Le 1er janvier 2025 marquera la généralisation de la réforme du Revenu de Solidarité Active (RSA), une réforme qui conditionne le versement de cette aide à la réalisation de 15 heures d’activités hebdomadaires.
RSA conditionné : alerte sur une généralisation inefficace
Adoptée dans la loi dite de « plein emploi » de 2023, cette réforme du RSA suscite d’importantes inquiétudes parmi les associations de lutte contre la précarité, qui dénoncent ses effets pervers et demandent une suspension avant sa mise en œuvre à l’échelle nationale. Alors que le gouvernement défend une mesure nécessaire pour « remobiliser » les allocataires vers l’emploi, les associations alertent sur des dérives pouvant aggraver la situation des plus précaires.
Un RSA conditionné, des activités obligatoires
La réforme du RSA prévoit que les bénéficiaires de cette aide sociale, souvent considérés comme éloignés du marché du travail, doivent signer un « contrat d’engagement » avec France Travail (nouveau nom de Pôle emploi). Ce contrat engage les allocataires à effectuer au moins 15 heures d’activités par semaine, en échange du maintien de leur allocation, fixée à 635,71 euros pour une personne seule. Ces activités peuvent être diverses : ateliers de remobilisation, formations, bénévolat, voire activités physiques ou culturelles. L'objectif affiché est clair : ne pas cantonner le RSA à un simple filet de sécurité, mais encourager une dynamique d’insertion professionnelle.
Cependant, cette logique d’accompagnement obligatoire ne convainc pas tout le monde. Si le gouvernement insiste sur le fait que cette réforme facilitera le retour à l’emploi, les résultats de l’expérimentation menée dans 47 départements ne sont pas aussi prometteurs que ce qu’affirment les autorités. Selon les associations, ces 15 heures d'activités risquent de se transformer en une contrainte bureaucratique sans bénéfices réels pour les bénéficiaires.
RSA conditionné : des résultats d’insertion décevants
Le gouvernement se félicite de résultats « prometteurs », affirmant que 42% des bénéficiaires de l’expérimentation auraient trouvé un emploi dans les six premiers mois, dont 16% un emploi dit « durable » (CDI ou CDD de plus de six mois). Cependant, ces chiffres sont à nuancer. En effet, les mêmes sources indiquent que 13% des allocataires ont obtenu un emploi d’une durée inférieure à un mois, ce qui révèle une précarité persistante.
Plus préoccupant encore, 82% des bénéficiaires interrogés dans le cadre du rapport présentent au moins un frein significatif à l’emploi, souligne Alternatives Economiques : des problèmes de mobilité, de santé, des contraintes familiales ou encore des difficultés liées au logement. Ces obstacles, non résolus par la réforme, risquent de limiter l’efficacité des mesures d’insertion envisagées. Pour Anne Eydoux, économiste au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), « conditionner le RSA ne permettra pas de lever ces freins ». Au contraire, cette réforme pourrait même aggraver la situation des bénéficiaires, en rendant plus difficile l’accès à l’aide tout en générant une concurrence accrue pour un nombre limité d’emplois.
Une crainte de glissement vers le travail gratuit
L’une des principales critiques formulées par les associations porte sur le risque de voir ces activités imposées se transformer en travail gratuit. Dans un rapport publié mi-octobre 2024, des associations comme le Secours Catholique, ATD Quart Monde, ou encore la Fondation Abbé Pierre, alertent sur le danger de « glissement vers le travail gratuit » pour les allocataires. En effet, en imposant des activités peu qualifiantes ou non directement liées à une profession, la réforme risque d’éloigner les bénéficiaires du RSA de leurs véritables projets d’insertion, tout en favorisant l’exploitation de main-d'œuvre gratuite.
Dans certaines expérimentations locales, les activités considérées comme valables pour remplir les obligations de 15 heures hebdomadaires incluent des actions aussi diverses que la pratique d’une activité sportive ou culturelle, voire des consultations médicales. Ces activités ont, certes, un potentiel bénéfique pour le bien-être des personnes, mais semblent éloignées des objectifs d’insertion professionnelle. Pire, "dans l’étude “Premier bilan des expérimentations RSA : 4 alertes pour répondre à l’inquiétude des allocataires”, le Secours Catholique révèle qu’en un an, le taux de non-recours au RSA a augmenté de 10,8 % dans les départements qui expérimentent la réforme, tandis qu’il diminue de 0,8 % dans les autres départements".
Les associations craignent également que ces activités deviennent un simple indicateur de performance pour les conseillers chargés de l’accompagnement des bénéficiaires. Certains travailleurs sociaux ont exprimé leur crainte de voir cette réforme se transformer en une mécanique punitive, où l’échec à remplir ces obligations pourrait entraîner des sanctions telles que la suspension du RSA, un risque bien réel selon eux, surtout dans un contexte où les moyens humains pour accompagner ces personnes se réduisent.
Un manque criant de moyens pour France Travail
L’expérimentation actuelle a montré une autre limite préoccupante : le manque de ressources. Selon le rapport des associations, le suivi renforcé des allocataires dans les départements concernés par l’expérimentation a bénéficié de financements exceptionnels, à hauteur de 815 000 euros par département. Ces financements ont permis de réduire la charge des conseillers et d’améliorer l’accompagnement des bénéficiaires. Or, rien ne garantit que ces moyens supplémentaires seront maintenus lors de la généralisation de la réforme. Au contraire, le budget prévu pour 2024 repose en grande partie sur des coupes budgétaires, notamment la suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et des réductions de postes au sein de France Travail.
Guillaume Allègre, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) interrogé par Alternatives Économiques, pointe du doigt une incohérence : « Avec cette réforme, France Travail devra accompagner 1,2 million de personnes, contre 40 000 aujourd'hui. Je ne suis pas certain que la promesse d’un accompagnement renforcé puisse être tenue, surtout avec des coupes budgétaires annoncées. »
Le manque de moyens pourrait également avoir des répercussions sur la qualité de l’accompagnement offert aux bénéficiaires du RSA. Plusieurs conseillers et travailleurs sociaux craignent de ne plus pouvoir consacrer suffisamment de temps à chaque personne, rendant ainsi l’accompagnement superficiel et inefficace. Face à ces inquiétudes, les associations appellent à reconsidérer la mise en œuvre de la réforme.
Les associations demandent un moratoire sur la généralisation prévue en 2025
Conscientes des dérives potentielles de cette réforme, plusieurs associations appellent à suspendre la généralisation du RSA conditionné, en attendant une évaluation complète de ses effets réels. Elles réclament un moratoire afin de prendre le temps de corriger les dérives observées lors de l’expérimentation et de repenser l’accompagnement des personnes en situation de précarité.
Les critiques vont au-delà des questions techniques. Pour beaucoup, cette réforme pose une question éthique : le RSA, conçu initialement comme une aide destinée à garantir un minimum vital, ne doit pas devenir un instrument de contrôle et de sanction.
Le débat sur le RSA conditionné reflète une tension plus large sur la manière dont la société française souhaite traiter la question de l’insertion sociale et professionnelle des plus fragiles. Entre incitations à l’emploi, exigence de contreparties et solidarité nationale, l’équilibre est difficile à trouver.