PDG de la biotech Pharnext, Hugo Brugière détaille la stratégie financière mise en place depuis la reprise de cette entreprise en 2022, alors en très grande difficulté. Avec le soutien de son partenaire financier Alpha Blue Ocean (ABO), il a pu investir et relancer cette pépite tricolore.
Pharnext : La perspective d’une faillite pour une entreprise cotée n’est pas la fin de son histoire
Pouvez-vous présenter votre société et votre stratégie de reprise d’entreprises en difficulté ?
Depuis une dizaine d’années, je préside HBR Investment Group, une société d’investissement spécialisée dans la reprise et l’accompagnement de sociétés cotées en bourse et en difficulté. Nous avons déjà plusieurs dossiers à notre actif, comme Cybergun, Néovacs, Boostheat ou plus récemment Pharnext. Ces entreprises, alors en difficulté, possédaient des actifs tout à fait intéressants mais n’arrivaient plus à se financer par des moyens traditionnels. Nous avons repris ces entreprises en cours de procédure collective ou proche de l’être.
J’occupe actuellement le poste de président directeur général – ou représentant de la gérance selon les statuts – de toutes ces sociétés. Nous appliquons nos méthodes managériales et nos recettes financières. Sur ce dernier point, notre partenaire financier ABO occupe une grande place puisque de toutes ces sociétés cotées, ABO finance entre 80 et 90% de nos reprises et de nos restructurations.
Quels étaient les écueils rencontrés par les précédents dirigeants avant de reprendre leurs entreprises ?
Dans les sociétés cotées en difficulté, nous voyons souvent des dirigeants ayant une double casquette : celle de l’actionnaire et celle du mandataire social. Ces dirigeants sont souvent allés très loin sans choisir entre ces deux positions et il leur est très difficile de décider de se démunir en tant qu’actionnaire et recourir à des modes de financement qui peuvent être très dilutifs et potentiellement destructeurs de valeur pour les actionnaires à court terme. Pourtant, à un moment donné, ils doivent accepter ce choix de perdre leurs intérêts d’actionnaire pour sauver les intérêts de l’entreprise afin d’éviter sa liquidation. En tant qu’investisseurs, nous arrivons souvent à ce moment stratégique où l’actionnaire-dirigeant est sur le point de tout perdre.
Au moment de la reprise de Pharnext, quelles étaient les options pour remettre du cash dans la société ?
Il n’y en avait aucune, à l’exception de notre système de financement. C’est pour cela que nous nous distinguons parmi les repreneurs de sociétés cotées en bourse et en difficulté. N’ayant pas accès aux financements bancaires traditionnels, nous avons une autre option : le financement du marché par des obligations convertibles ou remboursables en actions. Nous n’avions pas d’autres solutions pour lever ce dont l’entreprise avait besoin et ainsi la relancer. Il nous fallait un partenaire capable d’apporter plusieurs dizaines de millions d’euros lors que les précédents dirigeants avaient déjà investi plus de 150 millions. Ce n’était pas un dossier facile.
Les obligations remboursables en actions (ORA) ont souvent mauvaise réputation, mais nous n’avions pas d’autres alternatives, sinon celle du dépôt de bilan. Cette réputation est liée au fait que parmi les entreprises françaises qui se financent par des obligations remboursables en actions, 80% d’entre elles sont en survie et n’ont aucun plan sur le moyen et le long terme.
Comme vous le dites, les ORA ou bien encore les OCABSA (obligations convertibles en actions avec bons de souscription d’actions) ont souvent mauvaise réputation. En règle générale, que représentent votre arrivée et votre stratégie pour les actionnaires ?
De très gros sacrifices ! Le cours de l’action s’écroule de sorte qu’il n’y a plus d’intérêt pour les actionnaires long terme. Nous avons alors différents temps de communication. Le premier temps s’adresse aux actionnaires existants. Il faut leur tenir un discours de vérité : ce que nous allons mettre en place va les diluer et ils vont perdre 40 à 50% de leur valeur, voire plus, mais c’est inévitable. Pendant ce premier temps, il faut donc s’expliquer auprès des actionnaires, ce n’est pas facile. Mais ces actionnaires ne doivent pas oublier qu’investir en Bourse peut être synonyme soit de gains soit de pertes.
Vous pouvez taper mon nom dans les moteurs de recherche, vous verrez que je ne suis pas aimé, mais les actionnaires doivent bien comprendre qu’il n’y a pas d’autres options : c’est soit ma solution, soit tout perdre. Dans des plans de restructuration comme celui de Pharnext, chacun doit fournir des efforts : certaines banques subissent un abandon de 80%, voire 90%, sur la valeur de leurs créances. Dans le cas de Néovacs, c’était 80% d’abandon de créance. Tout le monde doit jouer le jeu. Évidemment, l’alternative que nous proposons ne fait pas plaisir mais lorsque le management et les financements traditionnels ont échoué, il faut de la résilience de la part des actionnaires qui peuvent vendre leurs actions et s’en aller.
