateur, avec une possible monétisation accrue des contenus |
- Symbole de la consommation responsable | - Influence grandissante des acteurs biaisés (sponsors, publicités, influenceurs peu crédibles) |
Ses tests comparatifs, réalisés par des ingénieurs et des juristes spécialisés, ont permis de dénoncer des pratiques abusives dans des domaines aussi variés que l’alimentation, la technologie ou encore les services financiers. Avec un lectorat fidèle, 60 Millions de consommateurs a longtemps incarné la fiabilité et la neutralité au service de l’intérêt général.
Cependant, les dernières années ont été marquées par une érosion lente mais certaine de son audience. En 2019, le magazine comptait 140 000 abonnés. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à 76 000. Cette baisse, couplée à une diminution drastique des subventions publiques, a plongé l’INC dans une spirale financière préoccupante. Les réductions budgétaires imposées par l’État – les aides étant passées de 6,3 millions d’euros en 2012 à 2,7 millions d’euros en 2020 – ont limité sa capacité à investir dans des projets d’avenir, notamment la transition numérique. En conséquence, le titre accumule des déficits depuis sept ans, épuisant sa trésorerie et fragilisant son fonctionnement.
Le projet de privatisation : une solution qui ne convainc pas vraiment
Pour faire face à cette crise, le gouvernement propose de céder le magazine à un repreneur privé, espérant ainsi sauver un titre jugé non viable sous son statut actuel. Laurence Garnier, secrétaire d’État à la consommation, justifie cette décision en expliquant que la privatisation permettrait d’attirer des investisseurs capables de moderniser le magazine, notamment en développant des stratégies numériques et marketing adaptées à un public plus jeune. Selon elle, cette évolution permettrait également de « mieux utiliser les deniers publics » dans un contexte où l’État cherche à rationaliser ses dépenses. « Elle nous a annoncé qu’elle allait céder le titre à un groupe privé », révèle Bertrand Loiseaux, le secrétaire du comité social et économique (CSE) sur Le Monde.
Cette justification économique se heurte toutefois à une vive opposition. Les représentants des salariés ont exprimé leur stupeur face à une décision qu’ils jugent précipitée et contraire à l’intérêt public. Selon eux, cette privatisation risque de compromettre l’indépendance du magazine. Aujourd’hui, 60 Millions de consommateurs est un espace libre des pressions publicitaires et des conflits d’intérêts. Si ce modèle venait à disparaître, les consommateurs français perdraient l’une des rares sources d’information impartiale sur les pratiques commerciales.
Les critiques ne viennent pas seulement des salariés. Olivia Grégoire, ancienne ministre déléguée au Commerce, a vivement dénoncé ce projet. Lors de son mandat, elle avait élaboré un plan de relance basé sur un investissement public de 3,2 millions d’euros, conçu pour moderniser le magazine et stabiliser ses finances. Ce plan, abandonné par le gouvernement actuel, aurait permis, selon elle, de préserver la mission publique de l’INC. Elle regrette amèrement que cette solution ait été écartée au profit d’une privatisation qu’elle considère comme un « désengagement irresponsable » de l’État.
60 Millions de consommateurs : les conséquences d’une privatisation
La vente de 60 Millions de consommateurs soulève de nombreuses questions sur son impact potentiel. D’un point de vue économique, la privatisation pourrait permettre au titre de trouver un nouveau souffle grâce à des investissements privés. Mais à quel prix ?
L’indépendance du magazine, pierre angulaire de sa mission, pourrait être menacée. Les nouveaux propriétaires auront nécessairement des intérêts financiers à défendre, ce qui pourrait orienter les contenus publiés. L’exigence de rentabilité pourrait également se traduire par une hausse des prix pour les abonnés ou une réduction des enquêtes longues et coûteuses. Les salariés, quant à eux, redoutent des suppressions de postes ou une restructuration drastique de l’INC, qui perdrait son rôle historique en tant qu’établissement public. Du côté des consommateurs, les craintes sont tout aussi vives. Si le magazine venait à disparaître ou à être profondément transformé, cela laisserait le champ libre à Que Choisir, principal concurrent, qui se retrouverait en position de quasi-monopole.
Enfin, cette décision pose un problème de principe. La privatisation d’un média public aussi emblématique pose la question de la place de l’État dans la protection des droits des consommateurs. Dans un contexte où les fake news et les contenus sponsorisés envahissent les espaces médiatiques, est-il vraiment judicieux d’abandonner un acteur aussi essentiel que 60 Millions de consommateurs ?
Une décision qui divise la société
Les réactions à cette annonce révèlent une fracture entre deux visions de la gestion publique. D’un côté, le gouvernement défend une logique budgétaire pragmatique : face à des déficits persistants et une audience en déclin, l’État estime que la privatisation est la seule solution viable. De l’autre, les opposants dénoncent une logique comptable déconnectée de l’intérêt général.
Pour les défenseurs du magazine, la vente de 60 Millions de consommateurs n’est pas seulement une erreur économique. C’est aussi un symbole d’abandon. Depuis des décennies, ce média incarne une certaine idée de la démocratie, où les citoyens ont accès à une information fiable et indépendante. En le cédant à un acteur privé, l’État tournerait le dos à cette mission fondamentale, au risque d’accroître la méfiance envers les institutions publiques.
Vers quel avenir pour 60 Millions de consommateurs ?
La privatisation de 60 Millions de consommateurs ne résoudra pas les problèmes structurels qui touchent le marché de la presse spécialisée dont un exemple de crise est sans doute la faillite du groupe Tema en septembre 2024. Elle risque, au contraire, de fragiliser encore davantage l’écosystème médiatique français. Alors que l’information est de plus en plus soumise aux intérêts commerciaux, la disparition d’un média d’intérêt général comme 60 Millions de consommateurs serait une perte majeure pour les citoyens.