E-santé : comment l’intelligence artificielle s’est-elle installée dans le quotidien des radiologues ?

Si certains se questionnent aujourd’hui sur les capacités de ChatGPT d’analyser des radiographies, l’intelligence artificielle (IA) s’est en réalité infiltrée dans la pratique de l’imagerie médicale depuis déjà une dizaine d’années. Parfois perçue comme une menace pour la profession, elle fait désormais partie du quotidien des radiologues – principalement dans les structures privées et les CHU – et leur assure un filet de sécurité dans leur diagnostic.

Alexandre Ben Cheikh
Par Alexandre Ben Cheikh Publié le 3 août 2024 à 9h00
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90 MILLIARDS €L'industrie de la santé représente un chiffre d'affaires de 90 milliards d'euros en France.

À tel point qu’une partie d’entre eux assure aujourd’hui ressentir une certaine forme de manque quand l’outil n’est pas à leurs côtés. Le pas technologique étant franchi et ne semblant pas prêt de s'arrêter, il questionne les professionnels du secteur sur la responsabilité médicale, la protection des données et l’éthique inhérente au métier de radiologue.

Depuis quand l’intelligence artificielle est-elle implantée dans l'imagerie médicale ?

Dans le domaine de la santé, la radiologie a été l’un des premiers laboratoires pour l'intelligence artificielle. Au début des années 2000, la numérisation des examens d'imagerie, qui étaient jusqu'alors en format physique argentique, a favorisé l’essor technologique du domaine et, dans le même temps, contribué au développement d’autres spécialisations métier comme la téléradiologie. Cette dématérialisation des images a permis de disposer d'un important volume de données exploitables. Il y a ainsi eu une véritable convergence entre la maturité technologique du métier et le développement de l'intelligence artificielle.

Autour des années 2015-2016, l’IA, dans sa version initiale, s’est développée avec l’essor du deep learning et des réseaux neuronaux. L’utilisation d’un algorithme de deep learning se faisant en plusieurs étapes, l’IA était d'abord entrainée (phase “d’apprentissage”) en absorbant un important volume de données d’entrée ainsi que le résultat qui était attendu en sortie (par des experts humains). Elle pouvait ensuite être utilisée pour la phase dite “prédictive”, permettant la détection d'anomalies connues sur les images médicales en se basant sur ses connaissances. Elle répondait alors à une seule question et uniquement sur les données sur lesquelles elle avait été exercée (souvent liées aux pathologies les plus fréquentes).

En 2018, des solutions d’IA assez “matures” pour être utilisées par les professionnels se sont développées sur le marché. Le principe était alors d’utiliser l’intelligence artificielle en deuxième analyse pour conforter le diagnostic radiologique. C’est ce que nous faisons en téléradiologie, chez IMADIS par exemple, grâce à une solution baptisée ITIS qui intègre plusieurs algorithmes d’IA depuis 2019. Depuis, les IA ont évolué et sont entrainées sur de nouvelles pathologies mais son utilisation n’est pas des plus fréquentes et son coût peut poser question. Il reste encore du chemin à parcourir et des barrières à lever.

Qu'apporte l'IA aujourd'hui aux radiologues ?

Alors qu’il y avait au départ une certaine méfiance voire défiance des radiologues, mêlée à la crainte d'être remplacés, il est indéniable qu’elle leur apporte aujourd'hui un confort et un filet de sécurité. Elle vérifie, pour des entreprises comme la nôtre, certains diagnostics d’une manière totalement transparente. Elle est d'ailleurs assez complémentaire au fonctionnement cérébral des humains. Plusieurs études sur les biais cognitifs en radiologie sont régulièrement publiées (Heuristics and Cognitive Error in Medical Imaging - 2018 et Spectrum of Cognitive Biases in Diagnostic Radiology - 2024). De fait, l'intelligence humaine peut être impactée par l'état mental contrairement à l'IA qui, à partir du moment où elle est entrainée, donnera systématiquement la même sortie. L’IA est donc complémentaire à l’analyse humaine et apporte très concrètement deux valeurs ajoutées selon moi :

  • Éviter les fautes d'inattention et sécuriser les diagnostics ;

  • Trier les examens qui ne sont pas interprétés en temps réel et prioriser l’analyse quand une anomalie est détectée.

