Après les retentissantes décisions de la Cour de cassation du 13 septembre 2023 (notamment Cass. soc., 13 septembre 2023, n°22-17.340 et n°22-17.638) qui consacrent l’acquisition de congés payés pour les salariés en arrêt maladie et soulèvent la question de la rétroactivité et de la possibilité de limiter le report des congés payés, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), saisie de plusieurs questions préjudicielles par le Conseil de prud’hommes d’Agen, a rendu son arrêt très attendu dans les affaires Keolis Agen SARL et Syndicat national des transports urbains SNTU-CFDT (Affaires joints C-271/22 à C-275/22) concernant justement le report du droit à congés payés des salariés placés en arrêt maladie.
Congés payés et arrêts maladie : retour sur les jugements
En substance, des salariés avaient saisi le conseil de prud’hommes d’Agen pour réclamer à leur employeur le bénéfice de jours de congés payés non pris et, pour ceux dont le contrat a été rompu, des indemnités compensatrices de congés payés. Les demandes étaient formulées après l’expiration de la période de référence ouvrant droit à congés payés. Dans le cadre de ce litige, le Conseil de prud’hommes d’Agen s’est interrogé sur la durée de report raisonnable des congés payés et a posé la question de savoir si, en l’absence de dispositions spécifiques réglementant ce droit au report, l’application d’un délai de report illimité, prévue par la Cour de cassation, est contraire à la Directive n° 2003/88 du 4 novembre 2003. Le Conseil de prud’hommes d’Agen a saisi la CJUE pour trancher cette question.
La CJUE a eu à se prononcer quant à l’interprétation de la directive dans un contexte où les points de vue divergent radicalement.
Dans un avis n° 406009 du 26 avril 2017, le Conseil d’état a indiqué que le juge peut considérer, afin d’assurer le respect des dispositions de la directive, que les congés peuvent être pris au cours d’une période de quinze mois après le terme de cette année et a précisé que le droit au report s’exerce dans la limite de 4 semaines.
La Cour de cassation a quant à elle jugé, dans un arrêt du 21 septembre 2017, que « si des dispositions ou pratiques nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel payé […] au moyen d’une période de report […] la directive 2003/88/CE ne fait pas obligation aux Etats membres de prévoir une telle limitation ». Elle en a conclu que la Cour d’appel qui ordonne à l’employeur de régulariser la situation de l’ensemble des salariés concernés sans limite de report fait une exacte application de la loi française qui précisément ne prévoit aucune limite au cumul des droits au congé payé.
La CJUE a indiqué, dans son arrêt du 9 novembre dernier, que l’article 7 de la Directive autorise les Etats à déterminer les modalités d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel payé, dont fait partie le report. La Cour estime qu’elle n’a pas la compétence pour définir une durée raisonnable de report des congés payés. En revanche, si une limite est prévue par un Etat, la CJUE peut vérifier qu’elle n’affecte pas l’existence même du droit au congé annuel payé. A cet égard, la CJUE a déjà jugé insuffisante en présence d’une période de report de 9 mois (CJUE, 3 mai 2012, aff. 337/10), et a validé une période de report de 15 mois (22 novembre 2011, aff. 214/10).
Enfin, la CJUE rappelle qu’un Etat peut imposer une limitation du droit à congés payés sous certaines conditions conciliant la protection du salarié et celle de l’employeur. Elle précise qu’un cumul illimité ne répond pas à la finalité même du droit à congés payés. La fixation d’une limite doit respecter les conditions prévues à l’article 53 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne.
Pour résumer, la CJUE ne peut ni fixer de limite temporelle au report des congés payés, ni définir la durée raisonnable de celui-ci. En l’absence de dispositions limitant le droit au repos en droit français, les salariés peuvent, dans les circonstances des litiges concernés, valablement formuler des demandes de rappel de congés payés sur plusieurs années. L’arrêt souligne un élément essentiel : « il incombe aux Etats membres de définir les conditions d’exercice du droit au congé annuel payé et, à ce titre, d’instituer des limites temporelles au report de ce droit lorsque cela s’avère nécessaire pour que la finalité de ce droit ne soit pas méconnue » (considérant 51). Le législateur français est donc invité à agir.
Dans cette attente, il convient de privilégier la négociation d’entreprise sur ce thème. Reste à convaincre les partenaires sociaux, les élus du CSE ou les salariés en fonction de la taille de l’entreprise d’instituer des limites temporelles au droit au repos, ce qui, il faut le dire, ne sera pas de tout repos…