Le Forum économique mondial de Davos vient de publier son Rapport annuel sur les risques mondiaux qui explore les risques les plus graves auxquels nous pourrions être confrontés au cours de la prochaine décennie, dans un contexte d’évolution technologique rapide, d’incertitude économique, de réchauffement de la planète et de conflits. Selon les experts interrogés, la désinformation et la manipulation de l’information est le risque numéro un à court terme, devant les évènements climatiques extrêmes, la polarisation de la société et l’insécurité Cyber.
L’intelligence économique, rempart contre le risque de désinformation
Il est en effet courant d’entendre que l'opinion publique est régulièrement victime de pratiques et techniques de communication visant à l’influencer en diffusant volontairement des informations fausses, faussées ou biaisées. Nous pourrions ajouter que la population contribue elle aussi à ce phénomène, parfois de façon involontaire, en diffusant des informations fausses ; On parle alors de mésinformation. Ce phénomène est-il vraiment nouveau ? N’a-t-on pas de tout temps orienté ou manipulé l’information ? Depuis quelques années, force est de constater que cette activité se professionnalise. Si pour le grand public, il est aujourd’hui techniquement plus facile de détourner une information mais aussi de la rendre disponible au plus grand nombre, certains acteurs ou groupe de pression en ont fait leur métier. La France a tenté de se prémunir de ce risque il y a plusieurs années déjà. Rappelons que la loi contre la manipulation de l’information, qui vise à mieux protéger la démocratie contre les diverses formes de diffusion intentionnelle de fausses nouvelles, a été votée dès novembre 2018. Mais la réponse doit elle se limiter aux aspects légaux ? S’il est nécessaire de se doter d’un arsenal juridique offensif et défensif adapté, il nous parait primordial de sensibiliser et d’éduquer le plus grand nombre pour une meilleure maitrise de l’information.
Face à la professionnalisation de la désinformation, les professionnels de l’information.
Si l’on constate une professionnalisation de la désinformation, il faut, pour s’en protéger, faire appel aux professionnels de l’information. Dans nos organisations, ces professionnels sont ceux de l’intelligence économique ô combien nécessaires pour rendre une stratégie efficace, voire parfois pour assurer la pérennité de l’organisation. L’intelligence économique (IE) désigne l’ensemble des activités coordonnées et menées dans un cadre légal et éthique, de collecte, de traitement et de diffusion de l’information utile aux acteurs économiques. En d’autres termes il s’agit, plus simplement, de faire en sorte que la bonne information, arrive au bon moment et sous la bonne forme à la bonne personne. Et qui dit bonne information, dit information validée, qualifiée et utile. Cela demande donc des compétences et des connaissances particulières qui sont celles d’un professionnel de l’IE : Accompagner les différents acteurs dans la définition des informations utiles pour ne pas tomber dans le voyeurisme ou l’infobésité. Connaitre et savoir utiliser les techniques, méthodes et outils d’investigations, notamment en ligne (OSINT) et de veille pour maitriser son environnement informationnel. Savoir qualifier une information, sa source et son impact par la cotation et le recoupement. Analyser l’information en comprenant ses propos, son origine, son auteur, ses cibles, ses relais, etc. ainsi que les différentes interactions qui les lient. Cartographier les sources, les acteurs et les forces en présence, parfois contradictoires et comprendre leurs intérêts. Mais aussi sensibiliser ses collaborateurs sur les problématiques offensives et défensive de l’information, participer à la diffusion d’information, assurer la protection des informations sensibles, etc.
Depuis 30 ans déjà l’intelligence économique progresse en France. En 1994, un groupe présidé par Henri MARTRE publie son rapport, « Intelligence économique et stratégie des entreprises », au sein du Commissariat Général du Plan. Depuis des formations ont vu le jour, l’Etat s’est organisé (et continue de le faire), les entreprises ont progressivement intégré cette discipline dans leur organisation. Et de son coté la profession s’est organisée autour d’un Syndicat regroupant tant les cabinets en IE que les praticiens dans les organisation publiques et privées, les éditeurs de logiciels que les enseignants et chercheurs.