Puis nous entrons dans le second temps de communication. Sur les marchés financiers, existent généralement deux profils d’investisseurs : d’une part les petits porteurs bons pères de famille qui ont un peu de liquidités et misent sur des actions établies pour obtenir un rendement sur le capital, et d’autre part les investisseurs qui visent la plus-value à la journée ou à la semaine, et qui ne s’intéressent pas à la nature de l’entreprise mais à la volatilité des cours, laquelle peut être importante sur une seule séance. Ce second temps consiste donc à communiquer à l’attention de ce type d’investisseurs car ils sont capables de financer les plans de restructuration. Quand nous reprenons une entreprise, les liquidités affluent parce que ces typologies d’investisseurs ont l’habitude de ces pratiques, et comprennent l’enjeu sur le long terme.
Quand avez-vous commencé à travailler avec votre partenaire financier, Alpha Blue Ocean (ABO) ?
Nous avons entamé notre collaboration avec Cybergun (ndlr : une entreprise française spécialisée dans la vente et la distribution de répliques d’armes airsoft) fin 2014 début 2015. J’ai racheté Cybergun parce que son cœur de métier me parlait. Mais l’entreprise était en très grosse difficulté, elle avait environ 45 millions d’euros de chiffre d’affaires et 50 millions d’euros de dette. Il a donc fallu trouver une solution.
À l’époque, je pensais pouvoir négocier avec les banques et obtenir des abandons de créances. Mais c’était sans tenir compte de la spécificité d’une société en restructuration : si son business plan nécessite 10 de flux de trésorerie, il faut en prévoir 30 pour couvrir le coût réel de la restructuration. Il y a en effet une inertie qui coûte de l’argent, il faut partir à la reconquête des clients et des fournisseurs, etc. Or la société n’avait plus de ligne bancaire, il lui fallait tout payer comptant. Il lui était impossible de financer un BFR (ndlr : besoin en fonds de roulement) … Nous avons ainsi couvert nos difficultés jusqu’en 2019 par des petites augmentations de capital de 500 000 à 1 million d’euros. J’étais dirigeant avec 75% du capital de la société, soit 5 millions d’investissement auxquels j’ai ajouté 4 millions supplémentaires soit 9 millions au total, ce qui n’est pas anodin, mais je savais que malgré ces efforts, je ne pourrais pas réussir. J’avais donc deux options : soit vendre rapidement quitte à perdre mes 5 millions, mais en arrêtant les frais, soit briser ma position d’actionnaire et devenir mandataire social pour défendre les intérêts de l’entreprise, aux détriments des actionnaires.
J’ai donc fait ce choix. Je connaissais déjà le financement par OCABSA. J’ai contacté ABO pour leur présenter le projet Cybergun dont le plan de retournement coûtait environ 60 millions d’euros. ABO a mis une ligne de 92 millions d’euros à disposition, nous avons tiré environ un à deux millions par semaine pendant un an. Nous avons restructuré l’entreprise, nous sommes passés de -17 millions d’euros de résultats à +1 million l’année dernière, de -7 millions d’EBITDA à +5 millions d’EBITDA, en trois ans et demi. En revanche, je suis passé de 75% du capital à 0%. Mais j’ai mis en place un mécanisme de relution il y a trois ans, à travers une fiducie, qui m’a permis de reprendre 10% du capital de Cybergun. Aujourd’hui, cette entreprise est désendettée, elle est profitable et en croissance.
Sur quelles bases s’est installée la confiance avec Alpha Blue Ocean ?
Sur le tout premier dossier Cybergun, ils étaient un peu plus frileux. Comme avec toutes leurs sociétés, il y a une période où l’on apprend à se connaître et où l’exposition est limitée à 200 000 ou 300 000 euros. Petit à petit, nous faisons connaissance et la confiance s’installe, et on augmente les lignes de financement.
Par exemple, quand j’ai repris Boostheat l’année dernière, j’avais besoin de 20 millions d’euros avec un minimum de 500 000 euros par mois quoi qu’il arrive, quelle que soit la liquidité. Ils ont accepté. Aujourd’hui, leur exposition est à 1,5 million sur le dossier Boostheat, mais il y a une vraie confiance réciproque entre nous.
Quand je reprends une entreprise au tribunal de commerce, j’engage mon nom et ma réputation qui est très bonne auprès des tribunaux. Si, derrière, mes partenaires financiers ne me suivent pas, c’est moi qui serais en difficulté. Il faut donc une grande confiance entre nous. On fait ce qu’on dit, on dit ce qu’on fait. Pour vous donner un exemple, concernant Néovacs, nous avons sorti l’entreprise de son plan de redressement avec dix ans d’avance. Cette confiance s’est bâtie sur le temps et sur les faits. Chacun d’entre nous a toujours respecté sa parole et ses engagements.