Recherche : mobiliser les jeunes et augmenter les financements

La recherche européenne, qui a permis de faire progresser la société et l’économie pendant des décennies, doit aujourd’hui davantage impliquer les jeunes et attirer des investissements publics et privés supplémentaires, selon le professeur Manuel Heitor, ancien Ministre portugais de la Science, de la Technologie et de l’Enseignement supérieur .

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Par Horizon Publié le 8 mai 2024 à 9h00
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recherche, europe, heitor, enjeux, jeunes, programme, financement - © Economie Matin
3%L'Europe veut investir 3% de son PIB dans la recherche.

L’Europe revient sur activités passées et se projette dans l’avenir, dans le domaine politique essentiel de la recherche. L'UE célèbre 40 années d'investissement dans la recherche et pose les jalons du 10e programme de financement qui couvrira la période de 2028 à 2034.

Les accomplissements passés et les priorités de demain étaient au centre de l’édition 2024 des Journées européennes de la recherche et de l'innovation, qui se sont déroulées à Bruxelles et en ligne les 20 et 21 mars derniers. L'événement a attiré des milliers de décideurs, de chercheurs, de représentants de l'industrie et de visiteurs du grand public.

Horizon Magazine s'est entretenu avec le professeur Manuel Heitor, président d'un groupe d'experts qui évaluera l'actuel programme européen de financement de la recherche (aussi appelé Horizon Europe) et qui définira les priorités du programme qui lui succédera. Avec un financement de près de 100 milliards d'euros pour la période 2021-2027, Horizon Europe représente le troisième poste budgétaire de l'UE.  

M. Heitor est professeur à l’école d’ingénierie et de technologie de l’Université de Lisbonne. Ancien ministre portugais de la Science, de la Technologie et de l’Enseignement supérieur, il aborde dans l’entretien des aspects très divers allant des conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie jusqu’à l’objectif de l’Europe de consacrer au moins 3 % de son produit intérieur brut à la recherche et au développement.

Quelles sont les principaux accomplissements de la recherche européenne à ce jour?

L’Europe a tiré de nombreux avantages des programmes-cadres de l’UE. Le nombre d’emplois dans le secteur de la recherche a considérablement augmenté, passant de 1,38 million en 2011 à plus de 2 millions en 2021.

Les entreprises en ont également profité. Celles qui ont bénéficié d’un financement en faveur de la recherche ont vu leurs effectifs augmenter de 20 % et leur chiffre d'affaires de plus de 30 % par rapport aux autres.

Mais surtout, il y a ce que nous avons appris. Nos villes sont devenues plus durables et plus vertes, principalement grâce à des projets de recherche financés par l'UE. Nous rendons également nos industries plus respectueuses de l’environnement, de la sidérurgie au secteur automobile, en passant par l’industrie de la chaussure et celle du textile. Les activités industrielles ont grandement bénéficié des investissements de l’UE.

À quoi pensez-vous en particulier?

La grande force des programmes réside dans le cadre de collaboration unique qu’ils apportent. La collaboration entre l’industrie et le milieu universitaire, la recherche et l’innovation et entre les différents secteurs a beaucoup contribué à forger l’identité européenne.

Au cours des 20 dernières années, la recherche fondamentale parrainée par le Conseil européen de la recherche (CER) a eu un impact important. Parmi les très nombreux exemples disponibles, on peut citer le développement du vaccin à ARNm pour lutter contre la Covid.

Il y a aussi la contribution du Conseil européen de l’innovation, ainsi que toutes les startups et les entrepreneurs qui ont fortement bénéficié de la recherche fondamentale.

Quels seront les principaux défis à relever dans les années à venir?

Nous sommes face à d’immenses incertitudes et à des défis uniques partout dans le monde, mais surtout en Europe. Je pense bien sûr au changement climatique, mais aussi la guerre. La guerre est de retour, et sur le sol européen.  

Nous sommes également confrontés à une situation démographique unique, avec le vieillissement de la population européenne et la montée des inégalités. Le défi majeur à relever est donc d’amener les jeunes générations à s’atteler à la résolution de ces problèmes urgents. Ce sera l’enjeu critique du prochain programme-cadre de recherche et d’innovation.

Il existe selon moi deux autres défis importants. Tout d’abord, nous devons introduire un double concept de sécurité et de durabilité: davantage de recherche et d’innovation dans le domaine de la sécurité de nos citoyens, mais aussi dans la sécurité de notre énergie, de notre alimentation et de notre environnement. Le deuxième défi concerne la qualité des emplois dans la recherche, car nous devons répondre aux besoins des marchés mondiaux fondés sur la connaissance qui peuvent créer de meilleurs emplois, et les développer.

Quel est le lien entre les objectifs climatiques, la recherche et les citoyens européens?

Pour réellement répondre aux besoins des citoyens, le prochain programme-cadre devra imposer un programme de transformation. Cela nous oblige à nous concentrer de plus en plus sur l’implication des citoyens dans la recherche et l’innovation.

Nous devons constituer un réseau de centres scientifiques qui impliquent réellement les citoyens dans la recherche et l’innovation afin de leur faire vraiment comprendre le rôle clé de la connaissance dans l’accès à une vie meilleure et plus durable.  

Comment l’Europe peut-elle améliorer les carrières dans la recherche?

C’est d’une importance capitale. Nous pouvons être très fiers de l'augmentation du nombre de chercheurs en Europe, mais la qualité des emplois dans la recherche pose vraiment problème. Dans de nombreuses institutions d’Europe, nous constatons une précarité croissante des chercheurs, en particulier des plus jeunes.

Ceci exigera, lors de l’évaluation de chaque projet et action de recherche candidat à un financement de l’Europe, de prendre en compte la qualité des emplois de recherche en plus de la qualité et de l'impact des résultats de la recherche. Il faudra aussi tenir compte de cet aspect lorsque de nouveaux programmes de cofinancement européens et nationaux seront conçus.

C’est une question délicate car elle dépend de différents facteurs tels que les règles et codes du travail en place dans les différents États membres, et leur fiscalité. Mais l’emploi dans la recherche constitue un défi majeur pour l’Europe, en particulier si l’on compare avec les États-Unis, car le financement est désormais largement associé à des projets collaboratifs à court terme. Cette situation a engendré un problème supplémentaire lié à la nécessité de favoriser la recherche et les carrières à long terme. Ceci doit figurer parmi les priorités du prochain programme-cadre.

Où en est l'Europe en matière de financement de la recherche?

Nous sommes face à un problème que nous devons résoudre de toute urgence partout en Europe, à savoir que l’investissement européen total dans la recherche et l’innovation est resté quasiment le même pendant les trente dernières années, à environ 2,2 % du PIB. Et il est devenu inférieur à celui de la Chine, qui est de 2,4 % et en hausse, et bien inférieur à celui des États-Unis, qui dépasse les 3 %.

Si l’on compare la situation européenne avec celle d’autres grands acteurs mondiaux, notamment les États-Unis et la Chine, on peut en conclure qu’il faut diversifier les sources de financement de la recherche et de l’innovation.

L’objectif européen d’investir 3 % du PIB dans la recherche et l’innovation est évidemment très important et doit être maintenu. Mais cela exigera d’augmenter nettement l’investissement européen en général. Cet objectif est étroitement lié à la qualité de vie des générations futures en Europe.

Les opinions de la personne interrogée ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne ou du groupe d’experts qu’elle préside.

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Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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