Management de transition : des succès exagérés ?

Le nombre de défaillances d’entreprises atteint des records en France : plus de 33.000 entre le 1er janvier et le 31 juin 2024 ! Dans ce contexte de crise, les « managers de transition » sont souvent appelés à la rescousse pour appliquer des traitements de choc qui s’avèrent généralement bénéfiques à court terme, mais dont l’efficacité n’est souvent que provisoire.

Damien C
Par Damien Charteron Publié le 4 août 2024 à 9h00
Mercedes
61%Dans 61% des entreprises les plus hauts managers ont au moins un BAC+3 en Europe
Les perspectives ne sont pas bonnes pour les entreprises françaises : 65.000 d'entre elles pourraient être en défaillance en 2024 si la tendance constatée au premier semestre continue de s'affirmer. Ce qui représenterait le pire résultat de ces quinze dernières années ! Et cela pourrait se traduire par la disparition de 102.409 emplois en un an. Des projections inquiétantes qui viennent remettre au goût du jour l'activité des managers de transition, sorte de « pompiers » parachutés au milieu d’une situation inextricable pour prendre dans l’urgence les décisions qui s’imposent afin de sauver une entreprise. « Pour retourner une situation, il faut aller plus vite que la vitesse de détérioration de la situation. Il faut des gains rapides. C'est d'autant plus nécessaire qu'il faut sortir les collaborateurs de la spirale de l'échec », note Patrick Puy, président de l'Association pour le retournement des entreprises (ARE). D'autant que ces « manager-urgentistes » sont souvent appelés au secours d'une entreprise par les actionnaires ou l'administrateur judiciaire lors d'une procédure de redressement, et généralement lorsqu'il n'y a pas d'autre issue de survie en vue. En appliquant par définition des méthodes radicales, aussi bien en termes de licenciements que de réductions ou suppression des dépenses courantes qui ne sont pas vitales pour l'entreprise. Ces interventions visent à réduire au minimum, et le plus rapidement possible, les problèmes financiers qui se posent aux sociétés en situation de quasi-défaillance, mais aussi à mettre en œuvre des plans de restructuration, comme ce fut le cas par exemple pour le groupe Philips, il y a quatre ans. Dans le cadre d'un recentrage sur le secteur de la santé et des technologies médicales pour compenser la forte baisse d'activité sur son créneau historique de l'électroménager, le géant de l'électronique a ainsi fait appel à un manager de transition pour assurer cette transformation stratégique. Résultat : la transition a permis à Philips de se positionner avec succès sur le marché des technologies de la santé, augmentant ainsi sa rentabilité et sa part de marché.

Gagner du temps pour mettre en place les conditions de la survie

De fait, il existe différents profils de managers de transition : certains sont appelés pour occuper provisoirement les postes de direction, avec des « pleins pouvoirs » qui leur permettent d'agir vite et efficacement. D'autres sont spécialisés dans des domaines particuliers, comme par exemple les responsables des ressources humaines s'il s'agit plus spécifiquement de restructurer les équipes. Mais dans tous les cas, l'une des caractéristiques du manager recruté pour ce genre de mission, c'est qu'il intervient pour une courte durée, de l’ordre de quelques mois à deux ans, c'est-à-dire « le temps de faire un diagnostic précis de la situation et de mettre en place les mesures nécessaires. Ensuite, il faut compter 24 mois en moyenne pour réussir une opération de retournement, car chaque cas est différent », explique Laurent Agrech, associé de Procadres International.

Qu'ils interviennent comme co-pilotes de la direction en place ou en se substituant à celle-ci, les managers de transition qui prennent les commandes de l'entreprise disposent toujours d'une large capacité d'action, y compris pour dialoguer avec les partenaires sociaux afin de faciliter les mesures difficiles, et surtout négocier avec les créanciers pour étaler la dette, gagner du temps… et mettre en place les conditions d’une survie.

Arnaud Marion connaît bien cette réalité. Quand il est appelé chez l'industriel agro-alimentaire Doux & Père Dodu, cet entrepreneur qui se définit lui-même comme un « serial redresseur d'entreprises » doit faire face à un besoin critique de liquidités: « Il fallait trouver quotidiennement de 3 à 4 millions d'euros, juste pour nourrir les poulets ». Le manager de crise parvient alors à convaincre les partenaires et fournisseurs de continuer à travailler, malgré des retards de paiement importants, tout en réduisant les effectifs et en vendant certains actifs stratégiques pour réaliser le maximum d'économies. Pour un temps, l'entreprise est sauvée...  

