Les patrons sont contre le RN d’abord pour des raisons économiques

Timothée Gaget est le président de l’agence de communication et d’affaires publiques Artcher. Au lendemaindu premier tour des élections législatives et alors que les programmes économiques des partis en lice sont désormais connus, il décrypte le rapport des patrons au RN.

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Par Timothée Gaget Publié le 1 juillet 2024 à 15h00
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30%Le RN a récolté près de 30% des voix au premier tour.

Economie matin : on a vu de nombreuses tribunes de patrons publiées dans la presse ou sur les réseaux, appelant à faire barrage au RN pour les législatives. Les patrons sont-ils tous contre le RN ?

Timothée Gaget : De nombreux dirigeants d’entreprise sont contre le RN pour des raisons morales ou politiques (repli sur soi, nationalisme, xénophobie, populisme…). Mais ce qui est certain, c’est que quasiment tous le sont pour des raisons économiques. La grande majorité des chefs d’entreprise sont libéraux économiquement. Ils croient aux bienfaits de l’innovation, du libre échange, de la concurrence, de la création de richesse, du marché européen... Or si le programme du Nouveau Front Populaire a des relents marxistes (l’entreprise y est vue comme un lieu d'oppression du salariat au profit du grand capital), celui du RN est également tout sauf libéral : impôt sur le fortune financière, dérogation aux règles européennes de tarification de l’électricité, abrogation de la réforme des retraites, nationalisation des autoroutes.

Economie matin : justement, les programmes RN et NFP ont été décortiqués par de nombreux économistes, et tous s’accordent à dire qu'ils ne sont pas financés ni finançables. Lors du débat sur TF1, de nombreux éditorialistes ont salué la relative rigueur des propositions de Gabriel Attal face à celles de Manuel Bompard (LFI) ou Jordan Bardella (RN). Comment expliquer que le RN résiste aussi bien ?

Timothée Gaget : C’est ce qu’on appelle une dynamique de campagne : le RN monte encore, le NFP stagne et le centre macroniste baisse. Peu importe ce que disent désormais les chefs de partis. Les Français n’ont jamais été férus d’économie : le poids de la dette, le spread, le financement de la tech, ça ne leur dit rien. Au contraire, l’insécurité, la violence à l’école, l’immgration, l'islamisme, ça leur parle. Il y a un effet cliquet, une fois qu’ils ont franchi l'interdit moral de voter RN, ils ne reviennent plus en arrière. C’est pareil côté NFP, même pour les sociaux-démocrates : une fois assumé le dégoût de s’allier à la LFI (dont les dérapages antisémites les horrifiaient), seule compte la nécessité de faire barrage au RN. Ils se fichent des programmes économiques.

Economie matin : En fait, les Français ne lisent pas les programmes ?

Timothée Gaget : Peu ! Et d’ailleurs les programmes sont très flous. La dissolution de l’Assemblée nationale a surpris tout le monde. Tous les partis ont dû pondre un programme économique pour la France en une semaine. Le délai était bien trop court. D’ailleurs, chaque journée apporte son lot de nouvelles propositions ou de rétropédalages.

Economie matin : sans être des experts, les Français voient bien ce qu’il leur reste à la fin du mois ?

Timothée Gaget : La préoccupation première des Français reste en effet le pouvoir d’achat. Mais à l'extrême gauche, comme à l'extrême droite, une motivation très forte est aussi de faire tomber le macronisme. C’est la France d’en bas qui se pense, à tort ou à raison, abandonnée par la France d’en haut. C’est la revanche des perdants de la mondialisation sur ceux qui en sont les gagnants. C’est la France des campagnes, des petites villes et des banlieues, face à des dirigeants issus de grandes villes prospères et qu’ils jugement totalement déconnectés de leur réalité quotidienne.

Economie matin : Cela peut se défendre pour l’électeur lambda, mais on imagine que les dirigeants d'entreprise ont quant à eux, lu les programmes économiques des différents partis. Mettent-ils sur le même plan celui du Nouveau front populaire et celui du RN ?

Timothée Gaget : Dans les deux cas, ils sont nombreux à penser que l’application de ces programmes non chiffrés conduirait la France a la faillite. A deux nuances près, l’une purement financière: le programme de l’ex-Nupes étant considéré comme plus dispendieux, ils jugent le risque économique (notamment en matière de dette publique) plus grave avec le NFP qu’avec le RN. L’autre, plus importante, ils pensent que le Front Populaire construit autour de LFI est fondamentalement contre le capitalisme et l'économie de marché pour des raisons idéologiques. Alors que le RN l’est par un manque de compétences économiques. Ils n'excluent pas de pouvoir faire changer d’avis les députés nationalistes, dès qu’ils auront connaissance de la réalité budgétaire de la France et de la concurrence à laquelle font face les entreprises françaises. La France étant d’ailleurs déjà devenue le pays de l’OCDE avec la plus forte pression fiscale.

Economie matin : Timothée Gaget, vous êtes communicant, mais aussi lobbyiste, des patrons vous ont-ils demandé de rencontrer des dirigeants RN ?

Timothée Gaget : Pour ce qui est de mes clients, je ne révèle jamais rien. Pour l’atmosphère générale, oui des approches discrètes sont faites de part et d’autre. Non par connivence politique, comme je vous le disais le programme d’Ensemble (ex-majorité présidentielle) est plus favorable à l’entreprise que celui du RN, mais par pragmatisme.

Il est normal qu’une entreprise, dont la performance économique dépend aussi du paysage réglementaire et fiscal dans lequel elle évolue, dialogue avec ceux qui font la loi, a fortiori s’ils ont été élus démocratiquement.

Economie matin : savez-vous si le RN cherche à débaucher des patrons, pour faire de futurs ministres ou conseillers ministériels?

Timothée Gaget : Le RN approche depuis longtemps le monde économique, via le député Jean-Philippe Tanguy ou ses quelques réseaux économiques, comme ceux de François Durvye, polytechnicien et directeur du fonds d’investissement Otium Capital, du milliardaire catholique Pierre-Edouard Stérin.

La réalité est qu’ils sont en train de se créer de bons relais dans la haute administration, car de plus en plus de hauts fonctionnaires sont alignés avec eux sur les questions d’école, de laïcité, d’immigration. En revanche, c’est plus compliqué pour ce qui est de l'économie, précisément pour ce que j’évoquais : le rejet du marché et de l’UE qui pousserait la France à un repli sur elle-même, néfaste à ses entreprises.

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CEO d'Artcher

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