L’IA étant désormais pleinement intégrée au quotidien des radiologues, on peut aujourd’hui dire qu’ils se sentent parfois moins à l’aise quand ils n’y ont plus accès, dans les structures hospitalières publiques par exemple, encore peu équipées.

A terme, l'IA peut-elle faire disparaître les radiologues ?

A partir du moment où nous avons compris que nous n'étions plus obligés de donner des règles explicites et que les réseaux de neurones convolutifs pouvaient s'entrainer seuls, il y a eu un vent de panique quant à la pérennité de la profession de radiologue. La spécialité a perdu de son attractivité à l’internat depuis quelques années. En 2016, le chercheur et spécialiste de l'intelligence artificielle, lauréat du prix Turing, Geoffrey Hinton, prédisait la disparition des radiologues d'ici les cinq prochaines années. Cinq ans plus tard et avec suffisamment de recul, il est indéniable de dire que cela est très efficace, complémentaire et utile. Cependant, l’outil n'est aujourd'hui pas suffisamment puissant pour nous remplacer. Dans l'imaginaire collectif, nous avons tendance à croire que le métier ne consiste qu'à la détection d'image. Or, il y a plusieurs étapes à prendre en compte. En amont, il faut procéder à la vérification de l'examen et veiller à ce qu’il soit le plus efficace, le moins invasif pour le patient et le moins couteux pour la société. Puis, en fonction de la question posée, il faut établir le meilleur protocole. Ensuite, l'analyse de l'image doit prendre en compte le contexte clinique qui varie d'un patient à l'autre en fonction de ses antécédents. Enfin, la transmission du diagnostic clair et de la conduite à tenir est très importante. L’IA a donc transformé notre quotidien mais je suis persuadé que la part humaine restera prioritaire et non supprimable. En revanche et très certainement, le radiologue augmenté avec l’IA finira par remplacer le radiologue sans IA.

Quelle est la responsabilité de l’IA dans le diagnostic médical ?

Si je reprends le fil des différentes étapes qui caractérisent notre spécialité médicale, la dernière d’entre elles consiste en la production d'un document opposable : le compte-rendu (ou rapport) radiologique qui engage juridiquement le médecin. Sur cet aspect-là, je suis convaincu qu'il n'y aura jamais une IA indépendante qui signera et qui justifiera sa responsabilité médicale. Il y a toujours une mention dans les retours d’analyse IA : "sous réserve de la validation définitive par un médecin". Cette validation du radiologue est extrêmement importante et justifie notre expertise.

La nouvelle révolution, qui concerne le développement récent de l'IA générative, va peut-être finir par proposer un compte-rendu à partir d’éléments saillants fournis par le radiologue ou directement suite à l'analyse des images. Le radiologue devra ainsi être très vigilant et apprendre à vérifier le diagnostic établi.

L'IA n'est donc pour l'instant pas en passe de remplacer le radiologue mais plutôt un outil complémentaire acquis et apprécié, qui confirme, éclaire et accélère sa décision. Elle questionne pour autant les pratiques des professionnels du secteur sur les règles éthiques à mettre en place pour faire face à son évolution rapide et sur le métier de radiologue, jusqu’ici fortement lié à l’humain, et qui sera probablement à l’avenir d'avantage lié à la machine. Mais n’est-ce pas aussi en gagnant du temps avec leur outil que les radiologues pourront retrouver ce lien avec leur patient ?

Alexandre Ben Cheikh

médecin radiologue, co-fondateur d’IMADIS et référent intelligence artificielle

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