Le Service National Universel (SNU), fer de lance des ambitions gouvernementales visant à renforcer la cohésion sociale et à encourager l’engagement citoyen chez les jeunes, fait l’objet de vives critiques dans un rapport de la Cour des comptes publié le 13 septembre 2024. Alors que l’État prévoit sa généralisation à l’horizon 2026, les magistrats financiers pointent du doigt des coûts largement sous-estimés, des objectifs de mixité sociale non atteints, ainsi que des risques organisationnels et disciplinaires préoccupants.
La Cour des comptes lynche le SNU : trop cher et inefficace
Le Service National Universel (SNU) : un coût qui explose
Le SNU, initié en 2019, devait à l’origine coûter 2 milliards d’euros par an selon les estimations du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Cependant, la Cour des comptes dénonce une évaluation bien en-deçà de la réalité. En intégrant l'ensemble des phases du dispositif, y compris les missions d’intérêt général (phase 2) et les engagements volontaires (phase 3), le coût réel du SNU se situerait plutôt entre 3,5 et 5 milliards d’euros par an.
Cette différence s’explique notamment par l’oubli de certaines charges importantes comme les futurs investissements nécessaires dans les centres d’hébergement et les surcoûts liés à la montée en charge du dispositif. Selon la Cour, la généralisation prévue d'ici à 2027, qui toucherait 850 000 jeunes par an, serait tout simplement impossible à financer sans revoir l’ensemble du cadre budgétaire. Le rapport précise d'ailleurs que « la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 n'est pas compatible avec une généralisation du SNU à l'ensemble d'une classe d'âge ».
Pour illustrer l'ampleur du financement requis, le simple séjour de cohésion (phase 1) coûterait à lui seul 2,5 milliards d’euros annuels. Ce montant ne prend pas en compte les dépenses annexes, telles que la création de 500 centres permanents d’accueil ou encore le recrutement de 15 000 encadrants supplémentaires nécessaires à la mise en œuvre du programme sur le temps scolaire. Ces infrastructures et moyens humains représentent des investissements colossaux, qui pèsent lourdement sur le budget de l’État.
Le SNU est inutile : l’échec flagrant de la mixité sociale
Si les ambitions financières sont massives, les objectifs sociaux, eux, ne sont toujours pas atteints. Le SNU, présenté comme un projet de cohésion nationale, devait encourager une plus grande mixité sociale en réunissant des jeunes de divers milieux. Cependant, les résultats sont loin des attentes : seulement 5% des participants proviennent des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), selon une enquête de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP).
En revanche, les jeunes issus de milieux favorisés ou de familles ayant des liens avec les forces armées, la gendarmerie ou la police sont surreprésentés. Le volontariat, au cœur du dispositif, n’a pas permis de corriger cet écart. Face à l’impossibilité légale de rendre le SNU obligatoire pour les mineurs, le gouvernement a opté pour la mise en place des « classes engagées », intégrant le SNU dans le parcours scolaire de certains élèves. Cependant, cette approche a révélé de nouveaux défis : la participation forcée de jeunes non motivés a donné lieu à des comportements problématiques, certains séjours ayant viré à la catastrophe.
En 2023, le taux de désistement a atteint un record de 28%, avec seulement 40 000 participants sur les 64 000 attendus. Les autorités font également état de 33 exclusions pour agressions et comportements inappropriés parmi les jeunes volontaires, tandis que 17 situations d'agression ou de harcèlement imputables aux encadrants ont été signalées. Ces incidents disciplinaires interrogent sur la capacité de l'État à maintenir la cohésion et la sécurité dans un dispositif aussi vaste.
Une généralisation du SNU qui présente d’importants risques
Malgré ces résultats décevants, l'exécutif maintient son ambition de généraliser le SNU à tous les jeunes de 15 à 17 ans d’ici 2027. La Cour des comptes, cependant, met en garde contre les risques d'une telle généralisation sans une préparation adéquate. Le rapport décrit une « montée en charge à marche forcée » et un pilotage « défaillant », notamment en raison de l'absence d'une véritable coordination interministérielle. Si le SNU est officiellement sous la double tutelle des ministères de la Jeunesse et des Armées, la Cour souligne que l’implication du ministère des Armées demeure essentiellement « symbolique ».
Par ailleurs, la généralisation du SNU impliquerait l’intégration de jeunes réticents à y participer, ce qui risquerait de déstabiliser la dynamique de groupe et de créer de nouvelles tensions disciplinaires. La Cour anticipe déjà « une part accrue de jeunes fragilisant la cohésion de groupe et soulevant des difficultés d'ordre disciplinaire », comme en témoignent les premiers retours des « classes engagées ».
Enfin, la stratégie d'emploi et de recrutement des encadrants n'est toujours pas définie, alors que la réussite du projet repose sur un personnel qualifié pour encadrer les jeunes dans des conditions appropriées. Cette absence de planification est l'un des points les plus préoccupants du rapport, qui appelle à un « débat parlementaire » pour clarifier l'avenir du dispositif et lever les nombreuses incertitudes qui pèsent sur sa faisabilité.