L’information, une matière première à travailler
Devant ce risque de la désinformation et de la manipulation de l’information qui touche les entreprises de toutes tailles et de tous secteurs, mais aussi l’opinion publique, il nous faut agir, sensibiliser, former, démocratiser, démystifier, encore. L’information est une matière première qu’il nous travailler avec soins et méthode. C’est une ressource, qui avant d’être exploitée, doit être travaillée. Alors, elle se valorise et devient indispensable. Les citoyens consommateurs succombent trop souvent à des informations de bien médiocre qualité et souvent inutiles. Nous pensons qu’il lui faut être plus exigent et responsable. Être bien informé doit être une hygiène de vie garante de la démocratie. En effet, si la démocratie est le meilleur des systèmes. Elle ne l’est qu’à condition que le peuple soit éclairé, donc bien informé. Pendant longtemps ce travail de l’information était assuré par les journalistes mais aujourd’hui, le citoyen, s’informe tout seul et pense pouvoir se passer d’intermédiaires, de médias. Il les a en fait remplacés par des outils (moteurs de recherche, agrégateur, IA, etc.) qui sont parfois plus orientés. A titre individuel, chacun a donc aussi besoin de professionnels de l’information, sauf s’il a le temps, les compétences et les connaissances de les remplacer.
L’information, une approche culturelle
L’appréhension et la façon d’aborder une information est très personnelle, culturelle. Là où les français, souvent par peur de la « question bête » posent peu de questions, les anglo-saxons tournent un grand nombre de leurs phrases en mode interrogatif. Le chinois Sun Tzu a établi il y a plus de deux mille ans les principes de la désinformation que beaucoup de pays découvrent de nos jours. Les Israéliens pratiquent depuis plusieurs années la guerre de l’information de façon assumée, là ou les européens se cachent derrière de la lutte informatique d'influence, etc. Autant de cultures, autant d’approches de l’information, sans que l’une soit meilleure que l’autre. Il nous parait donc important de s’attacher à travailler l’information, à titre personnel ou professionnel, avec sa propre culture et ses propres codes. Et si les frontières et les langues ne représentent plus de barrières aujourd’hui, la culture en reste une. En effet une même information de sera pas appréhendée, traitée, analysée, diffusée de la même façon en fonction des cultures. Cela fait partie du travail des professionnels de l’information que de contextualiser une information, la resituer dans son environnement, son contexte, la comprendre, la digérer la rendre « intelligente ». Voilà un bel exemple d’approche culturelle différente : Le terme « intelligence économique » provient d’une (mauvaise) traduction du concept anglo-saxon de « competitive intelligence » développé dès 1967 par Harold Wilensky. Mais en français, le mot anglais « intelligence » se traduit par « renseignement ». Mais parce que celui-ci souffre d’une mauvaise réputation et que l’opinion en a une mauvaise perception en France à la fin du siècle dernier, on lui préfère le terme d’« intelligence ». Nous sommes convaincus que le terme a été bien choisi, car il faut lui entendre son acception anglophone de renseignement, mais aussi l’approche du terme en français : « inter-ligere », comprendre les interactions qui relient deux éléments. C’est bien de cela qu’il s’agit lorsque l’on fait de l’intelligence économique et qu’on veut lutter contre la désinformation : Comprendre les liens entre la source et l’information, entre les différents sources concernées et impliquées, entre les informations elles-mêmes, etc. C’est cela comprendre un environnement informationnel, est c’est un métier, celui de l’intelligence économique.
La désinformation, une opportunité ?
Conserver son approche culturelle en s’informant, ne doit pas nous interdire de regarder comment les autres pourraient percevoir la même information dans leur culture. Pour les Chinois par exemple, la notion de risque est souvent associée à celle d’opportunité. Le « Wei-ji » est une pensée considérant que chaque crise est composée de deux constituants indissociables, le risque « wei » et l’opportunité, « ji ». S’inspirant sur la culture de l’Empire du milieu, ne pourrait-on pas voir dans la désinformation, perçue aujourd’hui comme un risque, comme une opportunité ? Il nous parait intéressant de profiter de ce risque que peut représenter la manipulation de l’information pour s’armer, se professionnaliser dans notre façon de s’informer. Cela demande une exigence et, en premier lieu, de ne pas succomber à la facilité et la simplicité (voire à la gratuité). Cela demande de travailler l’information, comme une matière première pour la transformer en produit de qualité et de valeur. Mais attention, comme pour toutes les bonnes choses, on y prend goût et cette exigence est vertueuse. Vous risquez de ne plus vouloir être seulement informés mais bien informés et comme dit l’adage vous vaudrez deux fois plus !