« Une chance sur un million ! »

Évidemment, ce type de traitement est douloureux et risqué, mais il peut s'avérer efficace, comme pour la société Caillé, qui vient d'être honorée du prix Ulysse, remis chaque année par l'ARE. Ce groupe familial centenaire de La Réunion est doublement spécialisé dans l'automobile et la grande distribution. Il y a une douzaine d'années, il a dû faire face à un effondrement de son segment « TP poids lourds », et un changement d'enseigne de ses activités de grande distribution, accumulant jusqu'à 260 millions d'euros de dettes. François Caillé, président de groupe, fait alors appel à des managers de transition aux postes de direction des différentes branches de l'entreprise pour entamer une stratégie de rupture : le groupe se sépare de toutes les activités annexes non stratégiques ou non rentables. « Nous avons divisé la taille de l'entreprise par deux et renouvelé les équipes de direction ». Un changement radical dont le patron recueille aujourd'hui les bénéfices : « Les résultats d'aujourd'hui sont plutôt satisfaisants puisque nous avons retrouvé le chiffre d'affaires que nous faisions il y a 12 ans, à peu près de 600 millions d'euros, (…) et on a surtout une rentabilité qui été multipliée par dix, ce qui nous donne une force infiniment plus grande que celle qui était la nôtre avant la restructuration... Ce que nous avons fait est absolument incroyable, on nous donnait une chance sur un million! », ajoute François Caillé.  

Mais hélas, le groupe Caillé semble représenter l'exception qui confirme une règle : l'électrochoc du management de transition n'empêche pas toujours l'issue fatale, loin s'en faut !

Des controverses récurrentes

Pour peu qu’on s’éloigne temporellement du moment de la sortie de crise, où la réduction de la dette et le retour de quelques perspectives commerciales semblent justifier les cocoricos, il faut hélas constater que le soufflé retombe… La liste des sociétés qui en ont fait l'amère expérience est malheureusement très longue : le fabricant de pianos Pleyel, le géant des télécommunications Nortel, le groupe de construction et services Carillion, la boulangerie industrielle Neuhauser, l'agence de voyages internationale Thomas Cook…
Après le départ d'Arnaud Marion de Doux & Père Dodu, en mars 2016, l’entreprise continue d’accuser des pertes brutes de -39,9 M € et un résultat net de - 40,9 M € (pour un CA de 316 M€). De fait, le groupe français, qui regroupait il y a douze ans plus de 13 000 salariés et exportait dans plus de 130 pays sur cinq continents, n'échappera pas à la faillite en 2018. Une partie de ses activités et les 800 salariés restants seront repris par le volailler sarthois LDC et le groupe de distribution saoudien Al-Munajem. Entre-temps, Arnaud Marion avait reçu le prix 2016 des lecteurs de Challenges pour le meilleur retournement d’entreprise. Une forme de paradoxe qui justifie parfois des interrogations sur la pertinence du recours à ces professionnels du management de transition, mais aussi sur le montant de leurs rémunérations, parfois deux fois supérieures aux dirigeants qu'ils remplacent, avec un salaire de 40000 euros… une moyenne mensuelle qui pour les vedettes peut tutoyer les 100000 euros !
Si ces rétributions sont à mettre en perspective avec la durée limitée des missions et l’investissement personnel des intéressés, elles n’en donnent pas moins à penser que certains managers peuvent privilégier des gains financiers personnels à court terme, au détriment de l'intérêt d'une entreprise à long termeÀ l'instar de ce que révèle dernièrement l’hebdomadaire Marianne au sujet d’Arnaud Marion ou encore de la réputation de David Brandon, nommé à la direction de Toys "R" Us en 2015 pour sauver l'entreprise, qui déposera le bilan en 2017 et fermera la plupart de ses magasins... en dépit des millions de dollars en salaires et bonus perçus par le manager alors que la société faisait face à des difficultés financières insurmontables. Une forme de reproches que d’aucuns font également à la star du secteur Didier Calmels, à la tête du fonds D&P. Multirécidiviste des retournements d’entreprises, il a suscité l’admiration de nombreux acteurs du monde économique, avant de voir une partie d’entre eux s’éloigner, désabusés par certaines de ses pratiques, selon ce que notait déjà en 2014 l’Express : « Il a fait le vide autour de lui. Pour l'argent, il est prêt à n'importe quoi, y compris renier sa parole », un avocat invoquant « (l’) orgueil qui l’amène parfois à déraper ». Une attitude quelque peu entretenue par des médias qui amplifient l’effet d’annonce des fins de mission de ces dirigeants d’un moment.
Damien C

Formé en droit des affaires à Aix en Provence et en Grande Bretagne, Damien Charteron a travaillé pendant plus de 40 ans dans une large variété de grands groupes européens, et pour divers cabinets spécialisés. Au terme de sa carrière, il propose des tribunes d’actualité sur des sujets que son parcours lui a permis d’approcher.

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