A l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale ce 10 octobre 2023, Éric Bui, professeur de psychiatrie à l’université de Caen (Laboratoire COMETE) et spécialiste mondial du deuil prolongé répond à 4 questions autour du Trouble du Deuil Prolongé (TDP) qui a fait son entrée au « Manuel de diagnostic des troubles mentaux, 5e édition » (DSM-5-TR) en 2022.
Santé : qu’est-ce que le trouble du deuil prolongé ?
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Publié le 11 octobre 2023 à 3h00
10 %des personnes qui perdent un proche de cause naturelle développent un TDP
Qu’est-ce que le Trouble du Deuil Prolongé (TDP) ?
À la suite du décès d’un proche, une minorité significative d'adultes éprouvent un tel chagrin que leur vie quotidienne reste altérée sur une longue période. C’est cet état qui constitue le trouble du deuil prolongé (TDP). Celui-ci peut être différencié du deuil normal en raison de sa durée et de son intensité. Les personnes atteintes de ce trouble ont du mal à se remettre, ce qui peut affecter leur capacité à fonctionner normalement dans leur vie quotidienne. Cette douleur peut persister pendant des mois, voire des années.
En quoi la pandémie COVID-19 a-t-elle accru le risque de TDP ?
La pandémie de COVID-19 a eu un impact fort sur la façon dont est vécu le deuil. En effet, le caractère imprévisible et soudain de la maladie a bien souvent privé les proches de toute possibilité de faire leurs adieux aux défunts. Ainsi, de nombreuses personnes n'ont pas pu se rendre à l’hôpital ou ont vu leurs gestes limités par les équipements de protection. Les derniers adieux et le réconfort mutuel ont été considérablement limités. Pour beaucoup, il n'a pas été possible d'assister aux funérailles, les rituels traditionnels ont été entravés et le soutien social n'était pas disponible mais limité ou distant (par téléphone ou par courrier électronique).
Les estimations suggèrent de manière prudente que 10 % des personnes qui perdent un proche de cause naturelle développent un TDP. Sans doute que ce chiffre est même dépassé car des études récentes ont montré que l'intensité du deuil aigu chez les personnes touchées par des pertes liées à la COVID-19 était supérieure à l'intensité du deuil dans le cas d’une maladie non liée à la pandémie. Ce pourcentage, rapporté au nombre des décès du fait de la pandémie (plus de 230.000 en avril 2023, en France uniquement, selon les données de Santé Publique France, laisse présager des dizaines de milliers de cas supplémentaires de TDP qui devraient se manifester dans les prochains mois et/ou les prochaines années.
Quelles sont les recommandations pour prendre en compte la recrudescence des TDP ?
Les services de soins risquant de se trouver submergés par le nombre de cas de TDP, il parait primordial de sensibiliser les professionnels de santé et le grand public à la gravité de la situation. Les professionnels de santé devraient être formés pour reconnaître les signes et les symptômes du TDP et être en mesure de proposer des interventions efficaces. Les efforts devront se concentrer sur les personnes âgées, qui constituent la population pour laquelle la pandémie a eu le plus grand impact, et les enfants/adolescents confrontés à la perte d'un proche pendant la pandémie.
Quand faut-il traiter le Trouble du Deuil Prolongé (TDP) ?
Le traitement précoce pouvant aider à prévenir la chronicité de la douleur et à améliorer la qualité de vie des personnes touchées, il convient également d'encourager les patients à ne pas rester seuls et à chercher de l'aide. Le traitement de référence à l’heure actuelle est une thérapie individuelle en 16 séances qui est disponible depuis peu en France. Enfin, la recherche de médicaments adaptés devrait être encouragée car, à ce jour, la pharmacothérapie reste insuffisante alors qu’il existe de nombreuses pistes à explorer, notamment pour cibler les comorbidités telles que la dépression, en association avec la psychothérapie ou pour les personnes qui ne réagissent pas bien aux interventions psychologiques.